« Dessous c’est l’enfer » de Claire Castillon, Entrez dans la fosse aux lions ! (+ interview vidéo de Claire Castillon)

Avec son sixième roman « Dessous c’est l’enfer », (qui annonce immédiatement la couleur !), Claire Castillon, « experte en contes cruels » selon l’expression du Monde des livres, continue de disséquer la féminité, le couple, le mariage, les relations hommes-femmes, la famille et l’enfance (malheureuse), de son regard noir charbon et de sa plume sardonique toute en ironie. Une certaine radicalisation se fait ici sentir, depuis son premier opus « Le grenier » où déjà elle réglait ses comptes avec la gente masculine (et les hommes adultérins en particulier). La violence des sentiments et des incompréhensions saupoudrée d’une certaine perversité prend le lecteur à la gorge et rend la lecture âpre… Verdict ?

« Un mari, c’est donc ça, pense-t-elle, une déception parmi d’autres, au moins la vie m’aura enseigné quelque chose. »

Claire Castillon fait partie de ces auteurs trentenaires dont les critiques évoquent plutôt le joli minois au détriment, souvent, de sa plume. Ce qui est le plus remarquable chez cet écrivain ce n’est pas sa beauté – réelle certes – mais le décalage entre ce qu’elle dégage et ce qu’elle écrit. Une altérité dont elle a d’ailleurs parfaitement conscience. « Mon physique ne reflète pas mon état intérieur et au fond, j’ai plus peur de l’image que je renvoie. Trop lisse, quand je me sens chaotique, ou le contraire. » confiait-elle en février 2006, à Madame Figaro. Introvertie, discrète, si timide qu’elle en devient intimidante ou au contraire, par moment, distante, froide, comme détachée ou absente, Claire Castillon se révèle acerbe, cynique, dérangeante, intraitable sur le papier. En six romans et deux recueils de nouvelles, la jeune femme n’a eu de cesse de détruire l’image satinée de l’écrivain glamour derrière laquelle elle fût cantonnée à ses débuts. Une injustice qui tend à s’estomper au fil de ses publications.

La première impression de ce roman à l’ambiance lourde se confirme une fois l’opus refermé. Dire qu’il ne reste qu’une impression serait réducteur et plus encore, faux. En revanche, il faut un peu de recul pour tirer ses idées au clair après cette lecture un rien déstabilisante. Le style Castillon est haletant. Il prend à la gorge. Les mots tombent comme des couperets. Les jugements sonnent comme des condamnations. Les portraits – domaine dans lequel l’auteur excelle- sont saisissants. Le tout est servit par des phrases courtes, passablement ponctuées, hachurées à l’instar des pensées de la narratrice. Le lecteur doit faire l’effort d’entrer dans la course des mots de l’auteur pour espérer prendre place dans le récit.
Un effort ? Oui ! La romancière confie « être complètement à l’intérieur d’elle-même » au moment de l’écriture. Même si par la suite, le lecteur se glisse dans l’histoire, pénétrer la bulle Castillon n’est pas aisé. Du moins pour les premières pages. D’autant que l’écrivain pousse ses lecteurs dans la fosse aux lions, sans préambule ni introduction.

L’histoire de « Dessous, c’est l’enfer » est comme un puzzle intergénérationnel dont nous découvririons les pièces une à une, sans toujours savoir où les placer. Tout ne prend réellement forme et sens qu’une fois la lecture terminée. Le déroulement narratif s’avère complexe. Plusieurs histoires d’une même famille se juxtaposent d’un paragraphe à l’autre. La narratrice passe d’une idée à l’autre sans que le fil de ses pensées ne soit toujours explicite. En dehors de quelques dialogues, le récit est principalement axé sur la transcription d’un monologue intérieur, sur l’évocation des souvenirs d’enfance de cette « voix off ». Les personnages n’ont ni prénom ni nom, mais des qualificatifs ou des surnoms presque pas d’identité en somme. Ils sont réduits à des rôles, des places au sein d’une lignée.

« Un an que l’âne et moi nous sommes rencontrés, et, du brouillard dans aux yeux – ou est-ce lucide et calme ?-, j’ai emprunté la route qu’il avait balisé, dîner, promenade, promesse, voyage aux antipodes. Mais, autour, les sentiers aux arbres noueux et forts, aux racines en pagaille, aux chimères invaincues, m’attendent. Je vais quitter la route.« 

La narratrice est écrivain, et accessoirement fiancée à un homme surnommé « l’âne » qu’elle supporte plus qu’elle ne l’aime. En sa qualité d’auteur, elle ne cesse d’observer et de décortiquer les moindres faits et gestes ou mots de son compagnon, comme elle le fait avec sa famille. L’image du couple vole ici en éclats. « L’âne » n’existe à ses yeux qu’à travers ses défauts. Il perd donc toute valeur, tout intérêt. La protagoniste se détourne donc, et focalise son attention sur l’homme, archétype du macho, qu’elle croise régulièrement au café où elle a ses habitudes. Elle en fait sa planche de salut. Loin d’être seulement un caprice, ce désir de fuite, d’un autre est en fait une tentative désespérée de couper court à une malédiction familiale. Elle a étudié sur trois générations les rapports homme-femme et en a conclut que sa grand-mère, sa mère et sa grande sœur avaient été condamné à n’être que les servantes de leurs époux. Un statut que la narratrice refuse fermement. Elle repousse alors l’amour de « son âne » pour échapper à toute sorte d’enfermement. Mais les lecteurs la découvrent aussi emplie de colère, incapable de s’ouvrir à l’autre, de dépasser ses blessures d’antan et d’accepter ses propres sentiments de béatitude, aussi fugaces soient-ils.

Claire Castillon use de mots crus, violents. Sans concession, elle raconte le sordide avec cynisme et dérision, fait fi de la pudeur et des secrets de famille. En filigrane cependant, elle garde une certaine poésie. Son héroïne, bien qu’emportée n’en est pas moins femme. Elle n’est plus fragile qu’elle ne veut se l’avouer. Son désir d’être aimée parfois semble la déstabiliser elle-même. Elle plante sans fin ses ongles dans sa peau, joue les dures. Elle en souffre, comme elle se libère. La famille et ses legs sont des poids dont elle souhaite sinon se débarrasser, se tenir à distance.

C’est donc encore un roman empreint de noirceur, un brin désabusé et patiné de cynisme mais qui comporte bien des sentiments nuancés que livre ici Claire Castillon. Avec toujours en filigrane cette dévastatrice envie d’être aimée finalement… [Anne-Laure Bovéron]

Voici un extrait choisi de « Dessous c’est l’enfer », situé au début du roman et qui plante le décor (l’amoureux refoulé mais gentil, l’écriture, la haine latente, l’évocation des souvenirs en creux … et le « portrait » de l’âne…). Les portraits de Claire Castillon sont ainsi construits par touches. Pas de chapitres consacrés cependant à un personnage : juste quelques mots précis, à un instant…, ce qui en fait l’originalité.

« J’ai demandé du temps pour répondre oui ou non. L’âne a décrit sa flamme, profondeur, poids, mesure, mariage, si ça me plaît. Il veut s’occuper de moi. Tout en commun, dit-il, ensemble et pour la vie, la route et les chemins, même l’univers intime, on le cultive sous le nez de l’autre, même la question du chat à offrir à sa mère. Il faudra que je pense à décrire la tête de l’âne, endive, enfant de choeur, poire cuite, à ce moment-là. Un bébé chat, tu parles, un chaton pour sa mère, une formidable surprise, dans un panier ou pas, noeud rouge, noeud blanc ? Mariage donc, tout ensemble, il le jure. Je garde juste ma mort et mes souvenirs, enfance, adolescence, adulte et adultère. Une belle fête, promet-il, une robe de princesse, un buffet, un orchestre, des bougies, des roses pompon, et des casseroles fixées au cul de la voiture pour crever mes tympans. Je dois pourtant reconnaître que ces klaxons aussi me rappellent quelque chose. Et, parfois, je pense que l’âne sait très bien où je voyage dans les textes que je lui cache. Délicat, il ne touche pas aux feuilles que je pose sur le piano, il les déplace seulement pour jouer, il sait que nos deux musiques ne peuvent pas s’accorder. Tant que tu n’as pas fini, je ne te demande rien, écris et oublie-moi, dit l’âne à mon oreille, juste avant que les klaxons ne reprennent. »

> Voir une interview vidéo de Claire Castillon au sujet de son roman « Dessous c’est l’enfer »

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