Les accommodements raisonnables : Jean-Paul Dubois retrouve le souffle d' »Une vie française » (chronique comparée)

Après « Hommes entre eux », relatif à l’étrangeté et « …Monsieur Tanher », roman plutôt comique, -qui m’avait laissée sur ma faim-, Jean-Paul Dubois retrouve avec Les accommodements raisonnablesun souffle romanesque virevoltant digne de son roman de 2004, le sus-nommé « Une Vie française ». Jean-Paul Dubois a écrit et déployé le grand roman que nous attendions. Et son accueil par la critique fut fort bienveillant. Frédéric Beigbeder nous avait prévenu dans sa chronique Lire d’août dernier en nous disant, que le nouveau roman de JP Dubois lui avait permis de « retrouver avec jubilation la mélancolie ordinaire de l’auteur » (cela n’étonnera personne, je suis d’accord !)

C’est un roman tragique et drôle, qui jette sur son époque un regard lucide. C’est le livre de la maturité avec toujours le charme des héros de Dubois. Grands et éternels adolescents partagés entre leur instinctive culpabilité et les amours évanescentes de leur vie. J’ai trouvé que l’auteur maniait avec habileté et facétie les jeux de miroir. Les manques de ses personnages, leurs paradoxes, leurs contradictions, leurs failles, leurs petites hypocrisies quotidiennes, les mensonges ou plus exactement les non-dits s’expriment dans ce va-et-vient permanent entre ce que dicte l’apparence et que montre la face cachée. Ne s’agit-il pas de décrire des existences un peu sommaires qui tiennent comme elles peuvent, et résistent par la seule puissance de ces petits accommodements, ces concessions, que chacun de nous fait en accord avec lui-même pour parvenir à vivre avec l’autre ?
Dubois dresse le portrait d’hommes et de femmes victimes d’eux-mêmes, aspirés par la vie, qui se cherchent et se perdent, quand ils ne se retrouvent pas pour mieux s’en aller encore. A travers la vie d’Alexandre paradoxal, qui envoie paître tout un passé pour épouser une vie qu’il a toujours farouchement rejetée, à travers Anna qui elle, préfère s’ . »exiler » dans un état semi comateux pour ne pas affronter les épreuves de l’existence, à travers Paul qui s’évanouit et se perd dans une vie insensée. Se brûlant par tous les bouts pour mener une vie dérisoire dans un milieu conspué de vacuité qui ne lui apporte rien. C’est un roman abouti qui nous renseigne sur nos compromissions sournoises, que l’on fait pour embaumer, sans illusion toutefois, le quotidien usant et somme toute délétère.

L’analyse est bien vue sur nos pactes muets avec nous-mêmes, nos lâchetés silencieuses. Tout ce que l’on fait pour mieux vivre en croyant se regarder en face alors que les Accommodements signifient AUSSI nos petits arrangements avec des principes inavouables, pour ne pas dire obscurs, à travers ce même Alexandre qui se venge d’un frère qu’il a toujours jalousé. Et d’un coup, ona ce retraité tranquille qui règle ses comptes avec ses fantômes et qui, par le truchement d’un mimétisme sidérant, endosse la vie de l’autre, jusqu’à épouser sa compagne et devenir, lui aussi, cet ennemi qu’il a toujours fui, cet être condescendant qu’il réprouve, c’est-à-dire lui-même ! Accommodements aussi avec le devoir, à travers Paul qui fuit cette tragique épouse ruinée pour oublier une vie de couple inexistante mais tombe amoureux de son sosie, préférant un double encore présentable pour s’apercevoir à moyen terme que la seconde est tout aussi déchirée que la précédente.

C’est sur la culpabilité, sur le prolongement et la persistance à l’infini de nos faiblesses, de nos regrets, de nos déchirures, sur notre faculté à reproduire nos erreurs, nos amours sans jamais éprouver le sentiment d’avoir été vaincus par notre incompétence à changer les choses que le roman de Jean-Paul Dubois convainc. Sitôt refermé, il laisse une trace sur la nécessité d’assumer sa vie, sur les rapports humains, nos liaisons, nos déliaisons, nos ruptures. C’est un bon roman, qui gagne en intérêt au fil des chapitres et auquel on pense après coup, comme au sortir d’une salle de cinéma.

Tous les thèmes fondamentaux de Dubois sont abordés. Deux points. Il y a d’abord Toulouse, que l’on a retrouvé dans des précédents romans, et un anti-héros qui se prénomme toujours Paul. Dans « Une Vie française », Paul Blick a huit ans lorsque son frère meurt brutalement le jour où la France entérine la Vème République. Tout le long du roman, on suit Blick qui hésite entre désir de révolte, confort bourgeois et recherche d’un absolu désillusionné. A propos de Paul, Dubois récemment confiait qu’en une vingtaine de livres, tous les narrateurs se prénommaient Paul, -la moitié de son prénom – et que l’on pouvait arithmétiquement considérer que ces romans ont une part de lui-même et que, lorsqu’il écrit, il prête sa voix. (on notera que Dubois ne parle pas d’auto-fiction). Comme Dubois, Paul et ses colistiers habitent Toulouse, ont du mal avec la vie, et plus guère d’illusions. Les femmes viennent de les quitter, ou s’apprêtent à le faire. Ils ne savent rien, si ce n’est que l’amour est mort, comme dans la chanson de Nicoletta et qu’il reste les rayons tièdes de la tendresse indéfectible qu’ils éprouvent pour ce qui a été, le reste se délitant irrémédiablement sous leurs yeux. Paul et les autres, dans leur fatalisme, nous ressemblent. Parce que la vie alimente toujours la construction et la genèse d’une histoire. L’HISTOIRE DE NOS VIES. Faire la part entre ce que l’on raconte et ce que l’on croit avoir vécu alimente les romans sur les vies familiales et l’essence même des familles sont fondées sur toutes les formes d’Accommodements raisonnables que l’on peut imaginer. Je me répète, pardon, mais ce sont les négociations plus ou moins intimes et plus ou moins avouées. Je pense que Dubois peut-être eu envie de comprendre pourquoi la nébuleuse familiale comporte une bonne dose de toxicité et que cette réflexion passe par ces exercices de rapprochement et d’éloignement successifs et par leur narration….

Autre point : les romans de Dubois parlent toujours du temps, du parfum de l’époque. Ils dressent toujours en filigrane un regard critique sur notre époque et sur le fil de l’histoire.. Dans « Une vie française », Paul Blick, déjà évoqué, décrit la famille de son enfance, déplaisante, surannée, réactionnaire, terriblement triste. C’est sa Vie Française, relatée de Charles de Gaulle à Jacques Chirac, des premiers baisers aux premiers cheveux blancs, à laquelle chacun peut s’identifier, Vie Française inscrite dans une histoire en marche, subissant le monde autant qu’elle le construit.
Les Accommodements raisonnables, eux, se déroulent pendant les douze mois qui ont précédé et succédé à l’élection présidentielle en France en 2005. Cette période constitue le décor de l’histoire mais révèle aussi l’absence de « surmoi » * et les traits qui caractérisent l’époque et que Dubois marque au fer rouge. Sur les passages qui se passent en France d’abord. Durant la campagne électorale, beaucoup de choses invraisemblables se sont dites et faites. Je pense que Dubois a parfaitement saisi et exploré, au niveau d’une famille, cette sensation d’éclatement et de manque de retenue, PROPRE A L’EPOQUE entre des hommes et des femmes, qui se livrent entièrement et se retrouvent au cœur de chaque chose. Reprenons : dans le livre, à travers Selma, le narrateur est confronté à la tentation de croire qu’il est possible de retourner dans le passé, de retrouver quelque chose qui n’est plus, de recommencer ce que l’on n’a jamais eu le temps d’achever, façon de souligner entre parenthèses sa peur de vieillir. Et sa lâcheté. L’illusion fonctionne jusqu’au moment où le narrateur de plus de 50 ans se voit dans la glace au côté de cette nouvelle compagne qui lui rappelle qu’UNE EPOQUE est irrémédiablement terminée.

C’est particulièrement vrai dans les passages qui se passent aux Etats-Unis. Où les Etats-Unis apparaissent comme un pays dépourvu de surmoi. Contrairement à la France, la société américaine ose dire et faire un certain nombre de choses qui constituent encore pour nous des tabous. Un certain nombre de tabous sont parfois nécessaires pour préserver le bon fonctionnement et le respect des mécanismes sociaux élémentaires. Or l’Amérique, on le sait, est l’incarnation parfaite du libéralisme où tout semble plus simple mais aussi plus volatile, plus volage, plus délétère, où tout peut se faire puisque quelque part, à l’image d’un Dieu omnipotent, le « marché » se chargera de réguler et d’éliminer.** (cf les romans de nos amis américians contemporains). Voilà. C’est ce que j’ai sans doute préféré dans ce roman profond, mélancolique et grave, traversé avec un sourire aux lèvres et un sentiment de nostalgie : l’analyse circonspecte de nos tranches de vie, vues d’ici et d’ailleurs, juxtaposées, décuplées à l’infini comme des histoires à tiroirs, saisissant la marche du temps ou le prenant à rebrousse-poil. J’ai aimé l’art de Dubois de passer au peigne fin nos situations, notre réalité, notre hypocrisie, nos arrangements avec nous–mêmes, nos déboires. Nos désillusions. Nos espoirs. [Laurence Biava]

Extrait choisi, page 81 de Une vie française
« Il fallait tenir jusque-là, partager avec elle ces moments étranges, à la fois totalement irréels, et pourtant élaborés à partir des lois élémentaires de la physique et des mathématiques. De toute façon, il se trouverait bien un jour que par le monde, un imbécile pourrait nous demander où nous étions le soir, où des hommes avaient pour la première fois marcher sur la Lune dans le confinement de nos vies respectives nous pourrions alors nous souvenir que nous étions l’un près de l’autre dans ce lit protecteur au fond de ce motel basque dont certaines chambres proches de la falaise donnaient le sentiment de lâcher prise et de glisser doucement dans l’océan. »

Extrait choisi, page 135 de « Les Accomodements raisonnables »
« Finalement, les mariages ressemblent aux enterrements,. Ils annoncent des changements brutaux, des restitutions de rôles et des prises de pouvoir au cœur des familles. Les Stern n’étions pas pire que d’autres, de générations en générations, nous nous transmettions simplement notre compote de gènes originels, avec l’espoir secret que tout nouvel arrivant renforçât le patrimoine. »

3 Commentaires

  1. Ca m’énerve VRAIMENT de lire cette chronique et pourtant c’est une amoureuse des romans de Jean-Paul Dubois qui parle.

  2. les Etats-Unis apparaissent comme un pays dépourvu de surmoi. ))))) n’exagérons rien…

  3. @Alexandra: il suffit de cliquer sur mon nom sur mon premier commentaire 🙂

Répondre à Dahlia Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.