« Merde à la dictature du Vrai roman » par Guillaume Dustan (extrait de « Nicolas Pages »)

Dans son quatrième roman, « Nicolas Pages », récompensé par le prix de Flore 1999, Guillaume Dustan régle son compte aux préjugés sur l’autofiction. Qualifié par un critique « d’alter Angot », il notait alors : avec Christine Angot, « on ne nous aime pas. Parfois si, mais bon, localement, c’est plutôt la haine et le souhait de mort qui prédominent. Bon pourquoi ? Parce qu’on parle de notre vie, je pense. Si j’écrivais de la fiction, je crois qu’il n’y aurait pas ce truc. Je me révèle« . D’après lui écrire sur soi est en effet la seule façon d’atteindre une véritable profondeur littéraire. Sa thèse, même si elle peut sembler excessive, reste assez cohérente. Les journalistes (et lecteurs) ne posent-ils pas de façon récurrente la question de « la part autobiographique dans le roman » ? Cette recherche de justesse et de sincérité par l’implication personnelle de l’auteur dans ses écrits se retrouvent aussi dans les blogs qui rencontrent un large succès. On peut aussi rapprocher ce point de vue à ce qu’osait clamer Nietzshe, que toute philosophie n’était qu’une « exégèse du corps » au grand désarroi de sa profession, l’auteur d’Ecce homo qui prônait une philosophie basée sur une parole personnelle/corporelle et non désincarnée…


« C’est qu’il n’y a pas trente six solutions en littérature : soit on invente tout et on s’expose à une relative pauvreté de détail (sauf à réintroduire des petites merdes vécues dans l’histoire inventée) ; soit on raconte sa vie et on s’expose à une relative faiblesse dramatique (sauf à faire des mutants en greffant des évènements et des personnages les uns sur les autres). (…) En littérature soit c’est soi, soit c’est du bidon. Les vagues et la promenade c’est de l’autofiction. Madame Bovary c’est lui. Etc. De l’autre côté il y a Borgès, Joyce, Faulkner, Robbe Grillegt, Pérec, l’Oulipo, Claude Simon, Jean Rouaud… Litanie, liturgie, léthargie… D’accord il y a toujours des pages à sauver, quand par miracle ils mettent quelque chose vraiment d’eux sur le papier : les monologues de la putain enfermée dans Faulkner, des trucs dans le jeune Joyce. (…) Merde à la dictature du Vrai Roman, dans sa version de droite (classique avec un héros jeune et beau), ou de gauche (expérimental avec des chaises), analogon dans le ciel des idées de la dictature hétérosexuelle réelle. (…) Moi aussi j’avais essayé de faire de la Vraie littérature. Echec total. Alors que je n’arrivais pas à comprendre ma propre vie, comment est-ce que je pouvais passer mon temps à raconter celle de gens que je ne connaissais même pas« .

(…) Quelques pages après, il ajoute :
« Temps réel : les sensations, les émotions, les idées, les souvenirs. (…) Marre de tous ces récits au passé à la troisième personne où on ne retrouve pas « l’effroi et la glace » des vrais moments vécus au présent et à la première personne. Fondamentalement d’ailleurs, et comme Barthes qui pensait que la littérature devait céder la place à l’auto-écriture de tous, je pense que tout le monde devrait faire la même chose : raconter sa vie. Connais-toi toi-même. Mets-toi en forme. Mets-toi en ordre. » (extrait du roman « Nicolas Pages », par Guillaume Dustan)

Citation complémentaire, issue d’une interview (Amazon) de Guillaume Dustan au sujet de la littérature contemporaine :
« J’adore la littérature contemporaine, je pense qu’elle est si belle parce que 1) le monde change et moi ça m’intéresse pas de lire des trucs sur un monde qui n’est pas le mien, et 2) la langue : les auteurs d’il y a cent ans n’écriraient pas la même chose aujourd’hui parce qu’ils s’adapteraient à la langue de maintenant. C’est ça qui est passionnant dans la littérature contemporaine. C’est ça qui fait que mon lectorat a entre 20 et 30 ans parce qu’il apprécie le travail que je fais sur la langue. »

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