Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro (et présentation de l’adaptation ciné)

Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro réunit les qualités qui ont consacré l’« écrivain britannique japonais » comme il se qualifie: son talent à créer des univers et instaurer des atmosphères prenantes où affleurent nostalgie, réminiscences et mélancolie flottante. C’est ce qui lui a aussi valu le grand succès de « Never let me go » en VO, paru en 2006 en France et sorti au cinéma le 5 mars 2011 (avec Keira Knightley en photo ci-contre, présentation ci-dessous). L’auteur doit initialement sa renommée à son roman phare « Les vestiges du jour », Booker Prize en 1989 adapté par Jame Ivory, cette histoire d’amour platonique et contemplative d’avant guerre, toute en retenue et pudeur, entre une gouvernante et un majordome dans un vieux manoir anglais où l’ordre régne… Les superlatifs ont aussi plu sur « Auprès de moi toujours », tant du côté de la presse que des lecteurs : « une narration d’une stupéfiante limpidité et fluidité », « un beau voyage », « un mystère latent captivant », des pages qui se tournent avec « frénésie », « l’épaisseur psychologique des protagonistes » ou encore « ses réflexions riches sur la condition humaine »… Entre le campus novel et le récit d’anticipation, il nous entraîne, par flashs-back, dans le quotidien de jeunes élèves d’une mystérieuse école anglaise. Pourtant, on pourra aussi s’ennuyer à sa lecture à la fois lourde et creuse…

Attention spoiler (cette chronique commente différents éléments de l’intrigue)

Tout l’intérêt de ce roman repose sur son « suspense », mot sans doute un peu fort lorsque l’on sait ce qu’il recouvre en réalité. Le secret qu’il renferme et qui sera éventé progressivement au gré de longues scènes de vie scolaire se voulant marquantes et autres dialogues verbeux qui n’en finissent pas.
Ishiguro a presque tout misé sur ce mystère qui plane (voire pèse bien lourdement) au fil des pages, même si le gros du morceau est lâché au bout d’une centaine de pages.

Le lecteur est donc censé être intrigué par le récit de cette trentenaire Kathie H occupant la profession « d’Accompagnante », qui entreprend de nous raconter sa vie, son enfance et adolescence au sein d’un établissement anglais, quelque part entre Poudlard (l’école d’Harry Potter) et Donna Tartt. L’atmosphère particulière de cette école est notamment restituée par le langage ésotérique employé par ses membres (« les gardiens », « les donneurs », « les modèles »… ) et par les rituels et codes en vigueur en particulier des séances artistiques très poussées suivi du passage de « Madame » qui emporte les œuvres ainsi créées par les élèves dans une soi-disant « Galerie », sans que personne ne sache pourquoi.
Et de fait, l’inévitable question « qu’est ce que tout cela cache ? » surgit dans l’esprit du lecteur !
Mais en attendant cette (ces) réponse(s) (qui s’avèrera(ont) bien décevante(s)), on s’ennuie assez rapidement de ses saynètes de crise de larmes d’un gamin colérique et souffre-douleur sur un terrain de foot boueux, la « fameuse » conversation entre Tommy et Miss Lucy étirée en longueur donnant ensuite lieu à des confidences et conciliabules interminables tentant de donner du poids à l’insignifiant ou encore les Echanges que pratiquent les élèves, leurs collections d’objets, un trajet en voiture qui s’éternise, une escapade sur un bateau de pêche… Le tout émaillé de longues descriptions maladroites de soi disant étranges comportements, postures, « curieux incident » pour « aiguiser » l’intérêt du lecteur comme par ex : « Miss Lucy était le seul gardien présent. Elle s’appuyait contre la balustrade, scrutant la pluie comme si elle essayait de voir de l’autre côté du terrain. Je l’observais plus attentivement que jamais à cette période, et tout en riant de la mimique de Laura, je lançais des regards furtifs en direction du dos de Lucy. Je me rappelle m’être demandé s’il n’y avait pas quelque chose d’un peu étrange dans sa posture, dans sa façon de baisser un peu trop la tête, de telle sorte qu’elle ressemblait à un animal accroupi prêt à bondir. » (etc, etc, cela continue comme ça sur plus de deux pages… avant d’aboutir enfin). Autre exemple : l’anecdote dans les Cottages de Ruth qui frappe le coude de Tommy pour se séparer et toute la « polémique » que cela va susciter (même genre d’épisode dans la voiture avec Ruth qui se met entre Tommy et Kath), on se demande vraiment l’intérêt de tout cette mise en scène…

« Depuis le très jeune âge, peut être 5 ou 6 ans peut-être, résonne au fond de votre tête un murmure qui vous dit : « Un jour qui n’est peut-être pas si lointain, tu vas savoir l’impression que ça fait. » Alors vous attendez, même si vous ne le savez pas vraiment, vous attendez le moment où vous vous rendrez compte que vous êtes réellement différent d’eux ; que, dehors, il y a des gens comme Madame, qui ne vous détestent pas et ne vous souhaitent aucun mal, mais qui frissonnent néanmoins à la seule pensée de votre existence – de la manière dont vous avez été amené dans ce monde et pourquoi – et qui redoutent l’idée de votre main frôlant la leur. La première que vous vous apercevez à travers les yeux d’une personne comme celle-là, c’est un instant terrifiant. C’est comme vous entrevoir dans un miroir devant lequel vous passez chaque jour de votre vie, et soudain il vous renvoie autre chose, une image troublante et étrange. »

Tout cela est d’un ennui à bailler. Le pire étant probablement atteint avec les chapitres évoquant l’éveil sexuel des jeunes où l’auteur, peut-être pour pimenter l’histoire, nous décrit leur préparation à l’acte et autres rapports sur un ton très clinique (la scène de Kathy et des revues pornos étant peut être la plus ridicule). On pourra aussi être rapidement être agacée par le personnage de Ruth, « forte tête » et meilleure amie de Kathy, troisième protagoniste du trio formé avec Tommy. On ne croit d’ailleurs pas vraiment à cette amitié qui les unit, on ne ressent par leur complicité dans le récit, pas plus qu’au couple formé par Tommy et Ruth. Il en ressort surtout une impression de grande froideur et d’abstraction. De façon générale, ces personnages manquent de profondeur psychologique et sont assez archétypaux. De plus contrairement à ce qu’écrit l’auteur à plusieurs reprises dans la bouche de plusieurs protagonistes, leur école n’a vraiment rien d’idyllique…

L’auteur semble faire du remplissage en attendant de pouvoir placer sa prochaine « révélation » sur la véritable identité et condition de ses personnages.
Et puis il y a son style que certains ont pu qualifier poliment de « lisse » et qui s’avère surtout désespérément plat. Un auteur comme Haruki Murakami possède aussi cette sorte de neutralité –apparente- de ton (peut-être une marque de fabrique de l’écriture japonaise) mais il en émane une beauté, une poésie que l’on retrouve avec encore plus de force chez Kawabata.
Rien de tel chez Ishiguro : sa prose ne produit aucune émotion même lorsqu’il tente d’aborder la perte de l’enfance ou la solitude. Sa pauvreté stylistique rappelle plutôt celle d’une Stephenie Meyer décrivant les allées-venues de ses lycéens dans leur contrée pluvieuse…, encore alourdie des allusions récurrentes de la narratrice qui ne cesse –pour augmenter encore un peu artificiellement le suspense- de nous rappeler que l’on ne sait pas encore tout, qu’il nous manque encore bien des pièces du puzzle pour véritablement comprendre la portée de son récit (ex : « Et si ces incidents paraissent aujourd’hui chargés de sens et faits tout d’une pièce, c’est probablement parce que je les considère à la lumière de ce qui s’est passé plus tard…) ou encore de désagréablement prendre régulièrement à partie le lecteur (« Je suis sure qu’à un moment donné de votre enfance, vous avez aussi connu une expérience du genre de la nôtre »), autre procédé qui tourne vite à l’artificiel.

La réflexion humaine que tente de livrer l’auteur au sujet notamment du clonage et du don d’organes reste très superficielle (notamment sur la crainte de leur supériorité intellectuelle) et quelque peu frustrante quand elle ne verse pas dans la mièvrerie (l’amour entre clones comme ultime moyen de sauver leur vie). Telle était sans doute sa volonté de ne pas vraiment entrer dans le sujet mais seulement le survoler, l’effleurer afin de laisser le lecteur se faire sa propre idée, sa propre interprétation. On s’attend pourtant à quelque chose d’un peu plus audacieux et novateur sur ce sujet déjà abordé dans d’autres romans et qui rejoint notamment l’eugénisme (le roman est d’ailleurs souvent rapproché du meilleur des mondes d’Huxley, autrement plus percutant même si le style est tout aussi plat).

En fait ce qui est surtout décevant c’est qu’Ishiguro n’a pas su exploiter sa piste des dons artistiques, du talent et de la créativité qui prédominent tout au long du roman. Une intrigue davantage axée sur ce sujet aurait été plus originale mais au lieu de ça on retombe dans le banal don d’organes déjà beaucoup abordé et le thème des « enfants médicament » (cf : « Ma vie pour la tienne » de Jodi Picoult par ex). Le lien qu’il fait à la fin avec la Galerie selon les explications de « Madame » est vraiment sans intérêt (et peu crédible). Le qualificatif d’anticipation voire de science fiction attribué à ce roman- se voulant dérangeant- apparaît ainsi emphatique… On est plus proche de la bluette adolescente.

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Paroles de l’auteur Kazuo Ishiguro à propos de l’écriture de « Auprès de moi toujours » :
Entamé 15 ans avant sa publication, le romancier songeait alors à des adolescents dans la campagne, sans parents, à des choses étranges liées à la menace nucléaire : «Kathy, la narratrice, m’est apparue en 1990, explique Kazuo Ishiguro. Au départ, j’envisageais d’écrire un livre sur un groupe de jeunes baignant dans une atmosphère seventies qui se serait appelé The Students Novel. Une fatalité étrange devait planer au-dessus de leurs têtes, mais je ne voyais pas très bien laquelle. J’avais bien songé à la menace nucléaire, dont on parlait déjà beaucoup à l’époque. Mais la clé de mon histoire ne m’apparaissait pas encore nettement. Elle m’est venue dix ans plus tard.»

« J’étais moins intéressé par le thème du clonage en lui-même que par le fait de m’en servir comme arrière-plan pour m’interroger sur ce qui est vraiment important, ce qui compte réellement dans une vie. L’histoire traite donc avant tout de l’amitié, de l’amour et de ce que vous choisissez de faire du temps qui vous est imparti. »

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A propos de l’adaptation cinématographique (sortie le : 5 mars 2011)
Le rôle de Ruth est tenu par Keira Knightley qui a avoué avoir eu du mal au début à comprendre les intentions de Ruth : « Quand j’ai lu le scénario la première fois, j’ai jugé Ruth très sévèrement. Elle tente de détruire le bonheur de deux autres personnes – et je devais essayer de comprendre ce qui pouvait pousser quelqu’un à faire une chose pareille. C’est justement cela qui a rendu mon travail aussi intéressant. Finalement, j’en suis venue à voir le comportement de Ruth comme résultant du fait qu’elle a grandi sans parents et qu’elle n’a jamais vraiment reçu l’amour dont elle avait besoin. (…) En fin de compte, j’ai ressenti énormément de sympathie pour Ruth. Ce qu’elle fait est inexcusable, et pourtant je comprends réellement ses raisons et j’ai de la compassion pour elle. »

Carey Mulligan, révélée par Une éducation, pour lequel elle a été nommée à l’Oscar de la meilleure actrice en 2009 tient le rôle de la narratrice Kathy H : « Avec Kathy, tout se passe à l’intérieur, ce qui selon moi la rend vraiment très intéressante. » Elle ajoute : « J’adore le fait qu’il n’y ait en apparence aucun lien avec la science-fiction : on ne réalise que lentement que l’on se trouve dans un univers parallèle, qui n’est que la toile de fond d’une histoire d’amour (…). »

Le film est réalisé par Mark Romanek. Le réalisateur a déclaré au Guardian : « la conception d’Ishiguro est audacieuse, si étrange, si belle ». C’est Alex Garland (La plage) qui s’est occupé du scénario. Pour le reste du casting, on retrouve Charlotte Rampling, CSally Hawkins, Andrew Garfield et Andrea Riseborough. Kazuo Ishiguro est producteur exécutif de cette adaptation cinématographique. La bande originale est signée par Rachel Portman, qui fut la première femme à remporter un oscar de la meilleure musique de film pour Emma l’entremetteuse. Le tournage s’est déroulé à Londres et Norfolk, en Angleterre.

Bande annonce du film :
Mark Romanek, le réalisateur, explique son choix : « De nombreux films de science-fiction sont construits autour de personnages tentant d’échapper à un gouvernement oppressif ou quelque chose de ce genre, mais ici c’est le contraire. Ces personnages-là ne s’enfuient pas parce (…) qu’ils n’ont nulle part où aller. Le film vous exhorte à serrer contre vous les personnes que vous aimez, ici et maintenant, parce que la vie est tellement courte… (…) Je tenais tout particulièrement à ce que le film soit romantique et qu’il constitue une expérience agréable en termes d’esthétique, car la vérité qu’il explore est teintée d’amertume. » Comme le roman, le scénario est divisé en trois parties et Alex Garland a cherché à transmettre à l’écran le style de narration de l’écrivain britannique. Il s’est notamment inspiré de Mikio Naruse, l’un des cinéastes préférés d’Ishiguro. Ce réalisateur japonais a tourné dans les années 50 et 60 des « shomin-geki », des comédies dramatiques sur la classe ouvrière caractérisées par un mode de narration élégant et une imagerie dépouillée.

1 Commentaire

    • beebop sur 3 mars 2011 à 11 h 30 min
    • Répondre

    Le livre est mauvais. C’est d’autant plus visible quand on a lu avant "When we were orphans " qui,lui, est très réussi.
    Donc pas envie de voir le film malgré le casting alléchant)

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