Michel Houellebecq et moi : Histoire d’une rencontre littéraire (1)

A l’occasion de la sortie d’ « Ennemis publics », le livre de correspondance entre Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy, j’ai eu envie de revenir sur mon rapport personnel à l’œuvre de l’auteur des Particules élémentaires.

Loin des polémiques stériles ou des déclarations « clash », j’aimerais essayer d’expliquer pourquoi Michel Houellebecq fait partie de ces quelques auteurs (contemporains en tout cas) qui ont marqué mon « chemin » de lectrice. Avec le nombre de réactions/analyses suscitées à chacun de ses livres, on pourrait en écrire 10, du coup on ose pas forcément en rajouter une couche… Tant pis, je pollue quand même d’une cyber-page de plus l’océan des pages web déjà consacrées au plus célèbre touriste de Thaïlande…

CHRONOLOGIE
Tout d’abord, je dois préciser que je n’ai pas découvert Michel Houellebecq « en direct » mais avec un léger différé (train de retard, oui si vous voulez ). En effet, c’est seulement en 2001 que mes yeux de lectrice (du dimanche) ont fait connaissance avec sa prose.

Je n’en avais (shame on me !) alors jamais entendu parler… Ce fut donc un parfait (et heureux) hasard. Rewind : Je me baladais donc à l’aveugle entre les rayons d’une fnac quelconque, en quête de quelques nourritures spirituelles (j’étais alors dans ma période « J’ai envie de me remettre à lire » après une longue « diète » voire vacuité, avouons-le, littéraire) quand je suis tombée sur un livre poche au titre bizarre : « Les particules élémentaires ».

Je le saisis : j’aime bien la photo du type un peu à l’ouest avec sa clope et son vieux sac plastique. Je lis une mention « Les particules élémentaires, arrêtez d’en parler, lisez-le ! », oui pourquoi pas. Ensuite je tourne et je lis « chronique du déclin d’une civilisation – la nôtre… », bien, bien… Et enfin, je vois un logo en forme d’empreinte de main avec la mention « Nouvelle génération », tiens sympa cette collection…

Voici comment le premier roman de Michel Houellebecq s’est retrouvé entre mes mains. Pas de bouche à oreille, pas de buzz. Rien, je dois le confesser un peu honteusement…

A la suite de cette première lecture, je me suis dit (je crois) que c’était un auteur intéressant, avec une grande modernité, que je n’avais jamais rien lu de commun et donc que je creuserai son œuvre.

Quelques temps après, je lisais donc « Extension du domaine de la lutte » et là, le choc littéraire a été beaucoup plus significatif. Je me suis ensuite attardée sur ces différents recueils de poésie Le Sens du combat, Rester vivant et Renaissance regroupés dans La Poursuite du bonheur

Bon là, autant dire que je ne m’en suis pas relevée. Je m’y suis arrêtée très longtemps et j’essaie d’y revenir régulièrement. Ce sont vraiment des (chef d’) œuvres qui m’ont bouleversée et hantée d’une certaine manière. Dés que j’en relis un vers, je suis toujours subjuguée. Pour moi, « Les fleurs du mal » de la fin du XXe siècle.

Même si je sais que quelques esprit grincheux aiment à le traiter de « Baudelaire des supermarchés » Contrairement à certains lecteurs j’ai particulièrement apprécié sa forme classique en vers (alexandrins, sonnet, etc).

Ensuite je n’ai pas suivi ces nouveaux romans, j’ai relu « Les particules… » et « Extension… ». Les thèmes de Plateforme (la prostitution et l’islam) ne me tentaient pas de même pour La possibilité d’une île (toujours pas lu à ce jour mais j’envisage de le lire, par contre le film je ne sais pas…). Finalement je me suis décidée à lire Plateforme… cet été. Et j’ai trouvé ça intéressant, un peu la même sensation qu’après Les particules, même si j’ai moins accroché. Je suis contente de l’avoir lu et ne regrette pas d’avoir attendu, c’était le bon moment pour moi. Beaucoup d’idées m’ont interpellée, en particulier l’évolution (de plus en plus pessimiste) de sa vision de la séduction et de la sexualité occidentale, mais le livre pêche par sa trop forte dimension politico-économique (qui l’a d’ailleurs étouffé par des polémiques et un procès kafkaïen) au détriment du romanesque même si la construction narrative est au cordeau (et les descriptions des groupes de touristes savoureuses !). Globalement, je constate un intérêt chronologique décroissant (mais toujours vif) au fil de ses œuvres.

POURQUOI MICHEL HOUELLEBECQ ?
« Nous ne lisons que pour avoir la confirmation de nos pensées« , disait Anaïs Nin en citant Gide.
C’est probablement vrai. En tout cas c’est ce que je recherche sans doute inconsciemment en lisant.
Je partage ainsi bon nombre de ses obsessions littéraires (sans être pour autant toujours d’accord avec lui). En premier lieu c’est donc l’écho suscité par la pensée et la sensibilité houellebecquiennes qui m’ont particulièrement enthousiasmée.

Et pour commencer son rapport à l’enfance, un de ses thèmes récurrents, j’ai rarement lu un auteur exprimer si bien la perte de ce paradis perdu et la nostalgie de ce bonheur pur et simple. Ensuite c’est cette quête du bonheur justement, cette poursuite presque animale qu’il n’a de cesse de mener contre le désespoir, la détresse, l’effroi de la solitude et la folie qui guettent ces personnages. Ces derniers constituent bien sûr la marque de fabrique de l’écrivain, virtuose pour les décrire dans toute leur nudité la plus crue et la plus violente afin de les faire ressentir avec une acuité incomparable.

Il est allé plus loin dans cette description que quiconque (à part peut-être un Artaud) et a ainsi mis à jour, outre sa théorie du libéralisme sexuel, des réalités plus subtiles tel que par exemple l’effacement progressif des relations, l’individualisme effréné et inévitable de nos sociétés occidentales qui nous broient, ce sentiment profond de solitude et de vie en forme d’impasse existentielle. A tel point qu’il est devenu désormais difficile pour un jeune auteur de s’approprier ces thèmes sans passer pour un sous-Houellebecq. Je me permets de citer à ce propos un blogueur (Chic type -http://chictype.hautetfort.com-, je vous recommande de lire la « première saison » de ce blog qui hélas a perdu, depuis, de son intérêt…) dont la prose s’inscrivait en effet dans cette veine et qui évoquait ce « méfait » :

« Être comparé à Houellebecq est ennuyeux, être comparé à un auteur vivant est toujours ennuyeux, on est toujours après cet auteur, alors qu’on veut être un autre auteur. Certes il fait parti de ceux qui m’ont marqué, mais bon, on pourrait aussi me comparer à Beigbeder, Moix ou Despentes, dans le genre « désespéré pas mauvais bougre qui rate sa vie et place ses derniers espoirs dans l’amour», qui était, à la relecture, un peu le thème de mon blog d’avant. »
David Foenkinos le déplorait aussi à propos des pages sur la misère sexuelle dans son roman « Qui se souvient de David Foenkinos ? »

Ensuite c’est l’émotion (parent pauvre des discours actuels sur la littérature et terme malheureusement bousillé par TF1) : Michel Houellebecq me touche, me bouleverse. En particulier sa poésie d’une puissance déchirante.
Il arrive à saisir ce malaise sourd, impalpable et indicible, cet étau qui dévaste avec des mots extrêmement simples. Ce qui m’a le plus frappée ce sont les liens souterrains qu’il établit entre les objets, les corps, les sentiments, la nature, l’espace, le vide et l’environnement urbain. Son lyrisme clinique. Deux termes a priori antagonistes mais qu’il arrive à conjuguer pour créer ses fameuses « métaphores inédites » et atteindre justement un autre niveau. Un niveau multidimensionnel, une hyper-réalité. La force des ses écrits vient de là je pense.

L’émotion naît aussi (et est accrue) du contraste entre sa noirceur très dure, son cynisme parfois grinçant voire glauque sur la condition humaine, la société et d’un autre côté son romantisme absolu, ses prières d’enfant blessé, apeuré, abandonné par sa mère. Sa misanthropie/ rejet du monde n’a d’égal que sa volonté d’être aimé et accepté. Ainsi un poème comme « La possibilité d’une île » côtoie des pages de masturbation sordide devant le minitel rose après avoir bourré de somnifères le biberon du bébé pour avoir la paix…

Je regrette la radicalisation qu’a pris son œuvre où malheureusement le premier a pris le pas sur le deuxième et rompt cet équilibre qu’il avait jusqu’alors.

Ce que j’aime enfin c’est qu’il n’y a pas vraiment d’espoir de type « la vie est belle malgré tout» ou ce genre de conclusion d’optimisme forcené, ce truc chiant voire horripilant très film américain. Non les choses ne s’arrangent pas et il a l’honnêteté de le dire. « Je n’ai aucun message d’espérance à délivrer. » (Plateforme).

Les romans de Michel Houellebecq finissent en HP ou à la morgue et c’est très bien ainsi. Même la tentation suicidaire qui habite ses pages ne saurait constituer un échappatoire: « L’absence d’envie de vivre, hélas, ne suffit pas pour avoir envie de mourir. » écrit-il encore dans Plateforme. Je ne trouve qu’il n’y a rien de plus beau qu’une fin tragique où les amoureux finissent dans le fossé comme dans « Le facteur sonne toujours deux fois. » [Alexandra pour Café livres/L’Express]

(la suite prochainement…)

2 Commentaires

    • phiphi sur 15 septembre 2009 à 18 h 37 min
    • Répondre

    j’ ai à peu de choses prés la meme analyse que vous sauf que ce génie d ‘ecrivain s’améliore avec le temps:regardez le style et la construction de ses deux derniers romans!

    • webful sur 22 décembre 2009 à 11 h 30 min
    • Répondre

    La possibilité d’une île. Pourquoi attendre pour le lire ? C’est un voyage intérieur, fantasmagorique, et délicieusement pessimiste. Un déni de l’homme, une quête perdue d’avance. La dimension poétique rejoint ici le mythe. Comme c’est du Houllebecq ça décape, c’est acide, pas confortable du tout. Houellebeck vous pose sur un tabouret et vous oblige à rester là, dans l’inconfort le plus total. A croire que c’est la condition nécessaire pour s’aborder.

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