« I don’t wanna lose my job » (Nafissatou Diallo) : pourquoi les femmes violées ne se défendent pas.

La rentrée littéraire s’apprête à débarquer mais le « roman DSK de l’été » (ou tragédie plutôt) continue d’accaparer mon esprit. Sur Internet le débat a fait rage (et même les écrivains sont nombreux à réagir, de part et d’autre, depuis mai : je partage d’ailleurs complètement l’avis de Virginie Despentes tant sur le harcèlement sexuel que sur la prison). Et force est de tristement constater que les défenseurs du violeur présumé dominent depuis le début.

DSK sortant du tribunal, libéré sur parole, sourire victorieux aux lèvres…

Les deux femmes ayant eu le courage de porter plainte sont accablées, lynchées avec une violence et une haine absolument incroyables (et ce, depuis le début de l’Affaire avant même que toute enquête n’ait été réalisée sur elles). Je veux dire que jamais je n’aurai cru possible de dénier, de la sorte, alors que rien ne prouve jusqu’ici qu’elles disent faux sur les faits en tant que tels, à ces deux femmes toute possibilité qu’elles aient pu être effectivement victimes : lorsqu’on lit et qu’on écoute tout ce qui peut se dire, l’opinion dominante se résume à : elles mentent. Elles ne peuvent que mentir. On ne leur accorde même pas le bénéfice du doute malgré tout de même un rapport médical probant et des traces effectives retrouvées dans la chambre du Sofitel ainsi que divers témoignages concordants sur le profil de l’accusé.

Parmi les « arguments » de leurs détracteurs, aussi bien hommes que femmes (et même plus de femmes que d’hommes à mon grand étonnement) : elles auraient pu se défendre, cela leur aurait été facile (la deuxième, la plus frêle en l’occurrence, l’a fait et a été jusqu’à se battre au sol). C’est en particulier l’afro-américaine Nafissatou Diallo dont la corpulence a aussitôt attiré, outre les commentaires désobligeants sur son physique apparemment non conforme aux normes esthétiques, le doute sur son inaptitude à repousser son « prétendu agresseur », le « faible DSK ».

Pourtant si on lit son témoignage répété et reproduit à diverses reprises, une de ses premières répliques à l’assaut (présumé, hein toujours!) de l’ex directeur du FMI a été :

I don’t wanna lose my job .

« Je ne veux pas perdre mon travail. »

“I didn’t want to hurt him”

(tout en essayant de le repousser)
« Je ne voulais pas le blesser », a-t-elle aussi expliqué, pour ceux qui s’insurgent que l’homme n’avait pas de traces de coups ou autres « traces de rejet » sur lui (ce que je n’appelle pas pour ma part « un rapport consenti » hein mais bon la définition a l’air d’avoir beaucoup évolué ces derniers temps -ou pas d’ailleurs, ce qui est encore plus inquiétant-…).

Cette femme était une femme de chambre efficace et appréciée de ses employeurs, on peut comprendre que ce travail était primordial et vital pour cette immigrée, mère célibataire tant pour son intégration sociale que pour son indépendance économique. Lorsqu’elle voit ce riche client blanc se jeter sur elle, bien évidemment son premier réflexe naturel est de penser que si elle se refuse et pire, si elle « lutte » contre lui, il ira se plaindre de son service par la suite et qu’elle risque donc sa place (entre une pauvre femme noire que l’on peut remplacer en un clin d’œil et un client VIP, la direction n’aurait peut-être pas hésité longtemps…). Un raisonnement logique, en particulier pour une femme originaire d’un pays où les hommes ont tous les droits, y compris celui de mort sur les femmes.

N’oublions jamais le contexte : elle n’est qu’une femme de chambre, il est le client, roi donc. Il ne s’agit pas d’une agression « anonyme » au sens social du terme, chacun a un statut bien défini et connu de l’autre : elle est sensée être aux ordres du client et ne pas le blesser ou le froisser. Alors oui peut-être aurait-elle eu la force physique de se défendre, de le mordre ou autre « conseil » facile de ceux qui n’étaient pas dans la situation, mais l’agression a été plus insidieuse, pernicieuse. En s’attaquant à une femme sous ses ordres, il est plus facile de la faire céder, d’abuser d’elle tout simplement, sous la contrainte morale plus que physique, sans que rien de tout cela ne soit « consenti » au sens sincère du terme et encore moins de « la séduction ». C’est un chantage, un moyen de pression tacite qui, s’il n’est pas explicitement formulé, est parfaitement connu des deux parties.

Je ne sais pas si Nafissatou Diallo ment mais ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas d’invraisemblance dans son récit.
Par ailleurs, je tiens à souligner que la réponse à la violence physique par la violence physique n’est pas quelque chose d’instinctif, tout le monde (homme ou femme) n’est pas capable de le faire quels que soient sa taille et son poids (qui ne sont d’ailleurs pas synonyme de force). Virginie Despentes l’explique très bien dans King Kong Théorie
Alors qu’elle se fait violer dans sa jeunesse, elle ne pense même pas à se défendre ou à utiliser
le cran d’arrêt dans sa poche. Elle décrit comment la femme n’ose pas se défendre parce que « la violence
n’est pas son territoire et que l’intégrité physique du corps d’un homme est plus importante que celle
d’une femme. » Elle ajoute:

Défendre ma propre peau ne me permettait pas de blesser un homme. (…) Les petites filles sont dressées pour ne jamais faire de mal aux hommes, et les femmes rappelées à l’ordre à chaque fois qu’elles dérogent
à la régle
.

La même logique a été suivie par l’homme, dans ses fonctions de Directeur du FMI avec sa subordonnée, l’économiste hongroise, Piroska Nagy* qui l’a aussi accusé de manœuvre abusive (sans que la violence physique ne soit entrée en jeu , il s’agit ici aussi davantage de violence morale qui n’est actuellement quasiment pas -ou pas assez- prise en compte dans ce type d’affaires) : « Je pense que M. Strauss-Kahn a abusé de sa position dans sa façon de parvenir jusqu’à moi. Je vous ai expliqué en détail comment il m’a convoquée plusieurs fois pour en venir à me faire des suggestions inappropriées. Je n’étais pas préparée aux avances du directeur général du FMI. […] J’avais le sentiment que j’étais perdante si j’acceptais, et perdante si je refusais. »

Tristane Banon, jeune journaliste et écrivain débutante à l’époque, n’a pas immédiatement porté plainte pour la même raison : la peur d’être blacklistée de toutes les rédactions, de tous les éditeurs, de perdre aussi son « job » où de surcroît elle débutait.

Manifestation afro-américaine devant le Tribunal lors de l’abandon des charges du Tribunal contre D.Strauss Kahn (24/08/11)

Et c’est ainsi que cela s’est toujours passé, je parlais des romans de Maupassant dans mon précédent billet en particulier « Une vie », époque où il était courant que les Maîtres aillent coincer les petites bonnes dans leur chambre ou dans les cuisines pour se satisfaire et que ces dernières (qui ne devaient certainement pas être « consentantes » ) ne pouvaient guère pourtant se défendre, quelle que soit leur force physique, au risque d’être virée illico (ce qui ne manquait pas d’arriver quand elles finissaient par tomber enceintes). On se rappelle aussi de la pauvre Dounia, la soeur de Raskolnikov dans « Crime et châtiment » qui subit le même sort avant de tenter d’être « vendue » à un « bon parti » pour se refaire une réputation et sauver sa famille de la misère.
En France, cette pratique -qui fait sourire avec indulgence une partie de la gente masculine, cf déclaration « badine » de Kahn sur le « troussage de domestique« – a même eu droit au « galant » nom: « les amours ancillaires », comme pour mieux légitimer et entériner ce droit de cuissage abjecte recouvert d’un vernis de légèreté. J’ai entendu à titre personnel un bibliothécaire d’une soixantaine d’années me dire qu’il regrettait ce « bon temps » où les féministes n’existaient pas et où l’on ne faisait pas tant d’histoires pour ces petits « plaisirs » (à la question de savoir qui prenait du plaisir dans cette situation, il n’a toutefois pas répondu).

Aujourd’hui, nous sommes en 2011 mais rien n’a changé. La petite bonne qui se plaint du Maître perd en effet son travail et est en plus traînée dans la boue par toutes et tous. Oui, tu avais vu juste Nafissatou. Mais non seulement tu as perdu ton travail mais aussi sans doute la possibilité de ne jamais en retrouver un…
Tristane et sa mère touchée par ricochet, sont dans la même situation.

Pendant ce temps, DSK sort avec un sourire victorieux du Tribunal en « héros » (héros de quoi au fait ?), au bras de sa femme aveuglément dévouée et richissime tout aussi souriante (pourquoi au fait ?). Il n’aura, lui, aucun mal à se retrouver « a (good) job »… D’après les sondages, il est même toujours prisé pour être candidat à la présidentielle. Tout va bien donc. [Alexandra Galakof]

Mise à jour 23/08/2011 et liens d’infos complémentaires :

« Dans quelques heures, l’ancien patron du FMI pourrait être libre. Cyrus Vance a estimé qu’il avait bien eu une relation sexuelle avec la femme de chambre, «probablement non consentie». Mais les mensonges de cette dernière rendent la poursuite de la procédure impossible. »
http://www.lefigaro.fr/international/2011/08/22/01003-20110822ARTFIG00556-dsk-le-procureur-demande-l-abandon-des-charges.php

« La relation sexuelle non-consentie, un immense soulagement pour le PS »
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-relation-sexuelle-non-consentie-99398

DSK: les féministes redoutent un effet retour
« Ce qui s’est passé ? Faute de procès, on ne le saura pas, et c’est bien dans ce défaut de recherche de la vérité que se trouve le problème, réagissent en chœur les féministes. «Il n’y a pas matière à dire qu’on est soulagé du fait qu’il n’y aura pas de procès ni de justice rendue comme je l’entend dire depuis hier soir», dénonce l’antilibérale Clémentine Autain, très remontée. «Il est franchement déplacé que les socialistes applaudissent à une décision qui ne permette pas que justice soit faite!»
C’est aussi ce qu’écrivent dans une pétition lancée hier en réaction à la levée des charges (texte ici) la psychiatre Muriel Salmona et la journaliste Sandrine Goldschmidt, militantes féministes: «C’est vrai, Nafissatou Diallo n’avait guère de chance de gagner un procès pénal et de convaincre 12 jurés « au delà du doute raisonnable ». Cela ne prouve pas que DSK n’était pas coupable. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la justice des hommes est bien la justice des hommes.»
(Source : http://www.liberation.fr/societe/01012355870-dsk-les-feministes-redoutent-l-effet-retour

– Concernant l’appel téléphonique de Nafissatou Diallo à son fiancé détenu : il faut rappeler qu’avant de mentionner la richesse de l’homme qu’elle accuse (dont la traduction a bien été confirmée dans le rapport du procureur) , elle lui avait bien raconté aussi que cet homme l’avait attaqué : « Un homme que je ne connais pas m’a attaquée et a voulu me déshabiller. On s’est battu. Je suis allée à l’hôpital et on l’a arrêté. » S’ensuit un récit qui correspond à celui qu’elle a donné à tous ses interlocuteurs depuis le 14 mai 2011. Il est regrettable que la citation de cette conversation téléphonique soit tronquée quand reprise publiquement.

– Rappel de la version initiale de la défense de Mr Strauss Kahn lors de sa mise en accusation (changée après avoir eu connaissance des éléments de l’enquête de la police) :

« Les avocats de DSK auraient reconstitué son emploi du temps. Il aurait quitté l’hôtel avant l’heure supposée de l’agression de la femme de chambre. La défense s’apprêterait à fournir des preuves. » (Source RMC : http://www.rmc.fr/editorial/161765/exclusif-lalibi-de-dsk-pour-sinnocenter/)

« Les avocats du patron du FMI affirment qu’il se trouvait dans un restaurant au moment de l’agression sexuelle présumée. Mais les enquêteurs auraient corrigé l’heure de ladite agression. » (Source Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/politique/2011/05/16/01002-20110516ARTFIG00550-interrogations-sur-l-emploi-du-temps-de-dsk.php)

« L’emploi du temps de DSK, pierre angulaire de l’accusation et de la défense » (Source L’Express – AFP : http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/l-emploi-du-temps-de-dsk-pierre-angulaire-de-l-accusation-et-de-la-defense_993452.html)

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Mise à jour 29/08/2011

* Affaire DSK: l’avocat de Tristane Banon demande l’audition de Piroska Nagy
(Source : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/affaire-dsk-l-avocat-de-tristane-banon-demande-l-audition-de-piroska-nagy_1024597.html

« Mme Nagy, qui a démissionné du FMI, avait écrit à ce cabinet d’avocats que son patron avait « abusé de sa position », estimant avoir été « piégée ». Elle jugeait par ailleurs que Dominique Strauss-Kahn était « un homme agressif » et disait craindre qu’il « ait un problème pouvant le rendre peu adapté à la direction d’une institution où des femmes travaillent sous ses ordres ». »

DSK est atteint d’une « maladie mentale », selon Rocard
(Source : http://www.lemonde.fr/dsk/article/2011/08/29/dsk-est-atteint-d-une-maladie-mentale-selon-rocard_1565102_1522571.html)
« L’ex-premier ministre Michel Rocard a estimé lundi 29 août que Dominique Strauss-Kahn était atteint d’une « maladie mentale » qui l’empêchait de « maîtriser ses pulsions ». Lors de l’émission Le Grand Journal de Canal+, M. Rocard a déclaré : « Cet homme a visiblement une maladie mentale », éprouvant des « difficultés à maîtriser ses pulsions. C’est dommage, il avait un vrai talent, c’est vrai« .

DSK : « Une injonction de soins aurait été nécessaire »
« (…) ce que l’on peut repérer dans la personnalité de DSK, séducteur connu, c’est le besoin d’affirmation de soi qui peut conduire à ne pas tenir compte des réticences opposées et à avoir des barrières affaiblies dans la gestion des pulsions. »
(Source : http://www.francesoir.fr/actualite/justice/dsk-une-injonction-soins-aurait-ete-necessaire-132676.html)

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Mise à jour 30/08/2011

Aubry critique «l’attitude de DSK vis-à-vis des femmes»
« Martine Aubry prend ses distances avec DSK. Invitée du Grand Journal de Canal + mardi soir, la candidate à la primaire socialiste a affirmé qu’elle pensait «la même chose que beaucoup de femmes sur l’attitude de Dominique Strauss-Kahn vis-à-vis des femmes», tout en assurant qu’elle avait défendu dès le début de l’affaire, le 14 mai, la présomption d’innocence. «J’ai été la première à dire le premier jour nous devons à la fois défendre la présomption d’innocence, la victime et sa parole», a développé la maire de Lille. »
(Source : http://www.lefigaro.fr/politique/2011/08/30/01002-20110830ARTFIG00567-aubry-critique-l-attitude-de-dsk-vis-a-vis-des-femmes.php)

Aubry se démarque de DSK
« Martine Aubry s’est pour la première fois nettement démarquée mardi de son ancien allié Dominique Strauss-Kahn en affirmant partager l’avis de «beaucoup de femmes» sur l’«attitude» de l’ex-directeur du FMI à leur égard. »
(Source : http://www.nordeclair.fr/Actualite/Depeches/2011/08/31/aubry-se-demarque-de-dsk-canal.shtml)

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