« Le roman et la vraie vie », dialogue entre Olivier Adam et Irvine Welsh

Trente ans de classe ouvrière écossaise sur fond de rock, de foot, de bastons et de libéralisme destructeur. Irvine Welsh, l’auteur de Trainspotting, revient plus électrique et vitaminé que jamais avec Glu, son nouveau roman. Vendredi 13 mars 2009 – 12H-13H / La Place des livres / Littérature Animé par : Le Dref Bruno (Rédacteur en chef de la rédaction de France 2) L’écrivain très en vogue Olivier Adam dialogue avec Irvine Welsh, un grand de la littérature écossaise (« Trainspotting ») rarement visible en France. Inspirations sociales croisées, entre vie réelle et fiction. Invités: Olivier Adam: « Des vents contraires » (L’Olivier ») Irvine Welsh: « Glue » (Le Diable Vauvert)

Dès les premières pages, on est happé par un verbe vif, épicé, drolatique, langue orale de Terry, Carl, Billy et Gally, orties poussées en graine dans le béton des cités d’Edimbourg, narrateurs croisés de cette saga picaresque se déployant sur les trente dernières années. Auteur du déjà formidable Trainspotting, Irvine Welsh réapparaît ici au meilleur de sa forme, racontant avec une verve inextinguible les aventures de quatre prolos écossais depuis le début des années 70 jusqu’à aujourd’hui. Le premier mouvement de ce récit, c’est donc l’adolescence, quelque chose comme Les 400 Coups et L’Enfance nue regardés avec un oeil à la fois cru et légèrement cartoonesque. Casses minables, drague à donf, bastons avec les supporters des Glasgow Rangers pour égayer un peu le samedi, soirées entre Wimpy et discothèques de seconde zone, rivalités masculines débiles, dimanches à périr d’ennui au pied des barres, lundis à se faire prendre la tête par le surgé… On apprend la généalogie des rivalités entre clubs, qui remontent à des temps beaucoup plus anciens que le foot (affaires de religion, ou de relations à la couronne britannique…), on “voit” la topographie des différents quartiers d’Edimbourg, on “sent” l’odeur des fish & chips, on lit les paragraphes les mieux sentis et les plus drôles sur l’obsession des garçons de 15 ans : planter son drapeau pour la première fois en terre promise féminine. C’est vif, c’est bidonnant, certains passages feront frémir les associations féministes ou les antennes de la SPA, mais ce sont les gars qui racontent au ras de leur vécu, donc sans recul ni jugement moral (lequel passe quand même dans quelques scènes présentant le point de vue des parents). Et puis il y a cette langue vernaculaire, électrique, qui se déploie aux sons de Clash, Jam, Cockney Rebel (ou Elvis pour les parents). Dans les années 90 puis 2000, le roman initiatique ado vire au désenchantement. La techno remplace petit à petit le rock. Il faut gagner sa croûte. Le chômage se développe. La cité se détériore. On met sa copine enceinte à 20 ans. Elle vous quitte pour le voisin. Votre fille vous reconnaît à peine et appelle son beau-père “papa”. Il y a la taule, le sida, la mort. Avant, on se mettait sur la gueule avec les Glaswegians pour se distraire le week-end, maintenant c’est la vie qui se charge de vous mettre des claques dans la tronche, et c’est moins marrant. Heureusement, il y a la “glu”. Pas seulement la colle que l’on sniffait ado, pas seulement ce qui vous scotche à votre condition sociale, mais l’amitié, la solidarité, le bien sans doute le plus précieux des prolétaires. Car malgré les difficultés de la vie adulte, malgré la grisaille promise aux enfants de la classe ouvrière, le livre ne verse jamais dans le pathos ouvriériste : il reste la débrouille, les combines, de minces issues possibles dans le sport ou la musique (à condition de frayer avec des réseaux mafieux), et surtout le parler savoureux, retranscrit avec inspiration et justesse par Irvine Welsh (et par la traductrice, Laura Derajinski, qui réussit à faire oublier que c’est traduit). Au final se dessine une vaste fresque sur le prolétariat écossais mais, comme disait Renoir, plus c’est local, plus c’est universel. On reconnaîtra ici tous les peuples de toutes les técis du monde occidental, avec en filigrane trente années de culture populaire britannique, de libéralisme hardcore et de saccage social. Entre Les Affranchis et les Dalton, Loach et Scorsese (mais plus Marty que Kenny), Zola et Hornby (mais plus Nicky que Mimile), Glu est un livre électrique, un splendide hommage au génie particulier de la classe ouvrière écrit dans une langue chargée d’humour et d’adrénaline.

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