Critique et interview de Frédéric Beigbeder par Lolita Pille pour son film

En promo intensive, de tous les plateaux TV et multipliant les avant-premières en région parisienne, Frédéric Beigbeder invente la comédie romantique littéraire, dans le sillage de Woody Allen, en adaptant son célèbre roman « L’amour dure trois ans ». On y croise ainsi Bukowski et Shakespeare (et même Peau d’âne, ce qui ravira les adulescent(e)s !). Un film inventif, poétique et drôle renouvelant le genre avec une belle énergie :

Loin d’un copié-collé de son troisième livre écrit à l’âge de 31 ans et paru en 1997, l’auteur revisite ses thèmes du mariage, du désir et de l’adultère à l’aune de son expérience de quadra, pas tellement plus optimiste même si le film se veut moins noir que le roman (ressorti en version poche avec une nouvelle couverture, pour l’occasion et classé septième des meilleures ventes poches du 2 au 8 janvier d’après le classement Relay-Relaxnews).

Un film porté par la fougueuse et solaire Louise Bourgoin, dans le rôle d’Alice (qui redonne foi en l’amour à Marc Marronnier, anti-héros du film, et jeune divorcé amer) qui l’illumine véritablement. Au point d’éclipser quelque peu son partenaire et amoureux transi, Gaspard Proust qui, bien que touchant dans sa maladresse et son humour pince sans rire, passe quelque peu pour une pâle copie beigbedérienne…
De la plage de Guéthary à la place Dauphine jusqu’au Café de Flore, on passe un excellent moment avec cette comédie romantique qui renouvelle le genre avec ses multiples trouvailles et sa mise en scène créative. La satire du monde de l’édition à travers le personnage de l’éditrice aux dents longues, Valérie Lemercier (excellente de cynisme) fait sourire bien que caricaturale. Et pourra faire grincer des dents à Saint Germain des prés… Pour sa défense, Frédéric Beigbeder, qui a été lui-même éditeur pendant 3 ans chez Flammarion, affirme qu’il a beaucoup d’estime pour ce métier très important et menacé de disparaître, selon lui, avec l’arrivée du livre numérique.

Petits points faibles néanmoins : l’excès d'(auto) citations en particulier lors de la scène où Marronnier écrit son manuscrit (collection de petites phrases définitives collées bout à bout un peu indigestes…). Les personnages secondaires rajoutés pour étoffer un peu l’intrigue sonnent un peu caricatural même si l’on pourra rire de leur loufoquerie ou blagues un peu lourdes : tel le couple déjanté formé par Frédérique Bel et Jonathan Lambert censé incarner une autre voie possible pour faire durer le mariage (le libertinage) ou encore Joe Starr en célibataire endurci (pas forcément très crédible).

Le final est une belle porte ouverte sur une libre interprétation sur laquelle même Frédéric Beigbeder confie hésiter ! Enfin on remarquera parmi les nombreux guests du film : l’écrivain Nicolas Rey ou encore la fille Chloé de l’écrivain réalisateur. Et même ce brave Marc Lévy !

Interviewé par Lolita Pille dans le magazine Grazia, Frédéric Beigbeder (qui s’y déclare « serial monogame ») analysait quelques uns de ces nouveaux personnages du film justement :
« Toujours sur ce thème, les personnages incarnés par Jonathan Lambert et Frédérique Bel, couple étrange comprenant un petit homme riche amoureux d’une grande croqueuse de diamants, semblent opter pour un autre moyen de « durer ». À leur mariage, ils demandent des volontaires pour former des orgies sexuelles…

« Je redis dans le film ce que je disais dans le roman : pour durer plus de trois ans, il n’ y a que trois solutions. Avoir un enfant, être échangiste, ou être homosexuel. Marc Maronnier, c’est un type déboussolé, l’anti-héros contemporain qui considère que le célibat est déprimant et le couple une prison. Ses amis, un célibataire endurci (JoeyStarr) et un futur mari à tendance échangiste (Jonathan Lambert), incarnent deux tentations, deux solutions possibles. Je ne fais pas l’apologie de l’échangisme, mais je considère que c’est un bon moyen de dépasser le point fatidique des trois ans. Peut-être. Pour certains, la jalousie est aphrodisiaque. La société de consommation a libéré les désirs, le désir est devenu quelque chose de commercial. Au mariage de ses amis libertins, Marc fait un discours où il dit que finalement l’amour est une opération marketing pour la boutique Blanche des Galeries Lafayette. Tout-ça-n’est que-de-la-publicité-pour-vendre-de-l’électroménager, voyons. (rire inquiet) C’est un film politique au fond ! Mais je ne pense pas être un théoricien de l’amour. »

Il commente aussi la dimension littéraire du film en citant également d’autres classiques :
« Dans La Chartreuse de Parme, le comte Mosca dit à propos des deux amoureux qui s’éloignent en calèche, cette phrase : « Si le mot amour est prononcé entre eux, je suis perdu ». Le sentiment amoureux passe par l’expression écrite, prononcer « je t’aime ». C’est la chanson de Nancy Sinatra, quand elle dit : « And then I spoiled it all by saying something stupid like I love you… » Dire je t’aime, c’est se foutre dans la merde. C’est une longue histoire littéraire, très bien analysée par Barthes. Il faut se retenir de dire ce mot-là parce que ça provoque l’effet irréparable. Pour un écrivain s’amusant à faire un film d’amour, c’était impossible de ne pas citer Tristan et Iseult, Shakespeare, ça me paraissait obligatoire. Dans un premier film, tu veux mettre tout ce que tu aimes. J’avais envie de tourner au Flore, place Dauphine, à Guéthary, de citer les chansons, les extraits de livre, d’accrocher les portraits des écrivains que j’aime. En plus, comme le film est autobiographique, je pouvais vraiment y aller dans l’égotisme le plus total. Sinon, ça me fait penser que je suis déjà tombé amoureux, bourré. À jeun, bizarrement, je ne l’étais plus. Certaines chansons peuvent nous donner cette illusion, certains mots prononcés. Les gens comme moi qui aiment les grandes déclarations, sont des dangers publics. On peut dire des choses qui dépassent de loin notre pensée, simplement parce que c’est exaltant d’être lyrique. On a besoin de ces adjuvants : la littérature, l’alcool, les poèmes… »

Lolita Pille n’hésite pas non plus à le tacler :
FB : « 99 francs, c’était assez radical. Plus indulgent avec ce milieu, ç’aurait été moins efficace. L’Amour dure trois ans, c’est 50/50, la comédie romantique l’emporte. J’ai 46 ans, je pourrais continuer à faire des histoires de mec qui prend de la coke avec des putes, mais enfin, j’avais envie de changer de sujet. Le personnage se contente de boire la salive d’une fille dans une chaussure. Finalement, c’est ça qui doit surprendre, on s’attend à un film trash, et on trouve un film… »

LP : « Bourgeois. »

FB : « Aristocratique. »

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