Les best-sellers vus par les écrivains : Musso et Grisham (« La firme ») vus par François Taillandier et Houellebecq

L’appel de la plage et des vacances rime souvent avec le bon vieux gros best-seller que l’on glisse dans sa valise pour distraire les heures de voyage ou de bronzing. Répondant à un cahier des charges bien calibré, il est toujours amusant de décrypter leurs ficelles, surtout lorsque ce sont deux écrivains qui s’y collent. François Taillandier (« Anielka », « La grande intrigue » -vaste saga naturaliste-…) nous décortique le dernier roman ( « Que serais-je sans toi ? ») de Guillaume Musso, auteur de thriller sentimental « à la franglaise » tandis que Michel Houellebecq s’amusait à commenter « La firme » de Grisham dans son roman « Plateforme » lors de son séjour « nouvelles frontières » en Thaïlande. Caustique !

Guillaume Musso fait partie de ses rares auteurs de best-sellers français très populaires, aux côtés de son confrère Marc Lévy, qui ne manque pas de s’attirer la risée du milieu littéraire, germanopratin en particulier. L’écrivain François Taillandier qui tient discrètement mais régulièrement son blog sur le site de Livres Hebdo, a acheté son dernier ouvrage « Que serais-je sans toi ? » et nous livre ses impressions. Extrait :
 » (…) « Alors, pour commencer, il y a un gros cœur rouge sur la couverture. Et ça, il faut le faire. Moi, je n’aurais pas osé. Lui, si. On dira ce qu’on voudra, le plus court chemin d’un point à un autre, c’est quand même la ligne droite. Ensuite on retourne le bouquin et on voit la photo de Gaston Musso. Et là, on comprend beaucoup de choses. Il a une bonne tête. C’est le gars qu’on a vu vingt fois chez Darty ou chez Renault, qui vous dit : « Pas de souci », qui vous dit : « Je vous laisse pianoter votre code », et pour finir : « Excellente soirée à vous ». D’ailleurs, à la fin de son livre, il adresse un petit mot de remerciement aux lecteurs, qu’il signe de son prénom. C’est en somme un auteur de proximité.
L’histoire vaut ce qu’elle vaut. C’est une fille déchirée entre son papa (qui est un voleur) et le garçon qu’elle aime (qui est un gendarme). Enfin, c’est le thème annoncé, parce que dans l’exécution, finalement, il ne joue pas tellement là-dessus. Ce qui n’est pas grave, puisque à ce stade, le livre a déjà été acheté.
Au début, on est à Paris. Le Louvre ayant été préempté par Dan Brown, Gontrand Musso s’est rabattu sur le Musée d’Orsay. Sinon, ça donnerait l’impression qu’il a copié. Pour le reste, c’est intéressant, parce qu’il dépeint Paris exactement comme le dépeindrait Dan Brown. Ou plus précisément : comme le dépeindrait un touriste américain. Ou mieux encore : comme on peut le dépeindre si l’on n’y a jamais mis les pieds, et qu’on se contente d’internet. Son personnage passe-t-il près du Pont Neuf ? Il vous indique, l’air de rien, au détour d’une phrase, que c’est le plus ancien pont de Paris. Remonte-t-il le boulevard Raspail ? Station devant la statue de Balzac « qui a l’air fantomatique ». Le voleur s’enfuit en Vélib’, comme un vrai bobo, avec l’autoportrait de Van Gogh sous le bras.
Pour l’essentiel, c’est une histoire d’amour (d’où le cœur sur la couverture, et le titre emprunté à Louis Aragon via Jean Ferrat). Et alors là par contre, « c’est du lourd », comme dit Abdelmalik. On a affaire à un amour « rare, profond, passionné ». Rien à voir, lecteur, avec les plans foireux et les coucheries calamiteuses qui vous tiennent lieu de vie sentimentale. Gaétan Musso n’hésite pas à écrire une réplique telle que : « Tu m’as brisé le cœur, Gabrielle ! » Là non plus, je n’aurais pas osé. Surtout qu’on a ensuite : « Elle pleura toutes les larmes de son corps. » Je l’ai toujours dit : ce qui compte dans l’écriture, c’est l’audace !
Bon, évidemment, Geoffroy Musso écrit « des épingles A nourrice » au lieu de « des épingles DE nourrice », ce qui est cruel pour les nourrices. Mais on ne va pas en faire un plat. Ajoutons qu’il affectionne le procédé du point à la ligne. « Du noir. » A la ligne. « Du noir. » A la ligne. « Du noir. » A la ligne. (…) C’est pour bien marquer que c’est du lourd. »

De son côté, Michel Houellebecq nous commente, dans son roman « Plateforme », sa lecture de « La firme » de John Grisham qui rythme son séjour en Thaïlande :
(…) [je] ramassai avec résignation « La firme » de John Grisham. C’est un best-seller américain, un des meilleurs ; un des plus vendus s’entend. Le héros était un jeune avocat plein d’avenir, brillant et beau garçon, qui travaillait quatre vingts dix heures par semaine ; non seulement cette merde était pré-scénarisée jusqu’à l’obscène, mais on sentait que l’auteur avait déjà pensé au casting, c’était manifestement un rôle écrit pour Tom Cruise. La femme du héros n’était pas mal non plus, bien qu’elle ne travaille que quatre vingts heures par semaine ; mais là par contre Nicole Kidman n’allait pas, ce n’était pas un rôle pour une frisée ; plutôt un rôle à brushing. Dieu merci les tourtereaux n’avaient pas d’enfant, ce qui allait permettre d’éviter quelques scènes éprouvantes. il s’agissait d’un récit à suspense modéré : dés le deuxième chapitre il était clair que les dirigeants de la firme étaient des salauds, et il n’était pas question que le héros meurt à la fin ; non plus que sa femme, d’ailleurs. Seulement, dans l’intervalle, pour montrer qu’il ne plaisantait pas, le romancier allait sacrifier quelques sympathiques personnages de second plan ; restait à savoir lesquels, ça pouvait justifier une lecture. Peut-être le père du héros : ses affaires étaient dans une mauvaise passe, il avait du mal à s’adapter au management à flux tendus ; j’avais bien l’impression qu’on était en train d’assister à son dernier Thanksgiving. »

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4 Commentaires

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  1. Goûtu, Taillandier regardant Musso regardant Paris.
    Les quelques "bons gros best-sellers" que j’ai pu lire m’ont souvent fait penser à la caverne de Platon – comme si l’auteur restait tranquillement dans la caverne pour écrire sans se confronter à la lumière, avec une vraie inventivité de scénariste mais pour le détail un imaginaire cantonné aux clichés de l’imaginaire collectif.
    (ce qui explique aussi le succès – c’est plus confortable de rester dans la caverne, au fond – on y connaît déjà tout)

  2. oui et c’est peut être ça qui plaît, les gens ont envie de retrouver des repères connus, ça passe donc par des clichés et des stéréotypes. enfin j’applaudis le courage de F.Taillandier et de M.HOuellebecq, de les avoir lus jusqu’au bout (encore que le héros de Plateforme finira par abandonner sa lecture…)!

    • Gwen sur 1 juillet 2009 à 1 h 03 min
    • Répondre

    C’est un peu comme les "Arlequin" ; le plaisir de retrouver ce qu’on connaît, ce qu’on attend… Aucune envie d’aller voir ailleurs. Pas d’auto-subversion.. Chacun ses mauvais goûts, comme dirait l’autre.

  3. "Et sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original (…) Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que decroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi le comble du sacré."
    (Feuerbach)

    Sinon, récemment j’ai lu E.E. Schmitt 😉

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