Interview Sacha Sperling: « Un écrivain c’est quelqu’un qui trouve qu’il y a un truc dans le monde qui ne va pas, quelque chose d’absurde. »

Le premier roman « Mes illusions donnent sur la cour » de Sacha Sperling a créé l’évènement de la rentrée littéraire 2009 et a été salué par la critique et le public en dépit des suspicions quant à son statut de « fils de » et de son genre littéraire (i.e la jeunesse dorée parisienne » devenu un peu galvadué après Bret Easton Ellis ou en France Lolita Pille et ses épigones). Rencontre avec un jeune homme d’aujourd’hui qui assume ses influences et nous parle de sa vision de l’adolescence au XXIe siècle :

Sacha Winter, le narrateur du roman, c’est vous ?
Sacha Sperling: Non, le personnage appartient au livre. Tant mieux s’il y a identification, c’est comme ça que ça fonctionne dans la littérature contemporaine, mais en écrivant, je me suis autant identifié à Sacha qu’à Augustin, l’autre garçon du livre. La façon de voir le monde de Sacha correspond à la mienne, mais pas son mode de vie. Les gens penseront que c’est moi, tant pis.

Le héros du roman représente-t-il sa génération ?
Sacha Winter ne se sent pas adapté au monde qui l’entoure, il a envie de quitter la médiocrité de l’enfance, de sortir de l’ennui : ça, c’est propre à tous les ados depuis toujours. Après, il fait face à des situations extraordinaires, choquantes, c’est en ça qu’il est attachant. Ce qui caractérise sa génération, c’est qu’elle a accès à beaucoup de moyens de s’enfuir, s’éloigner des autres. Lui s’échappe grâce à ses rêves, grâce à Augustin… Ce Sacha est particulier, c’est un extrême dans une génération d’extrêmes.

Sacha a 14 ans, mais à le lire, il pourrait tout autant en avoir 17. Cette maturité est générationnelle, elle aussi ?
Ma génération est blasée, c’est aussi en ça qu’elle est amusante. Je n’ai pas fait l’expérience de tout ce que je raconte, mais je l’ai observé dans mon entourage. Bien sûr, s’agissant d’un roman, on est toujours dans l’extrême…

La jeunesse décrite, c’est celle que vous fréquentez ?
Si j’appartiens à la « jeunesse dorée », comme on me le dit maintenant, alors c’est malgré moi. Je ne me pose pas comme le porte-parole de ce milieu. Lolita Pille, dans Hell, racontait l’histoire d’une fille riche malheureuse à cause de son argent. Sacha, lui, n’a pas de problème avec l’argent, il n’en a rien à faire.

Pourquoi avoir écrit, dans l’épilogue, que Sacha Winter ne reviendra plus ?
J’aimais l’idée du livre « bulle de savon ». Lorsque vous fermez le livre tout est terminé, ce que vous avez lu n’était pas la vérité. L’épilogue est là pour mettre les points sur les i : le roman ressemble à un journal intime mais n’en est pas un, ce sont les fantasmes, les rêves d’un ado qui vit des expériences hors du commun. Sacha Winter aura toujours 14 ans, en dehors de cette histoire, il n’a aucune raison d’être. Pour l’instant, je n’ai pas envie de le faire revenir, j’ai passé trop de temps avec lui !

Sentez-vous une attente particulière autour de votre livre ?
J’ai l’impression qu’il y a 10 000 panneaux autour du livre, «Attention livre d’ado, livre choquant », et c’est dommage, car le roman gagnerait à être pris tel qu’il est. De toute façon, maintenant ce n’est plus de mon ressort. Ce livre n’est plus le mien, on me mettra dans des cases, j’accepterai.

Avez-vous peur de l’étiquette « fils de » ? (Sacha Sperling est le fils d’Alexandre Arcady et de Diane Kurys)
Ça c’est drôle, parce qu’avant la sortie du livre, je n’étais le fils de personne. Alexandre Arcady et Diane Kurys, tout le monde s’en fout ou presque ! Maintenant, j’ai l’impression d’être le fils de Madonna et Mick Jagger… Je suis très fier de mes parents, ils ont pris mon livre de manière géniale. Ce serait insupportable que je commence à me plaindre.

Quel lecteur êtes-vous ?
Je ne lis pas assez ! J’ai un rapport assez obsessionnel aux livres, je relis les mêmes 5, 10 fois… Surtout Philippe Djian, Bret Easton Ellis, William Burroughs. Principalement de la littérature américaine.

En effet, impossible de ne pas penser à Moins que zéro en lisant Mes illusions.
Je suis un vrai groupie de Bret Easton Ellis. Dans Mes illusions, il y a beaucoup d’allusions à Moins que zéro : le narrateur, Clay, intervient dans une scène, la phrase que je cite plusieurs fois « le point où tout disparaît », c’est de Bret Easton Ellis… Pour moi, Ellis a déclenché une petite révolution dans la littérature. Dans Moins que zéro, il ne parle de rien, ne raconte rien, et on a envie de pleurer du début à la fin ! En plus, Ellis a réussi à capter une ville, une époque. Chez Ellis, ce qui pourrait être insupportable, c’est qu’on ne s’attache pas à ses personnages. Tandis que Sacha, à la fin on l’aime, on a de la peine pour lui… Mon roman est moins inédit, il attrape le lecteur par des moyens plus connus.

Vos influences sont plus anglo-saxonnes que françaises.
Oui, et pas seulement en littérature. Je suis un américain raté, complètement fasciné par la pop culture. Je n’ai jamais trouvé mon compte en France, même si j’ai un vrai amour pour le patrimoine français. Mais la conception américaine de l’art se rapproche davantage de la mienne. En France, on cherche toujours l’homme derrière le livre, la chanson… Aux Etats-Unis, c’est l’œuvre pour l’œuvre, peu importe l’auteur. Et je suis fasciné par la capacité des américains à créer des moments de pure poésie moderne. Là bas, les autoroutes, les restos, c’est monstrueux, mais c’est émotionnel.

En ce moment, que faites-vous ?
Mon second roman est sur les rails. J’essaie de ne pas tomber dans le même schéma que pour Mes illusions et d’inventer autre chose, même si je me tourne toujours vers les mêmes sujets.

Mes illusions vous est venu comme un tout ?
Avant ce texte, je n’avais jamais écrit. J’ai commencé par réunir des éléments, des vignettes, sans cohésion linéaire. Lorsque je me suis aperçu que c’était suffisamment dense pour former un roman, j’ai commencé à organiser l’ensemble en me disant : j’écris un livre, qu’il soit publié ou non.

Parvenez-vous à maintenir une rigueur dans l’écriture ?
J’essaie d’écrire 2, 3 heures par jour… Mon rapport à l’écriture se situe dans la pulsion, le mécanisme de survie. En ce moment, je suis stimulé, j’ai une super histoire, mais parfois c’est très laborieux. Les deux aspects cohabitent. C’est aussi très égotique, comme métier. C’est un pouvoir génial de prendre une feuille blanche, et d’aller n’importe où, n’importe quand.

Ecrivain, c’est donc un métier, pour vous ?
Ce mot est affreux, métier ! Disons que c’est un mode de vie passionné, dont on peut vivre. J’ai listé les choses que j’ai envie d’essayer, et l’écriture me semble être un bon tremplin. Une fois qu’on a un public, c’est plus facile de tenter d’autres expériences. Pour l’instant, j’aime écrire… C’est la réponse la plus honnête que je puisse donner.

Il paraît que l’écriture est une activité très solitaire. Pour vous aussi ?
C’est un isolement pervers, qui éloigne de son entourage. Dans Mes illusions, Sacha, qui est aussi un écrivain, dit « je vis comme s’il y avait une plaque de verre entre les autres et moi ». Pour moi, un écrivain c’est quelqu’un qui trouve qu’il y a un truc dans le monde qui ne va pas, quelque chose d’absurde.

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