Qui écrira le « roman choc » de la rentrée littéraire ?

La rentrée littéraire vient de débarquer dans les médias et divers noms reviennent en boucle comme chaque année. Je ne suis pas fan de l’évènement qui ressemble plus à un déboulement, mais je m’intéresse bien sûr à ce qui émerge, à ce qui s’écrit. Et j’avoue que la première réflexion qui me vient est une certaine « tendance » (le terme est sans doute un peu exagéré mais à défaut je l’utilise) au toujours plus trash, au toujours plus provocateur, dérangeant, insoutenable et malsain. Inceste, pédophilie, viol, éloge du crime et de l’extrémisme… Comme si les auteurs cédaient à la tentation d’écrits toujours plus choc pour mieux se démarquer, se faire remarquer par la polémique ou en choquant l’opinion… ?

Les trois romans/essai qui m’inspirent cette réflexion sont le dernier Christine Angot avec « Une semaine de vacances » résumé comme « Un père apprend à sa fille la fellation, la sodomie, la politesse et la syntaxe »« les scènes sexuelles précises débordent », Philippe Djian avec « Oh… » qui raconte l’histoire d’une femme violée continuant de coucher avec son violeur par la suite tout en ayant une liaison avec le mari de sa meilleure amie tandis que son fils kidnappe le bébé de sa femme, qui n’est pas le sien ou que sa mère de 75 ans a des amants trois fois plus jeunes qu’elle, etc, etc. et « Eloge littéraire d’Anders Breivik » de Richard Millet (pour ce dernier, ce livre va au-delà du trash, il est tout simplement criminel à mes yeux. Au fait qui se souvient d’un roman de Mr Millet ? Ah personne, ok je comprends mieux… Je ne devrai même pas en parler car cela lui fait de la pub, l’effet recherché bien sûr, mais bon trop tard, je n’ai pas pu m’en empêcher !).
En revanche, un livre comme « Tigre, tigre » de Margaux Fragoso, sur le douloureux sujet de la pédophilie, me semble plus intéressant dans son traitement.

J’ai observé aussi cette tendance chez un auteur comme Chuck Palahniuk dont la trashitude a décrédibilisé son propos et son style pourtant fort intéressants à ses débuts. Il publie d’ailleurs « Snuff » en cette rentrée entre film porno, gang bang et viol (bon vous voyez le tableau…).

Bien sûr ces résumés sont réducteurs mais malgré tout j’ai l’impression que ces auteurs cherchent à maintenir l’intérêt du lecteur, en franchissant, à chaque fois, un échelon supplémentaire dans le gore, le « politiquement incorrect ».

Je ne sais pas.

J’avoue un ras-le-bol en tant que lectrice de voir des auteurs que j’ai pu apprécier s’engouffrer dans ce créneau de la surenchère.

J’ai conscience que cette critique est assez difficile à formuler en littérature et que les écrivains se sont de tout temps frotter à ces sujets épidermiques, loin de toute « morale » (qui n’a pas droit de cité dans le domaine). C’est d’ailleurs sans doute leur rôle, me rétorquera-t-on, d’exhumer les tabous de la société et de forcer notre regard à voir ce que l’on préfère ignorer. Il n’y a pas de sujet qui ne soit pas noble en littérature, certes.

Un livre peut-il être trop dérangeant ? Je répondrai plutôt « non » bien sûr, sinon c’est le retour à la censure, l’interdiction de dire, d’écrire et cela est inadmissible. La question est plutôt : où s’arrêtent le trash, l’appel à la haine…, où commence la littérature ? Et je n’ai pas de réponse, tant tout cela est affaire d’appréciation et de sensibilité personnelles !

Mais ces livres me gênent malgré tout, me mettent mal à l’aise, pas dans le bon sens, c’est à dire pas d’une façon constructive, qui fait avancer comme le « Baise-moi » de Virginie Despentes qui servait un vrai propos par exemple. Je ne les comprends pas, je ne comprends pas leur raison d’être, pourquoi les auteurs ont-ils voulu les écrire (exorciser, dénoncer… ?). Simple questionnement de lectrice…

[Alexandra]

14 Commentaires

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  1. C’est une question de mode, c’est tout. Aucun de ces auteurs n’a une pensée vraiment novatrice (qui, pour le coup, serait réellement dérangeante) alors ils suivent le flot…
    http://l-autofictif.over-blog.com/a

  2. Il paraît que Tigre tigre est formidable. On me l’avait conseillé en 2011 à Londres dans un cours au sujet des abus sexuels, cours honteux et minable d’ailleurs, mais les élèves étaient bien. Un prof sorti tout droit d’un film d’horreur. La sexualité est interdite en Grande Bretagne aux moins de 16 ans entre eux (!). C’est malsain, nauséabond. Pour ce prof, violer des bébés ou l’amour entre une jeune femme de 25 ans et une jeune fille de 15 ans, c’était à mettre dans le même panier. Un type gros et gluant, rougeaud et malsain qui puait de la bouche et des intestins.

    « Tigre, tigre » de Margaux Fragoso

    Je me réjouis de lire Angot, elle a écrit le meilleur livre sur l’inceste en France me semble-t-il.

    A Montréal c’est Jean Paul Roger qui avait écrit un chef d’oeuvre sur ce sujet vécu par lui, absolument à faire rééditer par une grande boîte française. L’inévitable. http://www.amazon.ca/In%C3%A9vitabl

    En langue anglaise il y a eu pas mal de bons romans du plus facile, Le prince des marées, au plus difficile comme Mysterious skin

    http://www.amazon.com/Mysterious-Sk

    • Alexandra sur 30 août 2012 à 17 h 17 min
    • Répondre

    Je précise que dans « Tigre, tigre », l’auteur ne fait absolument pas l’apologie de la pédophilie, cette relation a détruit l’auteur qui a surtout été manipulée étant enfant…

  3. Jean Paul Roger a co-fondé Criphase à Montréal pour les hommes victimes d’abus dans leur enfance et y a animé des ateliers d’écriture thérapeutique, il est professeur de littérature.
    http://www.criphase.org/

    http://www.renaud-bray.com/ImagesEd

    http://www.youtube.com/watch?v=f2fj

    L’amour entre une femme de 25 ans et une jeune fille de 15 ans est autorisé en France. La majorité sexuelle dépend des pays et selon le jour de la semaine on bascule ou pas dans la pédophilie, c’est pour cette raison qu’il est important de ne pas tout mélanger. Ce prof de Londres en mettant au même niveau l’amour réciproque entre une jeune fille et une jeune femme et le viol des bébés, subtilement mais sûrement aplanissait la différence…

    Dans les livres faisant l’apologie de l’inceste autorisé en France entre adultes consentants, il y a Anaïs Nin Inceste et par exemple le magnifique livre de Klaus Kinski Crever pour vivre à sortir en kindle d’urgence.

    http://www.biblioblog.fr/post/2007/

    http://www.amazon.fr/Crever-pour-vi

  4. ouh la non Anais Nin est loin de faire l’apologie de l’inceste !
    Elle a mal vécu cette relation in fine. De plus Nin était adulte au moment des faits.
    d’autre part on ne sait pas s’il agit de fiction ou de réalité.

  5. http://www.autofiction-inceste-resi

    Extrait.

    Ce bouquin m’avait énervée je dois dire mais il existe. On doit faire avec. Et oui, bien sûr qu’elle a eu des séquelles de tout cela.

  6. je suis d’accord, ce genre de littérature peut devenir assez nauséeuse quand elle commence à sentir la recette.
    et pourtant, je suis mal placé pour le dire car j’ai une prédilection particulière pour ce type de textes, à la fois comme lecteur et comme auteur – meme si mon écriture s’apaise.
    Il me semble avoir remarqué, cependant, que le mouvement de fond chez les lecteurs n’était pas l’attirance pour la provocation, mais au contraire de la fuir: à part quelques succès ponctuels, et inattendus, la littérature ultra-violente rencontre rarement son public. Tendance pérenne ? Ou bien fin d’un cyle, où l’on a fait le tour d’à peu près toutes les abjections ?

  7. oui je comprends parfaitement et le sujet me met mal à l’aise, raison pr laquelle j’ai écrit ce billet car j’ai bien conscience qu’on ne peut pas « cacher » certaines choses en littérature ou bannir certains sujets, chaque lecteur étant différent de toute façon. et loin de moi cette idée, mais il y a un moment où j’ai l’impression que c’est stérile, que ça ne mène à rien si ce n’est à quelque chose de choquant pour être choquant (si tant est que la littérature doive « mener » à qqc, ce que je ne crois pas !). de plus le titre d’angot me glace, je trouve cette ironie absolument glaçante au vue du sujet. je respecte leur démarche d’auteur malgré tout mais je ne la comprends pas et cela me met très mal à l’aise on l’aura compris 🙂

  8. chez angot, je prefère malgré tout cette crudité revendiquée (qui ne me gene pas) aux leçons de morale qu’elle nous impose parfois

  9. Bonjour
    A la question : Un livre peut-il être trop dérangeant ? Je répondrai plutôt « non » bien sûr, sinon c’est le retour à la censure, l’interdiction de dire, d’écrire et cela est inadmissible.

    Je réponds par l’affirmative… La censure peut se montrer fort ingénieuse… Ne pas parler d’un ouvrage qui dérange en est une fort efficace…

    Quant à cette rentrée littéraire dont on s’étonne de la tendance et également de la platitude consternante, je m’étonne que l’on ne s’en étonne que maintenant. Les grands groupes d’édition (qui appartiennent souvent à des multinationales « étrangères ») sont sommés comme n’importe quelle entreprise cotée en bourse de faire du chiffre (8%) par an et elles répondent également à la demande d’un marché, nous lecteurs, qui jusqu’à présent se satisfaisaient de ce qu’on leur servait, bon ou mauvais… Et si le gore devient le politiquement incorrect consommable, il y a du souci à se faire !, cordialement.

  10. A la suite de la rédaction de cet article, j’ai écouté/lu qques itws d’angot, je ne comprends tjs pas sa démarche mais j’admire malgré tout. Justement ds une itw à Libé, elle parle d’Anais Nin, deux situations qu’on ne peut comparer :

    Je n’ai lu que l’année dernière le livre d’Anaïs Nin, Inceste. Je l’avais depuis des années mais je ne l’ouvrais pas, et je n’avais pas l’intention de le faire. Ce livre m’énervait, j’étais convaincue que c’était une apologie de l’inceste – je ne sais pas où j’avais été chercher ça mais ça m’exaspérait. Et puis je l’ai lu, et j’ai été éblouie par Anaïs Nin, par cette écriture, par cet engagement, par cette capacité à dire toutes les nuances de ce qu’elle ressentait, cette confiance dans l’écriture. C’est la vérité qui sort à toutes les pages, on la voit, c’est magnifique. C’est un journal dont elle est la narratrice-personnage. Dans la situation qu’elle écrit, la visite de son père, elle a une trentaine d’années. Ça change tout. J’ai été éblouie par ce texte et je l’ai admiré, mais je me suis rendu compte que ce que je connaissais était différent, que la question de l’âge avait une part très importante, notamment s’agissant de la parole. Moi, quand j’ai eu à vivre cette chose-là, quand je l’ai rencontrée, et que j’avais 13 ans, je n’ai pas pu parler. Je ne vois pas par quelle fiction mensongère j’aurais pu faire dire «je» au personnage de mon livre. C’était mentir, c’était fabriquer – je suis très bien placée pour le savoir. En revanche, je pouvais me mettre à la place d’un narrateur omniscient, savoir ce qu’elle avait dans la tête, savoir ce que lui avait dans la tête, savoir quel était le décor, pouvoir le décrire. Je pouvais vraiment occuper cette place. »

  11. « Sex Toy » de Jean-Marie Gourio, publié par Julliard, qui traite de la sexualité plus que débridée des adolescent(e)s et de leurs excès, mérite également le qualificatif de « roman choc ».

  12. Ce type de bouquins, que l’on taxe de trash comme s’il s’agissait de torchons (censure morale?) touche un très vaste lectorat. Sans vouloir faire de la psychologie à deux balles, les tabous, l’exhibition et l’interdit excitent la plupart d’entre nous, tel un bon porno.
    Gaspar Noé disait « le but n’est pas de plaire ou de déplaire mais de provoquer une réaction ».
    Je pense que ces romans ont au moins ce mérite, et quand bien même la forme et le fond seraient bancals, il ne faut pas dénigrer l’érection.

    « Je bande donc je suis » (Erik Rémès

    • joseywales sur 6 décembre 2012 à 10 h 04 min
    • Répondre

    Pour avoir lu Oh… de P. Djian, je ne le classerai pas dans ces ouvrages dont l’article fait réference. S’arrêter à « l’histoire d’une femme violée continuant de coucher avec son violeur par la suite tout en ayant une liaison avec le mari de sa meilleure amie tandis que son fils kidnappe le bébé de sa femme, qui n’est pas le sien ou que sa mère de 75 ans a des amants trois fois plus jeunes », c’est être passé complètement à coté du livre tant la thématique en est autre. C’est oublier la question du deuil et de la reconstruction qui traverse tout le roman : deuil et reconstruction après un viol, deuil et reconstruction après une séparation, deuil et reconstruction après un enfant devenu un adulte étranger, deuil et reconstruction après la mort d’une mère, deuil et reconstruction après le crime du père. L’histoire n’est que prétexte et est sans importance. comment faire le deuil de ses idéaux et comment faire, avec ses moyens, avec le réel aussi monstrueux soit-il? That’s the question!
    Métaphysique et non voyeurisme !

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