« Un bref instant de romantisme » de Miranda July et « Les trophées de Constance… » de Nathalie Cachin : extraits

Après vous avoir vanté les mérites du très joli premier recueil de nouvelles de Nathalie Cachin « Les trophées de Constance et autres objets de désir », un autre recueil dans la même veine féminine et intimiste est aussi à l’honneur en cette rentrée littéraire de janvier, celui de la californienne de 33 ans, Miranda July (également réalisatrice du film « Toi, moi et les autres », caméra d’Or au festival de Cannes en 2005), dernière sensation littéraire Outre-Atlantique (Frank O’Connor award), répondant au titre attirant d’ « Un bref instant de romantisme ». Amusante coïncidence : en plus de partager des thémes proches, les deux auteurs ont aussi une couverture de lit, pardon de livre, très complémentaire ! Préférerez-vous le style fantasque et décalé de l’américaine ou la sensibilité douce de la française pour cette Saint-Valentin 2008 ?

A travers 16 nouvelles, Miranda July nous parle de féminité, de solitude, de relations humaines (voisinage…) ou encore de séduction sur un ton décalé voire surréaliste usant d’un humour par l’absurde toujours inattendu, à la frontière du grotesque. Chez Miranda July, les situations du quotidien basculent très vite dans l’insolite teinté parfois d’inquiétant. « La vie est ainsi c’est tout, brisée, et je suis folle de rêver d’autre chose. »
Une jeune femme apprend à nager à un groupe de sexagénaires… à l’aide de cuvettes remplies d’eau chaude dans son salon, une autre se met un beau jour en quête du prince William après avoir rêvé qu’il enfouissait son visage… dans ses fesses (sic !) ou c’est encore cette adolescente qui vit sa première expérience charnelle avec une mystérieuse forme noire et luisante qui lui rend visite chaque nuit…
Une des plus drôles reste celle ayant donné son nom au recueil qui décrit un cours thérapeutique visant à apprendre aux femmes à mener une vie plus romantique (voir extrait ci-dessous). A lire souvent au 2e voire 3e degré, son style (qui peut dérouter) rappelle aussi celui de sa consoeur Elisabeth Crane (auteur notamment du recueil « Feu occulte » et de « Banana Love«  qui vient de sortir) ou de Lorrie Moore (selon le journal « The independent »). Côté français on pourrait la rapprocher d’une Lola Gruber.

Extraits choisis d' »Un bref instant de romantisme » de Miranda July:
(Nouvelle « Majesté », l’héroïne cherche à comprendre son rêve du prince William) : « J’ai tapé « famille royale » sur un site web consacré à l’interprétation des rêves, ce terme ne figurait pas dans leur base de données, alors ensuite j’ai tapé « fesses » et appuyé sur la touche « interprétation », et voici ce que j’ai obtenu comme réponse : Voir vos fesses en rêve représente vos intuitions et vos pulsions sexuelles. Il y avait également marqué : Rêver que vos fesses sont difformes tend à prouver que certains aspects de votre psyché sont sous-développés ou blessés. Mais je n’avais pas à me plaindre de la forme de mes fesses, j’en concluais donc que ma psychée était développée, et la première partie me disait de faire confiance à mon intuition, de faire confiance à mon derrière, le derrière qui avait confiance en lui. »

(Nouvelle « Un bref instant de romantisme », pendant un cours pour apprendre à devenir plus romantique) :
« Pourquoi pensez-nous que nous soyons le seul animal qui embrasse ? Elle était revenue tout près.
Parce que la partie qui se trouve devant nos visages est notre zone la plus intime. Elle a pris une inspiration.
Voilà pourquoi les humains sont les seules animaux capables d’éprouver du romantisme !
Sous nos serviettes nous étions calmes et nous nous posions des questions. Comment savait-elle cela ? Et les chiens ? Les chiens ne sentent-ils pas ce que nous sentons, multiplié par cent ? Mais nous ne pouvions pas conforter nos doutes en échangeant des regards. sa voix vibrait avec une telle assurance qu’en la croyant on éprouvait une sensation de libération et d’évidence. (…)
Nous haletions (…)
Le romantisme n’est pas réel, et le monde sous votre serviette non plus. Mais comme vous êtes humaines vous ne pouvez jamais relever le bout de tissu. Alors autant apprendre à être la femme la plus romantique possible. Voilà ce dont les humains sont capables : de romantisme. Maintenant vous pouvez enlever la serviette.
 »

(Nouvelle « Mon plaisir », l’histoire d’une femme en couple bouddhiste qui cherche à commencer une « nouvelle vie ») :
« Je suis allée dans notre chambre à coucher et je me suis couchée par terre, pour ne pas défaire les couvertures. De là où j’étais, j’ai vu de la poussière et des vieux magazines, sous le lit, qui m’ont rappelé un dicumentaire sur les fourmis que nous avions regardé. Il existe des civilisations entières là-dessous toutes aussi actives que nos villes à la surface de la terre. Nous ne faisons plus l’amour. Je ne m’en plains pas, c’est de ma faute. Je suis allongée à côté de lui, j’essaie d’envoyer des signaux à mon vagin, mais c’est comme essayer de regarder les chaînes câblées sur un téléviseur qui n’a pas de branchement pour recevoir les programmes du câble. Mon esprit réclame de faire l’amour, mais mon vagin se contente d’attendre la prochaine fois qu’il aura envie de faire pipi. Il pense que son unique boulot c’est de faire pipi. »

Suite à la présentation du recueil « Les trophées de Constance et autres objets de désir » de Nathalie Cachin, voici un nouvel extrait (vous pouvez aussi télécharger une nouvelle complète, « Le coup du caddy », dans le précédent article) qui traite des rapports amoureux et de l’adultère virtuels (nouvelle « Second life ») :

« C’est une histoire moderne. On ne se parle pas, on s’envoie des textos, on ne transmet pas ses émotions en essayant de trouver la phrase juste, au contraire on déforme les mots pour toujours faire plus court. C’est comme un signal « je pense à vous maintenant » et je vous le transmets tout de suite. Mais ce « je pense à vous » s’adresse-t-il à moi ? Trouve-t-il excitant de penser à moi parce que c’est moi ou pourrais-je être n’importe quelle femme qui marche dans Paris et qui répond à son signal ?
C’est une histoire moderne où nous nous rapprochons sans jamais nous toucher, c’est une histoire sans corps. Est-ce qu’il a envie de me toucher parfois ? Essaie-t-il de se souvenir de mon corps quand il m’a vue dans cette brasserie ? Se souvient-il de mon visage ? Quant à moi, son visage, aimerais-je le toucher ? Je me promène près de chez lui. Un message de lui me dit qu’il n’est pas loin, je me retourne, je scrute des silhouettes qui lui ressemblent, j’ai l’impression qu’il me voit, qu’il me frôle. Il est là tout le temps alors que je ne le vois jamais, empiète sur ma liberté, invente une autre forme d’adultère. Un adultère confortable, il me possède comme une deuxième femme en restant irréprochable
. »

A lire aussi (Saint Valentin 2007): quelques extraits sur « le premier baiser », version littéraire d’Arnaud Cathrine à Fitzgerald en passant par Sagan, Bukowski…

1 Commentaire

  1. Si Emma Bovary pouvait lire ces nouvelles… Peut-être même en écrire… Je ne sais pas pourquoi, à la lecture de ces articles, je pense à elle.

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