Monsieur Jean -Dupuy-Berbérian : « Vivons heureux sans en avoir l’air » (tome 4)

Dans ce quatrième tome signé Dupuy-Berbérian, publié en 1998, « Monsieur Jean »emprunte doucement la voie de la maturité, des responsabilités et des choix à travers les décisions qu’il faut prendre. Il amorce doucement la fin des flottements et de l’esquive (à notre petit regret…).

A commencer par Cathy, sa première relation sérieuse rencontrée au cours du tome 3, qui attend de lui le fameux véritable engagement. Son départ précipité à New-York pour cause professionnelle est le prétexte pour laisser du temps à son homme de réfléchir à leur avenir. Pas toujours évident quand il doit aussi s’occuper d’Eugène, le petit garçon adopté par Félix, tout aussi, sinon plus gamin que lui (il le compare à Freddy Mercury quand il se met à pleurer !) ! On découvre alors un Monsieur Jean attentionné envers le petit Eugène et une fibre paternelle certaine, alors que paradoxalement il croit ne pas être prêt pour fonder une famille.

A ce titre Charles Berbérian commente : « Ce qui nous amusait dans cet album, c’était de montrer d’abord Jean hésiter à s’engager avec Cathy pour vivre à deux puis avoir des enfants et puis (par la force des choses, enfin, par le hasard de la vie) il se retrouve en même temps responsable d’un gamin pratiquement tout le temps. Donc c’est comme s’il en avait un. Lui ne se croit pas capable de pouvoir s’occuper d’un enfant et en même temps il se retrouve dans l’obligation de le faire et cela se passe relativement bien. Même le gamin s’attache à lui, il dit que si on lui laissait le choix, il choisirait Jean comme père. C’est cette situation-là qui nous intéressait à développer et puis surtout la position d’Eugène qui n’a pas de parents: Félix est son père adoptif, le vrai père d’Eugène, on ne sait pas qui c’est, la mère ne s’en occupe pas. C’est parce qu’on est en train de raconter une histoire et qu’en même temps, on aime bien comme ça ces petits détails idiots qui nous amusent et qui font que le récit… Enfin, ça énerve un peu le récit, quoi! »

Quelques petites scènes et anecdotes amusantes viennent ainsi émailler le thème plus grave autour de la relation entre Jean et Cathy : de l’anniversaire catastrophe à la perte des clés de l’appartement de Jean qui conduira Félix à l’hôpital après sa tentative ratée d’escalader la façade… La concierge Madame Poulbot, qui cultive sa mesquinerie, fera aussi quelques apparitions qui ne manquent pas d’humour.

Il n’est plus temps d’écouter le chant des sirènes qui lui apparaîtront en songe régulier (à la suite d’un conte raconté par le propriétaire d’un restau japonais) alors qu’il se noie dans ses pensées et ses interrogations. Des intermèdes oniriques que les auteurs affectionnent et avaient inauguré dans le tome 2 (Les nuits les plus blanches).

L’entrée dans la vie adulte se fait ici plus pressante avec quelques signes annonciateurs tels que le mariage d’amis proches, l’archétype parfait des bourgeois matérialistes, qui le replonge une fois de plus dans le passé. Chacun fait le point sur ce qu’il est devenu…entre divorce et enfants « sur les bras ». Une ancienne amie Marion de remarquer « De nous tous Jean est le seul à continuer à faire ce qui lui plaît et probablement le seul à ne pas avoir renié ses rêves d’adolescent. »

Un roman au point mort comme sa relation avec Cathy, un mystérieux tableau qui cache une histoire d’amour troublante (qui s’entrecroise avec le conte japonais sur la sirène) et peut-être la clé au dilemme qui tourmente Jean ?, un début d’infidélité avec une ancienne connaissance, la remise en question de son égoïsme… Monsieur Jean tangue sur les flots de l’incertitude, se laisse porter et finit par arriver à destination… Même s’il doit traverser l’Atlantique pour cela !

D’un point de vue stylistique, le duo affine ses effets de transition et d’ellipse pour passer d’un personnage à l’autre (de Jean à Paris et de Cathy à New-York) ou d’une scène à l’autre ou encore prolonger un dialogue comme une voix off sur une scène suivante dans un esprit très cinématographique ou encore des effets de zoom arrière comme sur la dernière scène à Central Park. Mention spéciale à l’histoire particulièrement émouvante du peintre Zdanovieff à l’époque Montparnasse dans les années 20 (une époque qui leur est chère et avec laquelle leurs dessins élégants aux courbes pures et un peu rétro en couleur sépia s’accordent parfaitement), amoureux de sa muse qui vient donner du relief au récit même si la métaphore est un peu lointaine… Autre originalité de l’album : il se compose pour la première fois d’une histoire complète et non de tranches de vie ou de saynètes comme c’était le cas sur les précédents albums, même si celle-ci se présente sous la forme d’une poupée russe renfermant des micro-histoires dans l’Histoire.

A ce sujet Charles Berbérian commente : « La vie est comme ça, c’est vraiment une cascade de petits évènements, de petites anecdotes qui mises bout-à-bout donne une espèce de direction comme ça. Et puis surtout, je le trouve dans l’écriture de certains des films de Truffaut et ça rend le film encore plus vivant. J’ai revu « Baisers volés » il n’y a pas très longtemps, il y a une espèce d’histoire dans l’histoire, y’a énormément de seconds rôles qui chacun ont leur petit… » Je m’inspire énormément, on s’inspire énormément en fait de cette manière-là de travailler. Je crois que comme on a envie de porter un regard comme ça sur le quotidien, sur les gens qui nous entourent, c’est le meilleur moyen en fait d’arriver à élaborer un récit sans qu’il y aie une intrigue… en restant dans le domaine de l’anecdote, mais sans verser dans l’anecdotique forcément, en tout cas de manière trop systématique. Une certaine mélancolie se dégage de cet album où l’insouciance se fait plus rare si ce n’est à travers le personnage de Félix plus puéril que jamais. Il s’agit d’un album d’introspection et de transition dans la vie de notre héros. Si cet album constitue un indispensable dans la « saga » Monsieur Jean, il lui manque tout de même un « je ne sais quoi » du charme des précédents…

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