Traduction: l’Angleterre s’ouvre doucement à l’étranger, la France reste dynamique

Un récent article du Guardian (1) déplorait la frilosité des lecteurs britanniques à l’égard des romans étrangers (attribuée à une « mentalité insulaire »). En effet, en dépit d’une importante hausse (de 95%) des ventes des oeuvres traduites entre 2001 et 2015, ces dernières ne représentent toujours qu’1.5% du marché du livre anglais (selon une étude Nielsen). Les best-sellers du japonais Haruki Murakami, de l’italienne Elena Ferrante ou encore le norvégien Karl Ove Knausgaard sont notamment prisés outre-manche. Même situation aux Etats-Unis où 1% des romans publiés chaque année est issu d’une traduction.

On pourra s’amuser qu’il y a quelques siècles, au XVIIe et XVIIIe siècles notamment, l’Angleterre se plaignait au contraire de l’invasion et de la domination des romans précieux français et romances courtoises sur leur territoire, y compris La Nouvelle Héloïse de Rousseau qui y fit scandale à l’époque!

livres-traductionDe nos jours, la France s’affiche comme premier pays traducteur aux côtés de l’Allemagne. En 2013, le magazine Livres hebdo estimait qu’un livre sur six était issu de la traduction. La différence s’explique aisément par le fait que la littérature américaine, prépondérante dans les traductions des pays européens, n’a évidemment pas besoin de traduction en Angleterre. L’éditrice Anne-Marie Métailié, spécialiste des littératures hispaniques et lusophones, déplorait d’ailleurs «un problème de domination» du monde anglo-saxon, dans une interview au Monde en 2014 (2). Le manque de traducteurs dans les langues hors anglais expliquerait en partie ce déséquilibre, même si parfois l’anglais peut servir de lingua franca pour découvrir certains auteurs étrangers. Certaines langues souffrent aussi de préjugés culturels comme le bulgare ou le grec.

Les chiffres 2013 montrent qu’en effet, c’est la littérature de langue anglaise qui est la plus traduite, ce qui représente presque 60 % du chiffre d’affaires (manque néanmoins le ratio par pays de langue anglaise malheureusement). En seconde position vient le japonais (11,8 %), sous l’affluence des mangas, suivi par l’allemand (5,4 %), l’italien (4,5 %), l’espagnol (3,7 %) et les langues scandinaves (2,4 %). Le russe, le néerlandais, le chinois et l’arabe sont présents dans l’étude avec 1 % ou moins. A noter l’incursion du chinois et de l’arabe parmi les langues les plus représentées dans le paysage éditorial depuis 2012. A contrario, les traductions de l’allemand accusent une baisse, passant de 7,4 % en 2010 à 5,4 % courant 2014 (source: https://mondedulivre.hypotheses.org/4645 à partir d’Index Translationum).

En 2014, 17,4% des livres commercialisés en France étaient des traductions selon une étude Livres Hebdo/Electre. En tête des langues traduites vient toujours l’anglais à part relativement constante, qui représente 59,53 % des ouvrages traduits en français. Il s’agit essentiellement du roman qui pèse pour 38% du total des traductions, devant les sciences humaines et le livre jeunesse.

Langues les plus traduites en France en 2014

Langues les plus traduites en France en 2014

Il n’en reste pas moins que même en retirant la part anglo-saxonne, la France semble se montrer plus ouverte et curieuse de l’étranger.

Quant aux livres français qui s’exportent, ils comptent pour 21% des ventes de livres de 2014, selon une étude du Syndicat national de l’édition/La Centrale. Ils visent essentiellement le marché européen qui concentre 61% des acquisitions hexagonales. Paradoxalement, les pays francophones sont peu amateurs des productions françaises en particulier les pays francophones du Nord -Belgique, Canada, Luxembourg et Suisse (les pays du Sud, Afrique francophone et Maghreb, enregistrent une hausse).

Répartition des pays où s'exportent les auteurs français

Répartition des pays où s’exportent les auteurs français

Aux Etats-Unis, le français reste la langue la plus traduite, assez loin devant l’allemand et l’espagnol (et la deuxième dans le monde, après l’anglais), d’après Laurence Marie, attachée culturelle, responsable du Bureau du livre aux services culturels de l’Ambassade de France à New York et auteur d’un article « Pourquoi les livres français se vendent à l’étranger ? » datant de fin 2013 (http://frenchculture.org/books/news/why-do-french-books-sell-abroad).
Elle expliquait que les éditeurs anglophones visent plutôt la littérature française originale voire expérimentale (« literary fiction ») plutôt que la filière grand public dont ils n’ont pas besoin. Ainsi l’engouement pour les Oulipiens serait vivace outre Atlantique et profiterait aux écrivains français qui se distinguent par leurs recherches stylistiques (comme « Ma Solitude s’appelle Brando » d’Arno Bertina, « Personne » de Gwenaëlle Aubry ou « Corniche Kennedy » de Maylis de Kerangal). Elle cite encore « Suite française » d’Irène Némirovsky (écrit avant 1942 et publié en 2007 par Vintage-Knopf) vendu à 2 millions d’exemplaires et « Chaleur du sang », du même auteur, à plus de 130.000, ou encore « La Nuit » d’Elie Wiesel qui s’écoule à un demi-million d’exemplaires chaque année.
Sans oublier le populaire « L’Elégance du hérisson » de Muriel Barbery qui a dépassé les 900.000 exemplaires, tandis que Penguin a acquis «La Vérité sur l’affaire Harry Quebert» du Suisse Joël Dicker, pour 500.000 dollars à l’éditeur français Bernard de Fallois.

L'élégance du Hérisson de Muriel Barbery aura su conquérir le lectorat anglais mais Grégoire Delacourt a fait un flop...

L’élégance du Hérisson de Muriel Barbery aura su conquérir le lectorat anglais mais Grégoire Delacourt a fait un flop…

En revanche les traductions de notre récent best-seller local, Grégoire Dealcourt (« La liste de mes envies » dont 22 pays avaient acheté les droits de traduction et « La première chose qu’on regarde ») en dépit de l’emballement lors de la Foire du livre à Francfort en 2011 puis du buzz Johansonien ne semblent pas avoir séduit nos voisins, à en croire le peu d’échos ou la réaction négative du Guardian (3) sur ce dernier qui le qualifie de « petit roman à l’eau de rose » et de « réflexion prétentieuse et limitée sur la célébrité » (mais s’affiche au contraire très enthousiaste sur les pièces de Florian Zeller !).
Le Guardian avait aussi préféré Muriel Barbery (4), dans la même veine, qu’il analysait comme « profond mais accessible » tout en saluant sa dimension philosophique.

En 2016 le Book Department of the French Embassy (5) a recensé 417 ouvrages traduit en anglais et publié aux Etats-Unis dont 159 documents et essais qui connaissent une hausse significative.
Ce sont les ouvrages de philosophie qui tiennent le haut du panier signés notamment de:
Alain Badiou (six titres publiés juste pour cette année),
Michel Serres (quatre titres),
Barbara Cassin, Jacques Rancière et Jean-Luc Nancy (trois chacun)
Hélène Cixous (deux titres)

Côté romans, 89 romans contemporains parus entre 2000 et 2016 ont débarqué outre-Atlantique: Maylis de Kerangal, Véronique Bizot, Nathalie Léger, Fouad Laroui, Nelly Alard et Adrien Bosc, traduits pour la première fois aux côtés de Scholastique Mukasonga, Abdellah Taïa, Lola Lafon, Antoine Laurain, Hélène Grémillon, David Foenkinos, Sébastien Brebel et Ananda Devi. Patrick Modiano, surfant sur son Nobel, continue d’être re-publié avec pas moins de 7 livres programmés pour 2016. D’autres à l’image de Virginie Despentes, notamment plébiscitée par le New York Times pour « Bye Bye Blondie » continuent leur percée du marché US. Côté littérature francophone, Tahar Ben Jelloun par exemple bénéficie de 3 titres traduits et publiés (entre autres « Le mariage de plaisir »).

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Les romans graphiques et BD franco-belges gagnent aussi du terrain avec 65 titres dont Les Schtroumpfs toujours populaires. Sur les pas de Persépolis de Marjane Satrapi, Riad Sattouf a notamment connu un grand succès avec sa série autobiographique « L’arabe du futur » qui revient sur son enfance dans les années 80, entre la Libye, la France et la Syrie, dont le tome 3 vient de sortir en France. Vendu à 700 000 exemplaires en France, à un million à l’étranger et traduit en 17 langues (dont le finois et le coréen), il a été couronné du LA Times Book Prize in Comics/Graphic Novels.

De façon générale, les auteurs français attirent l’attention des éditeurs à l’international comme s’en félicite le Syndicat national de l’édition qui notait que les cessions de droit avaient progressé de 2,3 % en 2015 (soit 12.225 contrats dans plus de 50 langues) et une hausse de plus de 120% sur ces 10 dernières années. Pour 2015, le Syndicat indiquait que le chinois était le marché le plus important pour les cessions de droits, suivi par l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. Toutefois l’anglais ne dépasse pas 6 %, au même niveau que le polonais, ou le coréen.

Pour l’anecdote, un des livres (de fiction) les plus traduits et les plus vendus dans le monde reste « Le petit prince » d’Antoine de Saint-Exupéry qui s’est écoulé à 145 millions d’exemplaires en 70 ans et est traduit dans plus de 270 langues et dialectes y compris en latin! Pas loin derrière on trouve « 20000 lieues sous les mers » de Jules Vernes.

De nos jours l’écrivain français le plus lu dans le monde s’appelle Marc Levy, traduit en 48 langues et vendu en tout à 30 millions d’exemplaires.

——–
(1) « Ventes de livres traduits en hausse, mais la Grande Bretagne demeure coupée de la littérature étrangère » Sept. 2016: https://www.theguardian.com/books/2016/sep/30/translated-book-sales-are-up-but-britain-is-still-cut-off-from-foreign-literature
(2) « Assises du roman. Dans le miroir de la traduction » (Le Monde, 14.05.2014)
(3) « The First Thing You See de Grégoire Delacourt – le roman que Scarlett Johansson a essayé d’interdire« , Sept.15 https://www.theguardian.com/books/2015/sep/09/the-first-thing-you-see-gregoire-delacourt-scarlett-johansson
(4) « Confessions d’une concierge intelligente » Sept.2008 https://www.theguardian.com/books/2008/sep/14/fiction
(5) http://frenchculture.org/books/news/french-books-us-2016-edition

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