« L’amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder, Anti-traité de l’amour moderne… « Flirting with disaster »…

Alors que l’adaptation ciné de « L’amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder sort sur les écrans en ce 18 janvier 2012, et que le roman culte est ré-édité avec une nouvelle couverture, retour sur ce célèbre troisième roman (et dernier volet de la trilogie dont Marc Marronnier est le principal protagoniste). Après le succès relatif (mais néanmoins très honorable pour un jeune auteur) de ces deux premiers opus (« Mémoires d’un jeune-homme dérangé » et « Vacances dans le coma »), c’est avec « L’amour dure trois ans », que Frédéric Beigbeder s’impose en 1997, alors âgé de 31 ans, avec « ses aphorismes trash mâtinés de romantisme fleur bleue » selon l’expression du magazine Lire ou encore son « cynisme à l’eau de rose » selon sa propre expression. Derrière une fausse simplicité et une apparente superficialité, il revisite sous une forme inédite le thème éternel de la rencontre amoureuse, du mariage et des ruptures. Et signe du même coup l’un de ses romans les plus réussis. Un petit condensé frais, réjouissant, à l’humour mordant, sur le couple moderne et l’impossibilité de l’amour longue durée pour les enfants du divorce et de la génération zapping…

« La première année, on achète des meubles, la deuxième année, on déplace les meubles, la troisième année, on sépare les meubles. »

A travers l’histoire de son désormais fameux double Marc Marronnier, chroniqueur parisien mondain, fêtard et dragueur de Saint Germain des près, que l’on suit déjà depuis « Mémoires d’un jeune homme dérangé », l’écrivain nous livre, par le menu, un faux manuel de survie drôle et piquant, du jeune divorcé et de ses désillusions sur l’amour, aux accents d’autofiction (et surtout d’autodérision !).

Une fois de plus le romancier innove avec ce troisième roman qui n’obéit pas aux règles narratives traditionnelles. Certes, il y a bien une « histoire », plutôt mince : un jeune-homme quitte une femme, SA femme, celle qu’il avait juré de chérir toute sa vie, parce qu’il est tombé amoureux d’une autre. « Un pull moulant noir peut modifier le cours de deux vies. »
Une histoire d’adultère, de mensonges, de culpabilité, de désir, d’attentes de coups de téléphone, d’errance nocturne éthylique et de désespoir teintée de luxure… L’auteur anticipe même la critique : « J’écris le même livre que les autres… Chassés-croisés amoureux… Que m’arrive-t-il ? Où sont mes soirées décadentes ? »

Classique de prime abord…, sauf que cette histoire de rupture et de rencontre amoureuse que nous avons tous vécu à un moment ou à un autre est le prétexte à ériger toute une théorie originale qui donne son titre choc au livre : l’amour dure trois ans !
Une tragédie en trois actes : passion, tendresse et ennui… Le cycle fatal des relations amoureuses humaines…
Il dénonce ainsi « le complot amoureux » qui vous fait croire que c’est pour la vie, le mariage « ce mensonge organisé », cette « escroquerie infernale » et livre ainsi un véritable pamphlet satirique contre la monogamie.

A coup d’arguments lucides ou improbables et souvent hilarants, allant de la biochimie aux statistiques…, il échafaude, consolide, illustre sa petite démonstration qui à défaut de vous réconforter sur « le grand amour », ne manquera pas de vous faire rire sur le mode du cynisme tragi-comique, marque de fabrique de l’écrivain, qui n’est pas sans rappeler le phrasé d’un Guitry.
Cela donne de nombreux passages d’anthologie tous plus réussis les uns que les autres, devenus depuis des tirades culte qui se transmettent de lecteur en lecteur, tour à tour caustiques, acides ou émouvants :
Logique : « Il faut se décider : ou bien on vit avec quelqu’un, ou bien on le désire. On ne peut pas désirer ce qu’on a, c’est contre nature. »

Lucide : « Tout le problème de l’amour, me semble-t-il, est là : pour être heureux on a besoin de sécurité alors que pour être amoureux on a besoin d’insécurité. »

« Si une histoire de cul peut devenir une histoire d’amour, l’inverse est très rare… »

Gougeât : « Il n’y a pas de femme moche, il n’y a que des verres de vodka trop petits. »

Moderne : « Au XXe siècle, l’amour est un téléphone qui ne sonne pas. » (devenu dans le film en 2012 « Au XXIe siècle, l’amour est un SMS sans réponse »)

Sensible malgré tout : « Il y a beaucoup de tristesse sur terre, mais il est difficile de surpasser celle qui envahit une femme quand elle sent que l’amour qu’on lui portait s’en va… »

Pragmatique : « Si votre femme est en train de devenir une amie, il est temps de proposer à une amie de devenir votre femme. »

Autant de joutes verbales et de traits d’esprit qui ne se prennent jamais au sérieux (et à prendre souvent au second degré bien sûr !) que beaucoup ont apprécié tandis que quelques grincheux lui ont au contraire reprocher d’abuser de son sens de la formule. Un ton vif et insolent voire un peu provoc’, qui grossit volontairement le trait et mixe habilement données cliniques, romanesques, anecdotes et humour noir (« N »ayant plus d’ongles à ronger, je décide de sortir dîner »). On a également droit à un name-dropping très modéré (le héros lit « Tendre est la nuit », « rue Mazarine, la rue où Blondin est mort »…).

L’auteur livre aussi au détour d’une page, une réflexion intéressante et touchante sur sa vie de noctambule invétéré : « Moi si je sortais le soir, c’était pour ralentir ma vie. Parce que je ne supportais pas que l’existence puisse s’arrêter à huit heures du soir. Je voulais voler des heures à l’existence aux couche-tôt. »

On retrouve donc ici tout l’univers de notre jeune dandy parisien dépressif et mondain de Saint germain des prés, à la superficialité existentialiste, pétri de paradoxes. Frédéric Beigbeder joue très bien les naufragés faussement désinvoltes, les loosers chics et branchés, les briseurs de coeur à qui l’on n’arrive pas à en vouloir. Aussi cruel soit-il ! Il pratique l’art de l’autoflagellation avec beaucoup de maestria. Celui qui « fait souffrir et qui souffre », comme il le résume. Bref Frédéric Beigbeder est le genre de copain très dangereux sur lequel on ne peut s’empêcher de s’attendrir même si c’est le pire salaud (malgré lui…) ! On regrettera seulement la fin du roman qui verse un peu dans la mièvrerie et tente de s’achever sur une note d’optimisme qui sonne un peu faux…

On reproche souvent à Frédéric Beigbeder la simplicité ou la facilité de son style (sous-entendue pauvreté) alors qu’elle est au contraire très travaillée et réserve toujours une pirouette ou une chute inattendue qui fait sourire ou réfléchir. Avec ses phrases courtes, percutantes voire décapantes, il invente un nouveau roman où derrières les petites phrases anodines se cachent souvent bien des vérités parfois accablantes… Tout le talent de l’auteur est de parvenir à réinventer un thème presque éculé avec fraîcheur et modernité. Et rien que pour cela, on ne peut que lui tirer son chapeau !

Paroles de Frédéric Beigbder au sujet de « L’amour dure trois ans » :
« Comme disait l’autre, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans amour. Mais attention, amour ne rime pas avec bonheur. La société nous lave le cerveau au karcher et tente de nous imposer un modèle  » Belle au bois dormant Prince charmant « sans rapport avec la réalité. Et on plonge. On brandit la libération sexuelle mais on s’empresse d’aller se réfugier bien au chaud sous sa couette : mec, mariage, appart’. Bref, Lion sur papier glacé des magazines, mouton en réalité. Casanova en public, Michel blanc à la maison. »

« Au départ, la société a inventé la fidélité pour tenir les gens tranquilles. La religion notamment redoutait l’amour et ses conséquences imprévisibles. Aujourd’hui, la pub nous bombarde : Il faudrait changer toutes les demi-heures d’ordinateurs, de bagnoles, de décos… mais pas de nanas ? On vit dans la société du zapping : les industriels savent mesurer la déception et l’obsolescence. En même temps, on nous dit rester ensemble ad vitam. »

« J’ai tenté de suivre le modèle poli, propre sur lui, gants blancs, poignée de riz à la sortie de l’Eglise. Le succès fut des plus mitigé. Il ne faut pas regretter d’être seuls. Les solitaires sont parfois désespérés mais ils sortent souvent et rencontrent du monde. Finalement, ils sont libres et heureux, même si leur bonheur passe par des phases de doute… En couple, on étouffe, on se flique, on se restreint. Pour moi, l’amour doit faire vibrer. Je dois sûrement être un ado attardé… Enfin… fier de l’être si mûrir, c’est regarder à deux la télé. Dans « Nouvelles sous ecstasy », je différenciais célibat dépressif et mariage ennuyeux. Reste à trouver un compromis. »

« J’ai rencontré jusqu’ici trois types de femmes. Les nympho qui profitent et qui s’amusent. Les oiseaux mazoutés traumatisées par des salauds et qui refusent de faire confiance aux hommes. Enfin, les maquées-coincées. Mais je ne vous jette pas la pierre. C’est dur d’être une femme aujourd’hui. Elles en prennent plein la tête : à leur place, je n’aurais pas envié la routine métro, boulot, dodo des hommes. »

« Le rôle du romancier n’est pas d’écrire un guide pratique pour aimer. Je me sers de mon expérience minable pour la communiquer, j’en tire la conclusion qu’il y a une incompréhension totale entre hommes et femmes. »
(source : Net@lerte, 2000)

A lire aussi : la critique de « L’amour dure 3 ans » le film (adapation ciné) + interview de Lolita Pille

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