Récit d’un branleur de Samuel Benchetrit

Dans Récit d’un branleur Samuel Benchetrit dépeint avec une verve corrosive l’histoire d’un loser, cousin du petit malheureux, qui s’assume, anti-héro interprétant de façon singulière et désabusée le monde qui l’entoure. Récit d’un branleur s’affirme comme un premier roman prometteur.

Les branleurs sont souvent sympathiques. Ils concilient un certain détachement existentiel avec une soif de jouissance inextinguible. Protégés dans leurs contradictions par la polysémie du terme qui les caractérisent, les branleurs peuvent, dans le même mouvement, feindre le désintérêt et atteindre des sommets d’excitation. Derrière cette apparente contradiction, les branleurs sont pourtant des gens parfaitement cohérents qui, sur le plan social comme sur le plan sexuel, se préoccupent d’abord de leur propre bien-être. Se masturber en détachant son regard du monde merdique qui l’entoure : l’éthique du branleur peut être formulée simplement, mais requiert des trésors de malice et de patience pour être appliquée efficacement.

L’anti-héros (dénommé Romain) imaginé par Samuel Benchetrit dans son premier roman se coltine avec ce paradoxe pour tenter de donner à sa vie une raison d’être poursuivie. Lucide et cynique, le narrateur sait en effet que son projet existentiel doit tenir compte de ses limites énergétiques, intellectuelles et humaines.

« Peut-être qu’un jour mes poésies seraient publiées. Certainement pas de mon vivant car j’étais bien trop feignant pour aller démarcher qui que ce soit. Non, un type aurait découvert mon cahier dans les décombres de l’immeuble qui se serait écroulé sous le poids de la saleté. Et ce type se serait cassé le cul pour qu’on honore enfin mon génie inconnu. »

Signe distinctif : le narrateur à une gueule d’oreille compatissante ; il attire tous les fous, les névrosés, les dépressifs, se noie dans les diarrhées verbales que répandent ses contemporains, forcément malheureux. Au café, dans la rue, à la Boulangerie, dans les transports et jusque chez lui, poursuivi par des parasites qu’il n’ose éconduire, le narrateur porte un fardeau qu’il n’a pas demandé. Esprit solidaire mais type sympa, le branleur ne parvient jamais à isoler sa vie de celle des autres. Médiocre, il se voit imposer une charge sociale qui, à défaut de le réjouir, remplit de facto sa petite vie.

« Moi du travail j’en avais pas. On m’avait dit qu’il était impossible d’en trouver alors j’avais pas insisté. Question diplôme j’étais pas trop décoré non plus. D’ailleurs c’est à l’école que chacun avait commencé à venir m’enquiquiner avec ses douleurs personnelles. Pendant les cours, les autres élèves se battaient pour être assis à mes côtés. J’étais comme l’ami idéal. Certains se plaignaient d’être dans une famille trop nombreuse. D’autres d’être trop pourris gâtés et de se faire cogner par les mômes des cités voisines. Un autre était en manque du placard dans lequel il avait été enfermé jusqu’à ses dix ans. En manque de naphtaline qu’il était. »

C’est donc ainsi que lui vient l’idée de lancer « une société des plaintes », destinée à recueillir tous ses épanchements sous l’oreille bienveillante de Romain.
Tout le contraire des bonnes sœurs et des psys, le narrateur se rapproche plutôt de Céline, médecin misanthrope soignant les maux de l’humanité malgré le dégoût que ses membres lui inspirent. L’auteur louche clairement vers cette référence littéraire, dans son ton, ses mises en scène et ses décors. On pourrait reprocher à Samuel Benchetrit les menus défauts qui caractérisent souvent un premier roman. On préférera insister sur son talent à animer des situations et des personnages pourtant mal dotés par la nature.

Mater un branleur s’activer peut sembler rebutant à plus d’un lecteur. Grave erreur ! De rebondissements en digressions, de flash-back en délires, d’aveux sincères en blagues terribles ou encore petites réflexions bien senties, tendrement cyniques, sur le quotidien (du métro à l’art contemporain, etc.) et ses contemporains : l’auteur sait captiver son public. On voit même passer une femme dans ce cirque sans nom, un peu comme dans les rêves éthérés et chastes qui suivent une bonne branlette.

Subtilement coincé entre l’excitation et la frustration, le lecteur finira par adopter le point de vue du narrateur, prisonnier de la douce souffrance que lui apportent ses jouissances solitaires.

« Je ne pouvais pas supporter l’idée de la souffrance. Je ne voulais pas avoir mal. Toute ma vie durant je m’étais efforcé de ne rien faire pour ne pas endurer. Le travail fait mal. L’amour fait mal. Supporter une équipe de football fait mal.
Pouvait-on fuir la douleur ? Ou alors était-elle en nous accrochée comme un organe ? Un estomac triste qu’on ne peut échanger. Certains travaillent dur pour oublier, d’autres boivent ou font du sport. J’étais bien trop feignant pour ça. Moi je n’avais aucune barrière, je ne m’étais pas préparé à l’amertume et au chagrin.

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