Conseils d’écriture de Ray Bradbury : « Une histoire est une expérience émotionnelle »

L’auteur prolifique de Fahrenheit 451 ou des Chroniques martiennes, mais aussi au total de plus de 30 livres, près de nouvelles, and de nombreux poèmes, essais, scénarios et pièces, est un maître en matière d’écriture créative, alliant une maîtrise du fond et de la forme remarquable. La richesse et la recherche de son style font particulièrement sa marque de fabrique dans l’univers de la science fiction. Il partage son savoir-faire et prodigue ses conseils dans un livre d’essais sur la créativité (« Le zen dans l’art de l’écriture », écrits entre 1960 et 1990,) mais aussi au fil de ses interviews. Morceaux choisis :

« Des idées, on peut en ramasser partout: elles sont comme des pommes tombées à terre et qui pourrissent dans l’herbe, faute de passants sensibles à leur beauté et à leur saveur… »

Ray Bradbury à son bureau, au milieu de son bric à brac créatif !

Comment trouver l’inspiration pour écrire selon Ray Bradbury

C’est le manque qui nous donne l’inspiration. Ce n’est pas la satiété.
Même sans avoir jamais conduit, je peux écrire mieux sur les automobiles que les gens qui conduisent. J’ai une distance ici… Le voyage dans l’espace est un autre bon exemple. Je ne vais jamais aller sur Mars mais j’ai aidé à inspirer les gens qui ont construit les fusées et envoyé notre équipement photographique sur Mars. Donc c’est toujours un manque qui m’entraîne à écrire ce genre d’histoire. La première chose qu’un écrivain devrait ressentir est de l’excitation. Il devrait être un mélange de fièvres et d’enthousiasmes.

Pour lui, une des portes d’accès à notre inconscient, génératrice d’histoires, consiste en des listes de mots qui ne sont pas sans évoquer les listes d’Umberto Ecco et les mots clés de Kundera. Déjà dans son essai de 1961, Ray nous parle de bandes dessinées. Par la suite, il va nous parler cinéma, théâtre.
Il explique également que son enfance est une source d’inspiration infinie à laquelle il revient toujours s’abreuver : « Pour commencer j’ai fouillé mon cerveau à la recherche de mots capables de décrire mes propres cauchemars, mes frayeurs nocturnes et l’époque de mon enfance, et sur ces mots j’ai bâti des histoires. »

Faut-il lire ses concurrents ?

J’ai toujours cru qu’il ne fallait lire que très peu d’auteurs de son propre genre/domaine d’écriture une fois qu’on est embarqué dans l’écriture. Mais au début, il est bon de savoir ce que chacun fait. Quand j’avais 17 ans, j’ai tout lu de Robert Heinlein et Arthur Clarke et les premiers textes de Theodore Sturgeon et Van Vogt—tous les gens qui publiaient dans « Astounding Science Fiction mais mes plus grandes influences en science finction viennent de de H.G. Wells et Jules Verne. Lisez des livres qui amélioreront votre sens de la couleur, des formes et des tailles dans le monde.

Steinbeck est une autre de ses références qui lui a appris « comment écrire objectivement et cependant insérer toute la dimension intérieure sans trop en dire. » Il cite encore Eudora Welty pour son « remarquable talent à créer une atmosphère, des personnages et du mouvement d’une seule traite. »

Lire de la poésie pour affûter son style

Lisez de la poésie chaque jour de votre vie. La poésie est bonne parce qu’elle fait travailler des muscles que vous n’utilisez pas assez. La poésie étoffe vos sens et les garde en parfait état. Elle vous rend conscient de votre nez, de vos yeux, de vos oreilles, de votre langue et de vos mains.
Et par-dessus tout, la poésie regorge de métaphores et d’images. De telles métaphores, comme des fleurs de papier japonaises, peuvent s’étendre en de gigantesques formes. Les idées gisent partout dans les livres de poésie, pourtant il reste trop rare que les profs recommandent de les compulser. Il faut y aller par petites doses et ne pas trop forcer : de T.S Eliot à Dylan Thomas, même si vous ne comprenez pas tout, vos talents cachés et vos enfants qui n’ont pas vu le jour comprendront eux. Mes auteurs préférés sont ceux qui disent bien les choses.

« Chaque matin, je saute hors du lit et je marche sur une mine. La mine, c’est moi.
Après l’explosion, je passe le reste de la journée à rassembler les morceaux.
Maintenant, c’est à votre tour. Sautez ! »

« Vous devez restez ivres de vos écrits pour que la réalité ne vous détruise pas. »
(You must stay drunk on writing so reality cannot destroy you.”)

Rythme d’écriture

Côté pratique il recommande la cadence de 1000 mots par jour, une nouvelle par semaine pendant 10 ans, une première version le lundi et des versions successives les jours suivants de la semaine qui se finit par un dimanche de brainstorming. Une routine qui ne connaît pas vraiment de pause : « (…) si je laisse passer une journée sans écrire, je ressens un certain malaise. Deux jours et je suis pris de tremblements. Trois, et il me semble que la folie me guette. Quatre, et je pourrais tout aussi bien être un porc pris de fluxions dans sa bauge. Une heure d’écriture, voilà qui est tonique. Me voici sur pied, à virer et revirer, et à réclamer à grands cris une paire de guêtres propres. »
Son conseil est d’écrire des nouvelles à raison d’une par semaine pour se faire la main. « Au bout d’un an, vous aurez la joie d’avoir accompli quelque chose : vous aurez entre les mains 52 nouvelles. Et je vous mets au défi d’en écrire 52 mauvaises. C’est impossible. »

Sur la construction de l’intrigue

Une intrigue n’est rien de plus que des traces de pas laissés dans la neige après que vos personnages aient suivi leur chemin vers d’incroyables destinations.

Le secret pour écrire : écrire avec ses émotions sans intellectualiser

“Write. Don’t think. Relax.”

La chose importante est d’exploser avec une histoire, d’investir émotionnellement une histoire et de ne pas la réfléchir. Si vous commencez à réfléchir, l’histoire va mourir sur place. C’est comme pour tout. Si un athlète fait une course d’obstacles et qu’il commence à réfléchir à la prochaine barrière à sauter, il est foutu. Il va la renverser. Les gens qui lisent des livres sur le sexe deviennent frigides au lit. Vous développez des complexes. Vous ne pouvez pas penser une histoire. Vous ne pouvez pas penser « Je vais écrire une histoire pour améliorer l’humanité. C’est absurde.

Toutes les grandes histoires, toutes les pièces qui valent vraiment le coup sont des expériences émotionnelles. Si vous devez vous demander si vous aimez ou non quelqu’un, laissez tombez : la réponse est non. Une histoire fonctionne pareil. Soit vous sentez une histoire et avez besoin de l’écrire ou sinon vous feriez mieux de ne pas le faire. Si vous êtes réfractaire à sangloter, vous ne vivrez jamais une vie pleine et complète.

Par exemple dans Fahrenheit 451, on veut aborder l’autodafé, un sujet grave. Il nous faut faire attention à ne pas faire la leçon aux gens. Donc on place son histoire quelques années dans le futur, on invente un pompier qui brûle les livres au lieu d’éteindre les incendies, ce qui est déjà une grande idée en elle-même et vous le lancer dans l’aventure de la découverte que les livres ne devraient peut-être pas être brûlés. Il lit son premier livre. Il tombe amoureux. Et vous l’envoyez ensuite dans le monde pour changer sa vie. C’est une très bonne histoire à suspense renfermant ce grand sujet sérieux que vous voulez traiter, mais sans pontifier..

Ne pas tenir compte des avis extérieurs

Lui qui a souffert, jeune, de jugements parfois moqueurs sur son univers ou ses goûts (cf. ses collections de la BD Buck Rogers, héros d’épopée spatiale « pulp » notamment), prêche sans relâche « qu’il ne faut surtout pas écouter les opinions de quiconque« , dans la lignée d’un Jean Cocteau qui nous enseignait « Ce que le public te reproche, cultive le , c’est toi« . Et de relater son expérience personnelle : « Plus jamais je ne me suis laissé influencer par ce que les uns ou les autres pouvaient dire sur mon goût pour les voyages spatiaux, les fêtes foraines et leurs attractions, ou les gorilles. Lorsque cela se produit, je remballe mes dinosaures et je quitte la pièce. »
Corollaire : « Vous devez écrire pour vous plaire. Vous écrivez pour la joie d’écrire. Et ensuite le public vous lit et vous commencez à rassembler… C’est l’enthousiasmae, la joie elle-même qui m’attire. Si cette joie s’arrête, j’arrêterai d’écrire. »

« Lorsqu’un homme parle avec son cœur, dans ses moments de sincérité, c’est en poète qu’il parle. »

L’art des métaphores

Je fais commerce de métaphores. Toutes mes histoires sont comme des mythes gréco-romains ou Egyptiens ou comme des épisodes de l’ancien ou du nouveau testament. Je parle dans ma langue, si j’écris en métaphores alors les gens s’en souviennent. Les histoires sont ainsi très faciles à se remémorer et vous pouvez les raconter. Donc c’est ma spécialité d’être à la fois un conteur et un auteur de métaphores. Je pense que c’est pour cela que je suis étudié en classe.

C’est en se nourrissant de poésie qu’il a développé sa prose lyrique (voir ci-dessus).

Sur les refus/rejets de manuscrits et publications

Dés l’âge de 15 ans, j’ai commencé à envoyer des nouvelles aux magazines comme Esquire et ils me les ont renvoyé promptement, deux jours plus tard. J’ai plusieurs murs dans plusieurs pièces de ma maison couverts de cette avalanche de rejets. Mais ils ne savaient pas à quel point j’étais quelqu’un de fort. J’ai persevéré et écrit un millier de nouvellles encore plus terrifiantes qui ont été rejetées à leur tour. Ensuite à la fin des années 40, j’ai vraiment commencé à vendre mes nouvelles et me délivrer de ces avalanches à la quarantaine. Mais même encore aujourd’hui, mes derniers recueils contiennent au moins 7 histoires qui sont refusées par tous les magazines des US et même de Suède ! Donc prenez courage. Les avalanches ne durent pas pour toujours.