« Néfertiti dans un champ de canne à sucre » : Quand Philippe Jaenada tente d’écrire son « 37°2 le matin »…

Philippe Jaenada publiait en 1999 « Néfertiti dans un champ de canne à sucre », après le succès de son premier roman Le chameau sauvage, prix de Flore 1997. Il confirmait ainsi son talent pour les histoires d’amour insolites et cocasses portées par des anti-héros trentenaires aussi maladroits qu’attachants. Toutefois la désinvolture et la légèreté prennent ici des accents plus sombres voire violents (et amorcent son quatrième roman dans la même veine, « Le cosmonaute », qui en est en quelque sorte la suite). Un roman qu’il qualifie de « très lourd à porter » et de « très intime ». A travers cette histoire de « star-crossed lovers », il nous raconte sa rencontre avec une « Betty Blue » qui l’entraîne dans une passion aussi intense (et torride !) que destructrice. Malheureusement contrairement à Djian, le récit, qui ne manque pas d’étincelles, finit par piétiner, à l’image de ses deux personnages, faute de vrai crescendo…

Titus, l’anti-héros et narrateur de « Néfertiti dans un champ de canne à sucres », est « nul en amour ». En plus de 30 ans, il a rencontré une « ribambelle de filles » dans sa vie mais n’en a jamais vraiment aimé aucune. Jusqu’au jour où ses yeux se posent sur Elle. Cette « extra-terrestre » venue prendre un verre et lire du Bukowski ou du Faulkner (la dame est une lectrice insatiable et a plutôt bon goût comme le révèlera l’énumération de ses différentes lectures tout au long du livre dont une certaine Virginie Despentes…), dans son repaire habituel : le Saxo bar.
C’est ce que l’on appelle un coup de foudre dans tous les sens du terme.
Car cette charmante jeune femme à l’étrange goût vestimentaire (fagotée « comme une paysanne lâchée dans les rayons d’un Carrefour oublié par les fournisseurs depuis vingt ans« ) se révèlera en effet foudroyante… et hors du commun. « Elle porte une robe de bal en satin rouge vif, une robe immense et somptueuse que n’auraient peut-être pas osé porter les belles dames du siècle dernier, et des escarpins noirs à talons aiguilles. Ses cheveux sont défaits avec un papillon rouge et vert étincelant quelque part dedans. Hormis le costume (et le décor), elle ressemble à Néfertiti dans un champ de canne à sucre. »

Jaenada (photo ci-contre, Salon du livre 2009), avec son sens du détail (qui tue), de la métaphore et de l’anecdote décalé entreprend donc de nous conter cette histoire d’amour fatale entre ces deux personnages hauts en couleur. Depuis les préliminaires d’approche de la Belle jusqu’à leur première nuit ensemble en passant par leur emménagement (et l’évincement de son ex, un photographe libidineux de seconde zone) jusqu’à leurs périples de jeune couple notamment à New-York (sur Tout ceci est bien sûr prétexte à mille et une digressions, la marque de fabrique de l’auteur, sur l’enfance et l’adolescence pathétiques du narrateur entre une mère alcolo et un père avec « la foudre dans ses poings », ou encore ses nombreuses visites médicales, du dentiste (« Le forcené en blouse se met à massacrer ma dent par tous les moyens possibles, il change d’arme sans arrêt, des trucs qui poncent, des trucs qui creusent, des trucs qui pulvérisent, des trucs qui soufflent… ») au radiologue… Ce qui donne lieu à des descriptions drolatiques (« Je pense que si une centaine de moustiques japonais avaient choisi mes jambes comme décor pour jouer un remake miniature de Pearl Harbor en costumes d’époque, le résultat serait à peu près identique. ») aussi bien côté salle d’attente que cabinet.

Parmi les scènes d’anthologie, on retiendra tout particulièrement le « mode d’emploi » à base de théories et autres manœuvres de Titus pour « niquer avant le lever du soleil ». Vous découvrirez entre autre la théorie du « thermos rempli de nouilles tièdes » (féministes s’abstenir !), les différents « réglages » ou encore la fameuse « prise de la cuisse » !

Le sexe est en effet très présent dans ce roman, voire omniprésent, ce qui aura pu choquer certains lecteurs/ices. Peut-on pour autant qualifier « Néfertiti dans un champ de canne à sucre » d’ « érotique » ? Il est vrai que ces scènes sont particulièrement intenses et… détaillées. La première phrase du roman donne d’ailleurs le ton : « J’aime baiser le matin, ça me tue. Tu te réveilles, tu baises, t’es morte. J’adore ça. »
La dulcinée de Titus est en effet dotée d’une libido frénétique voire de tendances sado-maso.
L’auteur nous entraîne dans leur chambre et livre leur intimité, entre Eros et Thanatos, avec une grande précision technique. Mais rien de voyeuriste. Ces scènes révèlent en effet le malaise croissant qui va s’installer entre les deux amants et explorent ce lien étrange qui les unit, ce don mutuel absolu tant corporel (jusqu’au sang) que psychologique, leur fusion à la fois parfaite et dangereuse jusqu’à l’impudeur totale : « Elle est assise nue et cristalline sur la cuvette : ce mélange de saleté et de beauté me fascine. »
C’est en effet une véritable radiographie du sentiment amoureux qu’écrit ici Philippe Jaenada.
Pourquoi tombe-t-on amoureux de quelqu’un, y’a-t-il des raisons objectives ?
Il conclut d’ailleurs joliment qu’au-delà de sa fascination pour son look excentrique, sa sexualité débridée ou sa personnalité, il l’aime finalement « sans raison ». D’un amour dévorant et incompréhensible (puisqu’il ne rime pas forcément avec bien-être : « (…) je resterai avec elle quoiqu’il arrive. C’est comme ça. Elle peut devenir folle, elle peut me faire souffrir, elle peut m’entraîner dans tous les pays du monde ou m’obliger à me raser la tête, tant pis. »

Et ce faisant il brosse un superbe portrait en forme d’hommage à cette femme, « Néfertiti » de son vrai nom Olive (toujours un art du prénom jaenadien !), encore surnommée « Pimprenelle » ou « Autruche sans mesure » (vous comprendrez…).
Il en restitue une description riche, tant physique, presque moléculaire ! (la scène où il observe son corps endormi est particulièrement émouvante) que psychologique, passant au crible toutes les facettes de son caractère, sa fragilité, les complexes liés à son passé difficile, son allure incroyable, ses ambivalences, sa tristesse insondable (voir extrait), sa grâce quand elle danse, quand elle est soudain bouleversée ou quand elle jouit…
Avec toujours ce sens de l’image surprenant : « Elle dégage de l’électricité. Elle produit à peu près l’effet d’une lampe de chevet (avec un petit abat-jour noir et un pied en or finement travaillé) dans une boutique de poterie. »
Ce roman n’est pas placé, au hasard sous l’égide de Cassavetes (film que les protagonistes visionnent lors de leur première soirée) et de Gena Rowlands, cette « femme sous influence », fragile et désemparée. A travers cette héroïne, on flirte sans cesse avec les abîmes de la folie, du désespoir au point de faire peur à son compagnon.

Si la première moitié du roman tient en haleine le lecteur curieux de découvrir ses deux personnages et les débuts de leur relation, la deuxième partie s’avère en revanche plus décevante voire ennuyeuse… Apparemment en panne d’inspiration l’auteur se répète et n’apporte rien de neuf dans l’évolution dramatique de cette histoire qui s’enlise à tous niveaux (leur isolement du monde suivi de leur dérive-déchéance finit par tourner en rond, en dépit des voyages effectués par le narrateur pour faire changer d’air sa compagne, et au lecteur par la même occasion, mais qui ne parviennent pas à relancer le récit).
Quelques « gags » manquent aussi leur but (celui de traduire les perturbations du personnage), telles les hallucinations/visions de lapins récurrentes du narrateur qui finissent par devenir agaçantes par leur côté artificiel. Et puis aussi ce problème de surenchère (tel l’inceste avec son frère ou encore la scène de sodomie dans le jardin de ses amis, l’appétit d’Obélix de la frêle Olive qui ne craint pas d’avaler « 5 coquelets »…). L’auteur en rajoute encore et encore. Trop sans doute (même si l’on comprend bien que l’on est ici dans le registre de l’absurde et de la dérision). Dommage…

A lire aussi extrait choisi de « Néfertiti dans un champ de canne à sucre » sur le découragement existentiel.

5 Commentaires

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    • Nouveau pseudo (un de plus) sur 9 avril 2009 à 13 h 36 min
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    Vous voulez que je vous dise ? Vous avez formulé ma pensée. Le parallèle avec 37°2 m’a accompagné tout au long de la lecture de ce bouquin, parfois jouissif, parfois lourdingue, jamais ennuyeux. La scène du dentiste, dévidée sur une dizaine de pages, vaut à elle seule l’achat du bouquin. Mais "Néfertiti" n’est pas Betty et la fin en forme de fuite manque, à mon avis, de densité. Voire de dramatisme (ça se dit ? Dramatisme ?)

    • Que nenni sur 9 avril 2009 à 14 h 10 min
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    l’imagination se tarit au niveau pseudos… 🙂

    Point du tout, je tentais juste une approche plus posée 😉

    • Ph.J. sur 12 avril 2009 à 20 h 24 min
    • Répondre

    Bon, je suis d’accord avec ça, à la fin ça tourne en rond et ça s’enlise. C’est vrai. Mais en même temps, je ne pouvais pas vraiment faire autrement. Dans la vie ça tourne en rond et ça s’enlise aussi. Or j’étais parti sur quelque chose d’autobiographique – du moins pas vraiment, mais disons parallèle à la vie –, je ne pouvais ni faire "ils vécurent heureux etc…" ni quelque chose de terriblement dramatique. Je ne voulais pas écrire un "roman" (un objet pour distraire ou passionner), mais plutôt une sorte de témoignage. Et à ce propos, que ce soit les lapins, l’inceste, la sodomie dans le jardin, les 5 coquelets d’Olive, tout est absolument vrai. C’est de la surenchère, mais comme dans la vie. Néfertiti est dans la vie, c’est une vraie personne (elle est en ce moment dans la cuisine en train de préparer une tartiflette). Betty, non, c’est une héroïne de roman. Alors bon, ce n’est pas pour chercher des excuses, 37°2 est sans doute un meilleur roman que Néfertiti, mais bon, c’était juste pour expliquer.

  1. J’acquiesce dans l’ensemble, peut-être un tantinet trop long, certes, mais il n’empêche qu’on ricane tout seul dans son lit comme un débile jusqu’au bout.

  2. J’avais lu : Vie et mort de la jeune fille blonde ; j’avais trouvé ça pas mal, je crois ; mais je ne sais pas pourquoi je pense parfois à Mérot quand je vois Jaenada et inversement.

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