« Les Lisières » d’Olivier Adam : « Je m’étais planqué là où était ma place, tout au bord, en lisière »

D’abord encensé et pressenti pour obtenir le Goncourt, Les lisières, le dixième roman d’Olivier Adam, qui dépasse pour la première fois les 400 pages, ne fait finalement pas partie de la prestigieuse sélection. Depuis, après de dithyrambiques premières critiques qui le considèrent, entre autres, comme « son meilleur roman social, affectif et générationnel. » (Le Monde), on lui reproche d’être trop dépressif ou « de tourner en rond »… Qu’en est-il vraiment ?

Paul Steiner déambule déprimé, traînant son vague à l’âme, vaincu par ses vieux démons, durant plus de 420 pages. La dépression le prend à 10 ans, on songe à un vertige de l’altitude mais non, figurez vous qu’il voulait se suicider, après une étape cycliste, l’aspiration du vide déjà. Les lisières, ce sont à la fois les lisières des villes autant que les lisières de l’âme au bord desquelles on échoue. Ce sont les lisières sociales, les bords, les bordures, les dénivelés, les « au bord de soi », vu de l’intérieur, vu de l’extérieur, de ce qu’on donne à voir, de ce que l’on ressent, que l’on se passe en boucle, comme la vieille litanie existentielle qui revient souvent.

Sur un air de Francis Cabrel…
Les lisières, par extension, ce sont aussi les ratés, les souffrances et tout ce qu’on a contenu en soi, le trop plein. Les lisières, c’est le roman de la classe moyenne complaisante et Adam, c’est le Francis Cabrel du Livre : il est d’ailleurs à noter que certains passages font réellement penser à la chanson Hors-saison du chanteur : il est pas mal question de villas hors saisons et de boites aux lettres abandonnées. p 172 : « Il ne servait à rien de présenter des excuses ni de fournir la moindre explication, j’avais disparu voilà tout, et je réapparaissais, méconnaissable sans doute, avec mes cent kilos, ma barbe, mes lunettes noires, mes cheveux trop longs, mes chemises à carreaux, mes dents refaites, parce que dix ans après m’être remis à manger, elles étaient tombées une à une, ma cheville fixe qui me faisait boiter un peu, mon couple en lambeaux, mes enfants dont le manque me laissait incomplet et soumis au retour imminent de la douleur, mes dix romans publiés, mes scénarios portés à l’écran, ma vie de bord de mer, de vacancier permanent, j’avais disparu avant de déserter tout à fait, le travail, la famille, la patrie, j’avais tout laissé derrière moi et je m’étais planqué là où était ma place, tout au bord, en lisière ».

Du mal-être existentiel à la mise au point
Le mal-être de Paul Steiner, le narrateur, s’explique par le fait qu’il a été quitté par une femme dont on comprend qu’il l’aime encore : celle-ci lui a donné deux enfants. Une succession d’images façon film d’auteur français.
Avec quelques effets de manches, endossant une posture héroïque relativement injustifiée, en en faisant « trop », Paul Steiner décide de quitter sa Bretagne d’adoption pour retourner sur les pas ses quartiers d’enfance. Sa mère est malade, le père trop faible, le frère aîné méprisant, bref, voilà qu’on n’échappe guère aux clichés de la gamme familiale française classique. Steiner, du début à la fin, évolue dans un espace désorienté où il ne trouve jamais son lieu. C’est plutôt un non-lieu, c’est une absence sans contours clairement définis qui enveloppe ses navigations nocturnes amères. Sans véritables repères, Adam dépeint un homme désœuvré dans ce parcours à l’envers de sa vie. D’allées et venues de la Bretagne à Paris, c’est aussi le portrait d’un solitaire qui doit affronter la vie, les non-dits familiaux.
La peur, le fait de ne jamais trouver sa place, de n’être jamais là où il faut, d’anticiper l’aggravation de la maladie, d’accepter les révélations intimes du cercle familial, en font un être perdu dans les méandres du monde, une figure disqualifiée à l’avance, en recherche d’équilibre. p 354. : « Une fois de plus, garé face à la maison où j’avais grandi (encore un titre d’une chanson de Cabrel !, ndlr), j’ai été tenté de fuir. Y pénétrer me semblait au dessus de mes forces. Affronter le visage sec et froid de mon père, le rictus plaintif et usé de ma mère, le mépris de mon frère, passer quelques jours dans cette ville, sur les traces de mon enfance, tout cela m’étranglait . »

La lutte des classes en 2012
L’un des principaux intérêts de ce livre réside dans ce qu’il dit des fractures sociales, du caractère sociétal des villes périphériques, de la lutte des classes, et des préjugés sociaux qui en découlent.
p 240-241 : « Immanquablement, venait alors une remarque portant sur le peu de goût pour la lecture, dont l’école les avait soi-disant détournés, et leur aversion pour tout ce qui était « intello » ou « prise de tête ». Au moins me reconnaissaient-ils le mérite de ne pas être péteux ni snob, de vivre en province et non dans les arrondissement chics de Paris, de prendre un pot avec un simple caissier de supermarché dans un bar PMU pourri d’une ville perdue dans l’immensité surhumaine… » 
Ce qui est intéressant ici, en dépit des approximations du discours très convenu, c’est le regard sociologique sur les articulations complexes entre ces micro-sociétés (province/Paris, pour faire court), l’idée que la banlieue est un monde uniforme, et les ségrégations assez puissantes qu’il dénonce. On aime ces passages du livre brossant un panorama varié sur les banlieues, c’est ce qu’ dam tente le mieux de mettre en perspective et il y parvient, soyons justes. On ne peut oublier la violence discrète, indirecte de certaines remarques à l’égard de celui qui s’est « boboïsé » (semble-t-il malgré lui), et la multiplicité des approches avec les anciennes relations n’est pas sans intérêt.
De même que tous les acteurs du livre cherchent à nous éclairer sur les apports des « retrouvailles », livrant une compréhension sociologique des phénomènes « du retour au pays », plutôt pertinente. La question est toujours d’actualité car les banlieues  cristallisent encore beaucoup des anxiétés multiples. Egalement mis en exergue, et avec beaucoup de réussite : la société a horreur du vide, les trous de plus en plus nombreux du tissu social sont comblés par les communautarismes ou les « barrières infranchissables » en tous genres, les identités culturelles sont multiples, tandis que l’absence d’espérance en de lendemains meilleurs pour le quotidien des plus humbles exacerbe. Les lisières, ici, c’est aussi le sentiment d’indignation, un sentiment trop tendre tout à la fois pour ceux qui vivent l’abandon de l’intérieur de ces continents restant à explorer, et pour ceux qui font l’effort de les comprendre de l’extérieur

Une ambition politique assumée
Plus son passé rattrape Paul Steiner, plus le livre d’Adam devient politique. Il sait d’où il vient, il est de gauche, il sait ce qu’il devient, il sait pour qui il vote, et si le discours servi par le livre est « juste » au regard de ce qu’on entend souvent dans les cénacles franco-français ou les mouvances des partis depuis des décennies, il n’en est pas moins étranglé du fait de toutes les idées préconçues qu’il propose et des poncifs qu’il nous ressasse (« tu as bien de la chance d’avoir un CDI », ou variante, «les idées de l’UMP sont empruntées à la Blonde ». Ras le bol de la rhétorique gôchisante cliché, et de la sémantique du langage courant. Cette complaisance devient insupportable : d’un côté, le propos est : « voyez ce que je suis devenu » et c’est toute une indirecte critique amère de l’embourgeoisement. De l’autre, c’est l’effet boomerang et la culpabilité à peine assumée d’avoir quitté le milieu social d’où « on » vient. Assez aussi de ses complexes d’infériorité. C’est tout le problème des livres d’Olivier Adam : un manque évident de personnalité.

Une écriture sensible mais plate…
On finit ce livre lassement. Bien sûr, l’écriture est sensible, une voix et une musique un peu tristes vous murmurent à l’oreille des maux persistants. Bien sûr, Adam se met à nu, déplie son âme, livre une critique sociale intéressante. Mais le discours est ronflant, et le style, assez terne. Celui-ci, avant tout descriptif et situationnel, fait trop la part belle aux dialogues creux, et narre, sans frein, sans distance, sans nerfs. L’écriture n’est pas très littéraire ou trop peu, elle ne tranche pas dans le vif, elle manque d’ incisions, de cinglant. Parfois lumineuse, – dans quelques descriptions – mais le plus souvent manquant de caractère. Le livre de « Mr tout le monde », en somme. Politiquement correct. Normal. Mais compliqué quand on ne vote pas Mélenchon… [Laurence Biava]

2 Commentaires

    • EVRARD sur 25 octobre 2013 à 14 h 07 min
    • Répondre

    roman nombriliste, plein de redondances. Trop long, on aurait pu en couper la moitié. J’avais bien aimé « Des vents contraires », mais là, c’est trop. On sait qu’il est dépressif, mais son égocentrisme ne le rend pas sympathique. Au demeurant, roman bien écrit, fluide..

  1. Je n’avais jamais lu cet écrivain. J’ai trouvé le bouquin chez des amis. Le style somptueux, direct, prenant, sensible m’a mis direct KO. Je n’ai pu lire que les premiers chapitres, mais je vais le finir un jour, lorsque j’aurais remis la main dessus. Je ne comprends pas cette critique injuste.

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