Madame Bovary: un « everest de la traduction »

Madame Bovary passionne nos amis anglo-saxons et l’oeuvre de Flaubert a déjà été traduite en anglais à dix neuf reprises ! Cela n’empêche pas un vingtième traducteur de relever le défi une nouvelle fois. Il s’agit du romancier, poète et dramaturge britannique Adam Thorpe. Cela lui aura pris trois ans, même s’il aura été devancé de quelques mois par la nouvelliste américaine Lydia Davis qui s’y est aussi attelé. Pour Thorpe? Madame Bovary est « le roman écrit avec le plus d’attention et de soin de toute l’histoire littéraire » et réprésente à ce titre « un Everest de la traduction« .

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Bien qu’élevé en Inde et éduqué à Oxford, le nouveau venu est né à Paris, et vit actuellement en France. Il est notamment l’auteur d’un Meeting Montaigne. Dans un article pour le Guardian* il explique son envie de retraduire la Bovary pour lui conserver toute sa radicalité et sa modernité.

Il s’est aussi particulièrement intéressé à la « musique » de l’auteur qui représente une autre difficulté, outre ses effets de verbe et de rythme.
Il cite notamment l’élimination de toute voix omnisciente ou de centre moral stable ainsi que l’usage de l’imparfait comme temps principal ce qui donne une sensation de « temps suspendu » et de longue « action unique », toute une palette de nuances d’ironie allant jusqu’au pastiche, le glissement du subjectif à l’objectif.

Perfectionniste, plutôt que d’user d’anachronismes, contrairement à d’autres traducteurs, il s’est procuré l’édition 1853 du dictionnaire Français-Anglais de Spiers pour restituer la nature choquante, « immorale », et révolutionnaire du texte, à l’époque victorienne.
Fervent croyant en la « modernité du passé » il s’est donc employé à le restituer dans cet anglais victorien pour redonner au Madame Bovary version anglaise sa radicalité historique.

Comparant Flaubert à ses contemporains britanniques comme Dickens ou Eliot, il distingue le premier par son attention au langage beaucoup plus méticuleuse. Il le rapproche d’un Henry James ou d’un James Joyce qui lui sont postérieurs pour le détachement du premier et la conscience intérieure des personnages, ainsi que l’humour cynique du second. Cet humour reposant sur une sélection précise de mots, registres et double-sens
Ainsi une traduction au plus juste doit combiner exactitude, naturel et musicalité: une entreprise complexe qui demande parfois de sacrifier l’un ou l’autre de ses trois éléments essentiels quand les défis linguistiques ne permettent pas de les réunir tous, d’autant que Flaubert ambitionnait de ombler le fossé non seulement entre les mots et les émotions mais aussi entre les mots et les choses.
Il cite à titre d’exemple cette scène où Emma valse au château où Flaubert joue sur le mouvement de tourbillonnement et un effet d’allitérations pour sa description : « Ils tournaient: tout tournaient autour d’eux … »
Thorpe s’est ici par exemple efforcé de reproduire l’écho entre « tout » et « tournaient », ce qu’il a rendu par un « They were reeling round: all reeled round and about them … »

Sans compter ses heures de recherche sur les détails historiques comme le « lampion » porté par Emma à une oreille lors d’une nuit de débauche.

Finalement, l’auteur remarque qu’en dépit de ses moqueries et pastiches de la littérature et poésie sentimentale, comme celle de lamartine, la prose Flaubertienne conserve une forte séduction lyrique. La traduction doit donc véhiculer à la fois leur beauté envoûtante cet arrière-goût amer de moquerie.

*https://www.theguardian.com/books/2011/oct/21/translating-madame-bovary-adam-thorpe (oct. 2011)

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