« Ferdinand et les Iconoclastes » de Valérie Tong Cuong, Un business-novel en forme d’utopie qui ne tient pas ses promesses…

On entend beaucoup parler de Valérie Tong Cuong ces derniers temps pour son dernier opus « Providence » (paru en avril 2008), un roman choral souvent comparé par la critique au film « Magnolia » (d’Anderson) et qui est d’ailleurs en cours d’adaptation ciné. L’occasion de revenir sur l’un de ses précédents succès publiés en 2003, « Ferdinand et les Iconoclastes » (disponible en poche Nouvelle génération, J’ai lu). Quatrième roman de l’auteur qui aime à cultiver les histoires plutôt noires voire désespérées où le mal-être, l’inadéquation à soi et la non intégration aux autres prédominent (notamment «Big», «Gabriel» et «Où je suis»)… Cette mère et « femme de » (elle est l’épouse d’Eric Tong Cuong, golden boy de la pub reconverti dans l’industrie musicale), ex professionnelle de la « communication », passée aussi par la case journalistique avant de s’adonner à l’écriture et à la musique (chanteuse sous le pseudo de « Qvoice » au sein du groupe electro trip-hop « Quark »), a fait grand bruit à l’époque de la sortie de ce roman, récoltant des critiques enthousiastes.

Elle s’essaie ici au « business novel » mâtiné d’anticipation en imaginant la trajectoire d’un génie des affaires et du marketing déchiré entre ses aspirations profondes et ses « pulsions » de réussite professionnelle. Elle poursuit son exploration de la solitude moderne et de la difficulté d’être confronté à soi. Et tente à travers cette fable socio-professionnelle, de livrer une satire du monde de l’entreprise et une réflexion sur l’aliénation du travail et notre conditionnement social. Un roman qui se laisse lire mais qui ne tient malgré tout pas ses promesses…

Le jeune Ferdinand Bataille, bardé de diplômes, postule chez un géant des cosmétiques (HBMB). L’histoire s’ouvre sur son entretien de recrutement, la suite raconte son ascension fulgurante jusqu’à la tête du groupe aux Etats-Unis. Le jeune « poulain » s’avère une véritable prodige du marketing et cumule les succès (dans des domaines aussi passionnants que l’invention d’un nouveau chewing-gum ou déodorant…), tout en attisant la convoitise des femmes incapables de lui résister. Bref tout semble lui réussir. Mais bien sûr, ce n’est pas exactement le cas car le garçon cache derrière son éclatante réussite, une vie intérieure tourmentée. Et son travail acharné de winner n’est que le symptôme d’un malaise plus profond doublé d’une incapacité affective (il se retrouvera d’ailleurs presque marié et père de famille malgré lui). « Il voudrait penser à autre qu’à HBMB, Joséphine ou sa mère. Il aimerait oublier que sa vie entière s’est construite sur la peur et la raison. Qu’il a grandi sans enfance, s’est marié sans amour et survit sans plaisir. Alors; Ferdinand vole.« 
Alors qu’il se passionne pour l’aviation et les réalités virtuelles lors de son rare temps libre, ce grand utopiste au grand coeur finira par mettre au point avec un ami ingénieur un grand projet visant à « libérer l’Homme de l’aliénation du travail » (oui rien que ça !). Mais le crash guette…

« Il aimerait se mettre au travail et savoir quel type d’ordinateur on lui a attribué. Il aimerait que cette journée passe vite ainsi que les suivantes et toutes les autres jusqu’au jour de sa retraite. Il aimerait être déjà mort.« 

On le voit, le roman de Valérie Tong Cuong reprend les codes classiques du genre du « business novel » (« roman de bureau » en français). Elle dénonce les rouages de la vie corporate au sein d’une grande multinationale : la bureaucratie qui guette, les réseaux d’influence, le diktat du fric, l’arrivisme et les tire-au-flanc qui peuplent ses couloirs, les petites mesquineries, rivalités de la vie de bureau. Mais aussi et surtout le caractère obsessionnel et étouffant de l’univers de l’entreprise qui empêche tout réel épanouissement.
Sa peinture satirique n’apporte donc rien de réellement nouveau et frôle même assez souvent la caricature. Quelques bonnes trouvailles sont tout de même à saluer, tel que les personnages qui s’appellent tous par leurs initiales, manie ridicule du monde professionnel qui déteint ici même dans le privé dans le couple que formera Ferdinand avec sa collègue manipulatrice JJ donc (pour Joséphine).

« Les gens préfèrent croire que tout est simple, que tout ira bien. Ils créent eux-mêmes les conditions de leur aveuglement. »« 

Toutefois cela se laisse lire et l’on progresse dans l’histoire assez facilement. L’auteur parvient à maintenir un certain rythme en dépit de son style plutôt plat et presque clinique. Le grand problème du roman, dont le thème est plutôt alléchant (définir les critères d’une « vie réussie », les questions de déshumanisation, instrumentalisation ou encore de la dépossession de soi…), est surtout son manque de crédibilité. Son ambition (ouvrir des « pistes audacieuses » sur une autre réalité sociale et professionnelle avec de grandes idées humanistes) paraît en effet démesurée par rapport aux idées qu’elle développe in fine.
Le virage anticipation et politique aux accents pseudo-marxistes, qui constitue le dénouement avec le rapport hommes/ »robots » n’est vraiment pas des plus subtils et, plus ennuyeux, ne tient pas debout. Sans parler de son approche ultra-simpliste des questions de l’intelligence artificielle ou encore de sa vision du progrès et du management.
A partir de là, on finit d’ailleurs par décrocher. De même on pourra regretter que le personnage de Ferdinand, censé être complexe, tiraillé entre ces deux personnalités (d’un côté le killer du marketing et de l’autre l’adulescent attardé qui vit dans ses rêves de justice sociale symbolisés bien maladroitement par sa passion pour les avions), reste bien pauvre (pour montrer qu’il est « atyique », il porte un « vieil imper élimé », détail bien mince et caricatural encore une fois).

« Il n’aime pas dépenser l’argent dans le superflu. ce qu’il croit dur comme fer, c’est qu’on devrait être déjà bien content d’avoir à manger tous les jours. ce qu’il pense, c’est que la plupart des gens sont des inconscients qui marchent au bord du gouffre avec des talons hauts. »« 

A cette intrigue économique, elle mêle une double histoire d’amour contrariée et campe deux personnages féminins antagonistes rivales : la douce et timide Mélissa folle amoureuse de Ferdinand en secret et la conquérante et calculatrice « J.J » qui le mettra très vite dans son lit en jouant de ses charmes. « JJ aimait les promesses de réussite sociale et de confort pratique que semblait garantir Ferdinand. Elle aimait qu’il soit beau, que les autres l’envient, qu’on chuchote sur son passage. C’était sa conception de l’amour.« 
Même si là encore on est dans les grosses ficelles, le duel de ces deux femmes, à l’opposé l’une de l’autre, fonctionne assez bien à la façon d’un conte moderne qui se joue de la morale.

« Allons Ferdinand, ne réfléchis pas et avance. N’oublie pas, ce qui compte, c’est de ne jamais s’arrêter. (…) Que tu le veuilles ou non, c’est ainsi : avance et gagne ou bien arrête et meurs. »« 

Si le roman bénéficie d’une construction correcte et d’ambitions louables, il pêche cependant par son manque de profondeur et aborde trop superficiellement les thèmes qu’il entend démontrer et dénoncer. Privé d’émotion ou de réelle cohérence, on ne s’attache pas aux personnages pas plus que l’on ne croit malheureusement à leur aventure où tout sonne plus ou moins faux qu’il s’agisse de l’ambiance parisienne ou new-yorkaise (où le roman se déroule pour partie). En voulant explorer la marginalité pour interroger les impasses de notre époque, Valérie Tong Cuong nous entraîne malheureusement dans une impasse narrative…

Paroles de Valérie Tong-Cuong à propos de son roman « Ferdinand et les iconoclastes » :
« Ce livre a une vraie valeur pédagogique. Si Jeremy Rifkin a réfléchi aux mutations possibles du capitalisme et Maurice Dantec, aux robots intelligents, pourquoi pas une fiction qui vulgariserait leurs travaux ? C’est la question qui s’est posée chez Grasset en découvrant le projet.« 
« Tout le monde sent, ou pressent qu’on va dans le mur. La question que je me pose, moi, c’est : et après ? Des bulles pourries éclatent partout, j’espère maintenant que les ronds concentriques vont atteindre de plus en plus de gens. » (source : Technikart).

Voir le site de Valérie Tong-Cuong sur « Ferdinand et les iconoclastes » : http://www.lesiconoclastes.com
et son nouveau blog pour « Providence » : http://providence-valerietongcuong.blogspot.com/

1 Commentaire

    • Gwenaël sur 18 juillet 2008 à 14 h 56 min
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    j’avais été un peu déçu, mais l’aspect SF et robotique (blablabla) si l’on veut avec le simulacre de sa personne m’avait laissé à la fois perplexe et remis en selle. Reste que le thème et le propos sont tellement et sans cesse d’actualité que l’histoire en perd de son charme. Se méfier des livres à jugements moraux sur la société ; le ressenti peut être juste, mais on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. A ce propos, j’ai commencé MONSTRES INVISIBLES de Palahniuk, et je ne sais pas si j’irai vraiment au bout ; ok, il écrit bien, c’est pas mal fichu, mais bon taper sur la superficialité, etc, c’est tellement cliché que ça me lasse et me tombe des mains… Et ça dure. On a compris. Et après…. Autant en rire vraiment, comme dans les livres de F.B, où l’ironie et l’humour sauve du ridicule ou du sérieux……

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