Sweet home d’Arnaud Cathrine (sortie poche) : Entre cicatrices d’enfance et désespoir élégant… (2)

Sweet home est le cinquième roman du prolifique Arnaud Cathrine qui vient de sortir en poche et publié initialement aux éditions Verticales lors de la rentrée littéraire de septembre 2005. Son éditeur le décrit comme « une saga intimiste, un tombeau lumineux pour une mère défunte, un exercice de deuil et d’émancipation. » Et pour une fois on peut faire confiance à la 4e de couv », fidèle à l’oeuvre. Dans ce sweet-home, plus bitter-sweet (doux-amer) que réellement sweet comme on peut s’y attendre, l’auteur nous entraîne au coeur d’une famille en voie de décomposition, minée par ses incompréhensions mutuelles et surtout les non-dits, les mensonges, les secrets de famille (en l’occurence ici le doute sur la paternité), thèmes chers à Arnaud Cathrine, autour du personnage évanescent d’une mère désaxée…


« Comme une falaise qui s’effondre lentement mais sûrement. C’est un sorte d’argile grise et meuble. De grosses pierres ont été disposées sur son flanc pour retarder les assauts inéluctables de la marée. On dit que les maisons comme la nôtre sont condamnées. » Ainsi débute le roman. Un incipit en forme de parabole, annonciateur du destin de Lily, Vincent et Martin, les trois enfants de cette famille chaotique où le père est un quasi-étranger autoritaire, abîmé par plusieurs années de désamour et la mère, prisonnière d’un destin qu’elle n’a pas choisie, finira par mettre fin à ses jours. « Maman se réfugie dans l’oubli fugitif que le vin ou le bruit de la mer lui procurent. L’effroi étrangement calme que lui inspire son existence est exempt de toute émotion, de tout débordement possible. Elle a ce regard fixe que je connais bien – celui d’une femme qui a définitivement disparu de sa vie. »

Personnage central et paradoxalement absent, cette mère évanescente et lunatique rappelle un peu celle du film Respiro, même si l’histoire et le contexte sont bien différents (photo ci-dessous à droite).
C’est aussi près de la mer que se déroule la majeure partie de l’intrigue. Dans une villa de vacances à Bénerville, au bord de la Manche : dîners de famille, bains de soleil, pêche et soirées d’été, on écoute les variations Goldbeg avec un ami de ma famille Nathan et l’oncle Rémo. Un décor assez bourgeois entre Sautet et Chabrol. Mais derrière chaque micro-évènement qui mènera au drame, « le chagrin revient à intervalles réguliers« .

Arnaud Cathrine a choisi une forme originale en trois actes pour raconter cette histoire sur trois étés, à une dizaine d’années d’intervalle, chaque fois interprété par l’un des enfants qui tente de percer les non-dits et les mensonges dont ils ont hérité.
Ce chant mélancolique à trois voix a des accents faulknériens (Le bruit et la fureur). Comparaison sur laquelle Arnaud Cathrin disait d’ailleurs « C’est précisément en lisant ce livre à l’âge de 16 ans que j’ai compris en quoi consiste une première personne de narration : comment inscrire un regard dans la langue. »

Les années passent : « La fratrie grelottante, petite tribu en quête de lois qui régissent leur trajectoire et ratages supposés« , tente de grandir, de se construire. Vincent (personnage que l’on verrait bien dans un film avec Mathieu Amalric) devient écrivain et livre à ce sujet quelques réflexion intéressantes :

« Je crois que je me suis mis à écrire parce que je savais que j’allais rater tout le reste » ou encore « Pour écrire, il faut deux secrets. Dont un que l’on ne connaît pas. »
C’est aussi la crainte de blesser un proche à travers un livre qui taraude le personnage ou son frère, même s’il n’est pas dupe : « Personne dans la famille n’a trouvé réellement à se plaindre des livres de mon frère. De ce qu’on m’en a dit Lily et Ana, il n’y est nullement question de nous. Apparemment, s’entend. Car combien en filigrane ? Je ne lis pas les livres de Vincent et sans doute en est-il blessé. C’est que je n’aimerais pas voir se profiler derrière les fables savamment transposées (…) les vrais visages, les vraies blessures, les vraies accusations. »

Contrairement à de nombreux auteurs, Arnaud Cathrine a souvent répété limiter son écriture à ce que « la pudeur et le respect de son entourage lui interdisait de porter en place publique« .

C’est enfin un regard sur sa génération que porte en filigrane l’écrivain : « Une drôle de génération. On vous a donné toute liberté et vous voilà tous égarés, à ne pas savoir qu’en faire, sinon tout et n’importe quoi… », soupire ainsi comme une sorte de conclusion la mère de l’un des personnages. Un roman qui laisse songeur et qui vous enveloppe d’une douceur mélancolique comme à la contemplation d’un tableau contrasté et énigmatique.
Pour commander « Sweet Home« 

Actualités récentes d’Arnaud Cathrine :
– Son nouveau roman : « La disparition de Richard Taylor » est paru en janvier 2007 (« dix femmes évoquent la disparition d’un homme… Ce livre est supposé être drôle », indique t’il.).
– Co-scénariste du premier film de Julie Gavras qui sortira en septembre 2006.
– Co-scénariste du film d’un jeune réalisateur Christophe Chiesa (pas de date de sortie connue à ce jour).

Arnaud Cathrine lecteur :
Quelques uns des auteurs fétiche qui l’ont nourri : Carson McCullers, Edgar Allan Poe, Annie Saumont, Milan Kundera, Virginia Woolf… Mais aussi les « Fragments d’un discours amoureux » de Barthes qu’il qualifie de « précis de médecine » !, ou encore tout Sarah Kane.

A LIRE AUSSI :
Révélé par son premier roman « Les Yeux secs », en 1998, où il mettait en scène – et en voix – deux adolescents pris dans les rets tragiques d’une guerre civile, on note plus particulièrement dans la bibliographie de l’auteir, « Les vies de Luka » (2002) et « L’invention du père » (2001) : A Liverpool, Luka et son frère Darl doivent faire face à la mort du père et à la maladie de leur mère. Luka choisit de travailler à la morgue de l’hôpital où elle nettoie la salle où l’on prépare les cadavres après l’autopsie. Pour s’en sortir, elle vit dans ses fantasmes. « Une autre vie rêvée. À Londres. Quand elle sera devenue elle-même. Une grande pianiste. Comme Martha Argerich. Quand elle sera enfin partie. Puisque rester, c’est comme mourir chaque jour un peu plus. » (voir la chronique complète de « Les vies de Luka« ) A son sujet un critique de L’Alsace commentait : « Par petites touches, comme un blues désenchanté, Arnaud Cathrine rend subtilement la musique de l’adolescence. Ses rêves, ses ambiguïtés, l’envie de tout envoyer promener… Il dépeint l’ennui, la haine ordinaire, les démissions familiales, l’inceste, la violence. Prenez garde, répète-t-il de livre en livre, à la douceur des choses. »

Comme dans l’invention du père où un orphelin recourt au mensonge de la fiction pour pallier le manque, l’absence du père, Luka conjure le gouffre de sa vie par l’imaginaire où réalité et rêve se confondent. Dans ce précédent roman, un jeune homme, en mal d’identité, part dans un village perdu à la frontière franco-espagnole pour enterrer un père qu’il n’a pas connu. Dans ce hameau déserté qui lui est hostile, il inventera des dialogues pour donner vie à la figure tutélaire de Goyo Lasagual, « ce sale étranger ».

Pour commander Les vies de Luka et L’invention du père

Et aussi…
La route de Midland, roman récemment adapté au cinéma sous le titre de « Le passager » Et le premier roman d’Arnaud Cathrine « Les yeux secs »

Lire l’interview d’Arnaud Cathrine

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