Le blog de Max, si « Caméra Café » était un roman…

Le « blog de Max », nom du blog et titre de son livre est le premier blook français et rien que pour cela il mérite que l’on se penche dessus, ne serait-ce que par curiosité. Tenu sur Internet par un cadre supérieur trentenaire désabusé, pendant 1 an à partir de septembre 2004, à titre de « blog de décompression à usage thérapeuthique » pour se vider l’esprit après ses journées de travail « de cinglé », il a rapidement attiré un large lectorat (30.000 visites par jour en semaine selon les chiffres du blogueur). Le buzz s’est alors emballé, transformant le mystérieux auteur en phénomène médiatique et attirant un éditeur (Robert Laffont) qui fait le pari de le publier en septembre 2005. Malgré les polémiques (doute sur sa sincérité et démarche préméditée depuis le départ, imposteur, retrait des billets de son blog initial ou encore agacement lié à son cynisme ou sa misogynie…), le roman s’est vendu à plus de 12.000 exemplaires. Il n’existe pourtant étrangement pas de version poche. L’auteur a précisé qu' »il ne s’agissait pas d’une simple compilation de feu mon journal infernal. A l’exception de quelques paragraphes d’anthologie, l’ensemble du texte est inédit ».

Qualifié de « Bret Easton Ellis des machines à café » comme l’indiquait le bandeau ornant sa couverture à la rentrée littéraire 2005, comparaison galvaudée et souvent usurpée, le style du blog de Max fait plutôt penser aux épisodes de la mini-série diffusée sur M6 « Caméra Café », et s’inscrit dans la veine des idées développées par Corinne Mayer, dans « Bonjour paresse ».

Avec un humour volontiers hâbleur (et souvent lourd allant jusqu’au « pipi-caca », ce qui n’empêche pas de sourire parfois), le personnage de Max, particulièrement fier et content de sa personne, nous fait découvrir le petit monde de son entreprise peuplé de ses collègues de travail, qu’il nous dépeint comme une bande de bras cassés. A commencer par le « Boss » et ses adjoints « Numéro 2, « Numéro 4″…, la secrétaire « le style boudin sur talons aiguilles, la physiquement incontournable Annie-les-gros-mollets », Gégé, son « pote », qui n’hésite pas à bloquer la connexion Internet de la boîte pour télécharger ses images porno (rappelant le collègue d’Octave dans « 99 francs »), « la petite Christelle », l’étudiante stagiaire qui fait fantasmer Max et qui tente de l’appâter avec un exemplaire de « Zarathoustra » dont il n’a lu que la préface…, « Solénoïde », la standardiste, « la tartine 0% de matière grise » et « Mozart », son « ramasse-poussière » sur pattes (son yorkshire), Martine sa « comptable bien-aimée » qu’il force à rembourser ses fausses notes de frais astronomiques. Et tous les autres, que Max appelle les « clones », « une meute de jeunes loups sans personnalité.

Entre caricature, cliché et humour graveleux, il met en scène les petites mesquineries de la vie de bureau : les pots du vendredi, les réunions de travail où il joue au loto avec son complice Gégé, les rapports de travail que l’on pipote au dernier moment, les crises d’open-space, les passantes que l’on mate par la fenêtre du bureau, les bourrages papier à la photocopieuse et autres conversations oiseuses… Cela fait quelque temps que Max a en effet perdu la foi dans les vertus du travail en entreprise… : « Chaque jour, je vois mes collègues s’asseoir sur les séants et polir sagement leurs existences… » Il explique même dans une démonstration en 6 étapes que cette perte de motivation est inéluctable : « La troisième étape est celle de la colère au cours de laquelle il cherche à améliorer le système sans comprendre que le travail en équipe est l’addition forcément imparfaite des personnalités de chacun. Ses suggestions n’arrangent personne, il se heurte à un mur. C’est la 4e étape : le découragement. Le sujet décide d’en faire le moins possible. De ne plus s’investir au delà de ce qu’on lui demande. Heureuse coïncidence : c’est précisément ce qu’on lui demande. » C’est ce qu’il nomme plus précisément sa « démission mentale » : être là sans l’être vraiment et mettre tout en oeuvre pour en faire le moins possible ! Problème : dans le cadre d’un futur rachat, son patron recrute « Méga-Man », un auditeur comparé à un « spectre », « un killer de la charte qualité » bien décidé à « rouleau-compresser » les rebelles avant de faire planer la menace d’un plan social… L’auteur installe donc cette intrigue supplémentaire qui n’existait pas dans le blog et imagine alors tous les sabotages, détournements et autres parades (zizanie numérique à coup de virus, endormissement des masses laborieuses, kidnapping…) de Max pour faire échouer de l’intérieur les plans de son ennemi : « Vilain Méga-Man tu t’es mis en tête de me désintégrer mes après-midi dilettantes, mes lectures alexandrines, mes stagiaires lascives ? »

Reprenant le principe narratif du blog, il a choisi une forme de « journal » chronologique organisée en 15 semaines. Au fil des journées en forme de billets courts tous titrés (« la solitude des grands chefs, « Le CV basket » ou encore « Strip-tease mental »…), l’internaute découvre peu à peu le monde de Max et sa personnalité aussi cynique que misogyne.
Malgré les rebondissements qui ne manquent pas, on peut regretter toutefois qu’une certaine monotonie s’installe.
On retient néanmoins quelques bons passages comme la séance de recrutement et l’analyse des CV : « Les visages défilent dans une version cadre sup’ des Temps modernes où j’incarne une clef à molette géante vissant et dévissant les têtes à toute allure. Jusqu’au sympathique Robert Houdin. Comme hobby, il prétend faire de la magie. Je lui demande une démonstration. Pas de problème, il avale un stylo sur le champ. Diantre ! Peu importe ce qu’il vaut côté boulot. Même s’il risque de nous coûter cher en papeterie, avec lui, on va bien se marrer. Je lui demande où le stylo est passé. Il ne craque pas. Voilà quelqu’un de méritant. » ou encore celui de la jeune stagiaire « Christelle » : « La nouvelle stagiaire arrive dans une heure. Cela me laisse juste le temps de relire son CV. Les grands espaces sur la page rappellent le caractère premier de la jeunesse : son vide. Dans le cas présent, on évite au moins la multiplicité des polices, le gras en veux-tu en voilà, l’italique et autre soulignage intempestif. Cette sobriété est la bienvenue. La demoiselle échappe à la tare la plus rédhibitoire d’entre toutes : le mauvais goût. Bien.
Lycée privé, école de commerce, stage à l’autre bout du monde, papa doit avoir le porte-monnaie solide. Très bien. La dernière ligne est de loin la plus intéressante : « loisirs : équitation ». Nous voilà plus proches de la noblesse que de la bourgeoisie. Cela sent bon le parquet qui grince, la grande bibliothèque, les histoires de familles, les fantasmes refoulés. Excellent.
 »

Max ridiculise ses collègues, « fait des blagues », des contrepèteries (arroser un flic de yaourt à l’aide d’une seringue…) qui vous amuseront ou vous feront bailler. Selon votre sens de l’humour personnel… Il use et abuse des jeux de mot, des vannes au vitriol ou d’images cocasses tel que « Mais entre les courbatures, les ganglions et maintenant la fièvre, il faut se rendre à l’évidence : me voilà transformé en croisière 5 étoiles pour virus de la grippe. » ou encore « D’entrée Géraldine me fait le gros yeux. Vu la taille de ses yeux ce sont des boules de pétanque. »
Mais le pire c’est peut-être quand Max donne des leçons sur la vie (pourtant pleines de bonne volonté…) et dénonce, avec des trémolos dans la voix, l’immobilisme (« Vivre, c’est se cogner au présent. L’affronter sans s’appuyer à la balustrade. ») sur un air de « Moi, on ne m’achète pas« …

Bref, un roman qui s’inscrit dans la droite lignée des romans de bureau. Sa forme originale (journal) et ficelée efficacement lui permet de compenser les poncifs qui le parsèment sur le thème vu et revu de « Entreprise je te hais » et sa fin bâclée en forme de « happy end ». Tout au long de la lecture, un certain agacement persiste envers ce narrateur pétri de mépris qui oublie d’être attachant (ou alors cela verse dans la mièvrerie) comme réussissent malgré tout à l’être d’autres personnages tout aussi détestables dans d’autres romans du même genre. Il est juste irritant même si certaines de ses joutes peuvent faire (sou)rire. Pour certains critiques, son style est tout de même « jubilatoire, hilarant, méchamment bien écrit » ou encore « un bijou d’humour noir »…

Paroles de son éditrice Sylvie Delassus chez Robert Laffont :
A propos de la publication d’un blog en livre : « Il est évident que c’est beaucoup plus facile pour moi de décider mon PDG à publier « Le journal de Max » quand je lui dis que 30 000 personnes ont déjà spontanément aimé le texte, précise Sylvie Delassus, l’éditrice qui l’a repéré. En plus, comme le blog donne la possibilité aux internautes d’ajouter leurs commentaires en marge du texte, j’ai déjà une foule de rapports de lecture. Plus l’article du Times qui me permet de susciter un intérêt à l’international ! » (source : Le Point)

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