Interview de Mahtab Ashraf, éditrice et fondatrice de Fougue Editions : « Chez nous c’est le fond qui précède la forme dans nos choix »

A la tête d’une jeune et petite maison d’édition indépendante de littérature contemporaine, Fougue Editions qu’elle a fondé en 2018, avec déjà 14 titres édités, Mahtab Ashraf a publié, entre autres, fin 2019 le premier recueil de poésie de Vincent Zulawski (voir interview) fils de Sophie Marceau. Elle nous présente son parcours, son activité et sa ligne éditoriale et défend l’art poétique . Elle nous explique également comment elle sélectionne les auteurs de son catalogue. On parle aussi du rôle d’Internet dans la création poétique et littéraire en général…:

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Mahtab Ashraf, éditrice et fondatrice de Fougue Edition.

Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition (date et circonstances de création, ligne éditoriale, catalogue, principaux auteurs publiés) ainsi que votre parcours ?

Fougue-Éditions est une très jeune petite maison d’édition de littérature contemporaine, créée fin 2018, avec une prédilection pour les courtes et longues nouvelles à chute, genre littéraire, hélas, peu recherché et répandu en France. Nous avons six collections : nouvelle, roman, poésie, théâtre, grands classiques oubliés et récemment, une collection spécialisée consacrée aux partitions inédites pour le piano a été créée. Ayant fait des études de musique et de lettres, ma passion se partage entre ces deux mondes, et en tant qu’ancienne auteure (Hachette) j’ai toujours été fascinée, au-delà de la littérature, par le monde de l’édition et son envers du décor.
Même si l’édition à notre hauteur ne tient qu’à une passion ancrée pour pouvoir poursuivre sans compter le temps et les dépenses face à un déséquilibre financier, nous ne lésinons pas sur la qualité de nos ouvrages, dans le choix de leur contenu et dans la qualité de leur présentation. Chaque sortie de livre est ainsi un moment émouvant parce qu’il représente et par l’aspect esthétique de l’objet livre. Notre dernier ouvrage publié est un roman de qualité de Gino Masselli (La Défaillance), professeur de lettres et de théâtre.Nous devions participer à deux salons qui ont malheureusement été annulés, mais L’autre Livre (l’annuaire des éditeurs indépendants) a conçu un catalogue des ouvrages qui étaient supposés être exposés.

Quelle place occupe la poésie dans votre catalogue et même question qu’à Vincent Zulawski : pensez vous que la poésie de surcroît contemporaine ait encore un lectorat/avenir en France ?

Je suis née dans une famille de poètes persans, bercée par les vers de Khayyâm, Saadi, Hafez et tant d’autres, qui étaient récités à toute occasion chez nous, et ma tante était une poétesse réputée à Shiraz, dont le tombeau est dans la même enceinte que celui de Hafez, à Shiraz. Ainsi, cet engouement pour extérioriser un sentiment, une peine, une joie à travers un assemblage bien mesuré de mots, comme peindre avec mille nuances de couleurs, est resté en moi. Je suis heureuse, même si la publication de la poésie n’est ni facile ni« rentable », d’y consacrer une collection chez Fougue-Éditions. Ainsi, peu importe la tendance générale, la forme ou le style présenté, dans la poésie comme dans toutes autres formes d’expression ou plus généralement dans l’art, la condition sine qua non est d’en être touché,ému, voire interpellé. Cette émotion peut être suscitée par le sentiment de l’auteur, par l’univers qu’il évoque, par la beauté et la musique de ses mots, de sa philosophie, de ses métaphores, comme dans un beau tableau ; l’essentiel c’est qu’il suscite quelques vibrations pour atteindre l’aspect littéraire. Et pour répondre à la dernière partie de la question : bien sûr que dans la poésie contemporaine comme dans l’art en général, si les mots sortent des tripes et touchent un public, elle aura de l’avenir.

Quel regard portez-vous sur la création poétique numérique (ex : Instapoet) ? Pensez-vous que cela peut être un bon moyen de rendre plus visible et plus accessible ou de renouveler les textes poétiques et permettre aux éditeurs de repérer de nouveaux talents ?

La poésie est une histoire de réflexion, de méditation, d’observation et de contemplation, étroitement liée au vécu et au ressenti de l’auteur. J’ai bien peur que la spontanéité et la facilité d’inscrire sur l’écran dispensent de l’approfondissement, de la recherche du mot juste et du rythme (pas forcément la rime), essentiels dans la poésie. Mais lorsque comme dans la période triste que nous traversons actuellement, un événement extérieur, tel que cette pandémie,bouleverse si fort nos habitudes, face aux librairies, aux bibliothèques et aux disquaires clos, c’est bien heureux de pouvoir lire et s’exprimer à travers l’écran, cette fenêtre qui s’ouvre grand sur divers horizons et perspectives,et de continuer à rêver en lisant et en écrivant à l’écran. Rien n’empêche par la suite d’affiner son texte. Une part non négligeable des auteurs qui nous envoient des mails pour nous faire parvenir leur manuscrit nous renvoient également vers leur site ou blog de création littéraire. Enfin, un autre avantage d’écriture directe à l’écran c’est de trouver rapidement un lectorat sans attendre, parfois longtemps, l’engagement d’un éditeur. En ce qui concerne la dernière partie de votre question, je pense que le rôle des réseaux sociaux est indéniable ; si cela peut donner legoût au jeune auteur de se lancer ensuite dans lesrèglesde l’art etdans une écriture plus exigeante, il sera gagnant, car rien ne remplace le toucher physique d’un livre qui peut devenir un objet familier, attachant, un refuge qu’aucune technologie, à mon sens, ne peut dépasser ou remplacer.

Pourquoi avez vous décidé de publier « Le Charlatan« , comment l’oeuvre est-elle arrivée entre vos mains et qu’est- ce qui vous a séduite plus particulièrement en terme de style et d’univers ?

Vincent avait envoyé une vingtaine de pages par mail sur le lien manuscrits du site (manuscrits@fougue-editions.fr) dédié aux envois. Sans nullement le connaître, nous avons été touchés par sa sensibilité, même si certains de ses poèmes, notamment parmi les poèmes en français, étaient à « l’état brut » et ont nécessité d’être retravaillés, voire remaniés. La partie anglaise, plus travaillée, dégageait de jolies nuances, couleurs et saveurs et nous a séduits, et afin qu’elle soit accessible à tous nous avons décidé de la traduire en la revisitant, sous le regard de l’auteur. Le tout a ainsi formé un recueil et je pense que Vincent en est fier.

De façon générale comment sélectionnez vous vos auteurs, quels sont vos critères et quels conseils donneriez vous à un jeune auteur qui cherche à écrire et à se faire publier ?

Comme je le soulignais, le maître mot est l’émotion. Il faut d’abord être happé par ce que raconte l’auteur, que la poursuite du texte soit une joie, un moment de plaisir ou si possible émouvant, vient ensuite l’écriture (mais pas avant). Chez nous c’est le fond qui précède la forme dans nos choix, évidemment parfois l’un ne va pas sans l’autre et vous ne pouvez pas être touché par une expression banale, un langage ordinaire ou des clichés. C’est en cela que le manuscrit de Vincent Zulawski nous a intéressés ; il y avait tout de suite un fond, des sentiments, du vécu, des écorchures, de l’amertume, beaucoup d’imaginaires.

Pour le conseil au jeune auteur, je dirais que si on est convaincu par ce qu’on écrit, il faut y aller, il faut persévérer. Je suis moi-même une ancienne auteure (je n’aime pas le mot autrice) qui ai connu des refus et je connais la peine inhérente à la réception d’une lettre négative ; quand cela m’arrivait, j’avais de plus la hantise que le refus que j’avais entre les mains soit une condamnation et dispense d’un regard neuf et sans préjugé sur le texte suivant, peut-être pas à tort, certains grands éditeurs auraient un fichier sur l’auteur, ce qui peut éventuellement susciter un a priori et le priver d’une vraie deuxième chance… Mais chez nous, nous oublions un manuscrit non retenu et son auteur (personne n’est fiché) pour recevoir son ouvrage suivant la porte grand ouverte, avec un regard neuf et de l’appétit. Le pire pour un auteur (comme pour tous dans la vie) est d’être vu sous un seul angle.

Avez-vous d’autres messages à communiquer ?

J’ai un message envers les médias et les libraires : je connais leur tâche difficile face aux centaines de livres qu’ils reçoivent sans répit, mais nous, les petites maisons, aux moyens limités, nous avons, plus que les grands bien installés avec des auteurs connus du public, besoin d’eux. Sans eux il n’y aura pas d’information et de partage, seul but de l’auteur et de l’éditeur, et toute cette fougue pour mener à terme un ouvrage resterait un effort vain.
En cela, je remercie Buzz…littéraire, les sites proches et les blogueurs littéraires qui ont pour tâches de relayer les nouveautés et de donner un peu de visibilité aux ouvrages peu médiatisés, c’est un rôle précieux au service de la littérature et auprès des petites maisons.

Site web: https://fougue-editions.fr/

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