L’art, la violence et la morale : d’Oscar Wilde à Orelsan en passant par Bret Easton Ellis…

Suite à une émission de LCI regardée hier midi (« On en parle », animée par Valérie Expert), j’ai envie de réagir à la polémique suscitée par les paroles de la chanson « Sale pute » du rappeur Orelsan. Certes il ne s’agit pas d’un sujet strictement littéraire (et passible de hors sujet sur un blog littéraire !), mais ce qui m’intéresse ici c’est le débat, une fois de plus soulevé, sur l’art et la morale.

Tout d’abord j’ai été assez interloquée par les termes employés dans cette émission pour résumer la problématique : « Peut-on insulter les femmes ? » Hum… Le ton est donné. Comment peut-on sérieusement envisager un débat intelligent avec ce type de raccourci… ? Passons. Rapidement les invitées (dont Sihem Habchi, la présidente de « Ni putes Ni soumises » ou encore une journaliste de Marie-Claire venant de sortir un bouquin « Ados : la fin de l’innocence ») ont joyeusement recouru à tous les amalgames et clichés féministes.
C’est plus particulièrement la phrase de Sihem Habchi qui m’a frappée : en résumé elle affirmait qu’il ne fallait pas confondre l’art d’une part et la violence d’autre part.
Aie… Il va donc falloir censurer 90% des oeuvres… Comment peut-on sérieusement penser à éradiquer la violence de l’Art ou réclamer que seules les « énergies positives » alimentent l’inspiration des auteurs ? Franchement, non mais franchement… C’est tellement énorme qu’on a du mal à croire que de tels propos puissent encore être formulés, sans ciller, en 2009.

Revenons au cas Orelsan, je ne connaissais pas. J’ai donc regardé rapidement sur Internet les paroles de la chanson incriminée. Effectivement c’est choquant. Et dans le contexte sensible actuel, les craintes sont légitimes. Mais, mais… cela reste une chanson, une fiction et en tant que telle on doit normalement la prendre avec le recul nécessaire et y comprendre la dénonciation ou le second degré que l’auteur a voulu y faire passer. Certes sans beaucoup de subtilité ni même de talent (tout du moins je n’y ai pas été sensible) mais on ne peut pas condamner quelqu’un parce qu’il écrit ou chante mal… Un certain Manu Chao chantait bien (avec talent lui il est vrai) il y a presque 20 ans plus tôt :
« Comme envie de sang sur les murs,
Comme envie d’accident d’voiture.
Comme envie d’expliquer comme ça
ton indifférence elle ne me touche pas
« 

Bref, une oeuvre d’imagination m’apparaît au contraire comme une soupape à la violence réelle. Dans tous les cas, la censure n’est jamais une solution (hormis celle de la facilité) même si le chanteur s’est apparemment censuré de lui-même afin d’éviter tout risque.
Ce ne sont pas sur les artistes, auteurs que les actions doivent porter, ce n’est pas l’art qu’il faut éduquer mais l’audience, le public qui les reçoit. Tout à chacun devrait être capable de faire la différence entre fiction et réalité, d’avoir la distance suffisante pour pouvoir entendre, lire des textes ou des idées sans les prendre au pied de la lettre et aller égorger sa petite amie à la première anicroche… Cela paraît élémentaire, quitte à entourer la diffusion de certaines oeuvres d’avertissements préalables, de précautions ou autres « signaux de sécurité ».
Expliquer plutôt que censurer ou interdire.

Coïncidence, je relis actuellement un de mes romans favoris « Le portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde, aucun rapport me direz-vous. Et pourtant, ce dandy de l’Angleterre victorienne qui affirmait qu’il n’y avait pas d’art moral ou immoral, a lui aussi connu les foudres de la censure et même l’incarcération (il est bien sûr loin d’être le seul hélas). Se demanderait-on aujourd’hui si Oscar Wilde « insulte les femmes » ? Certes, il a l’excuse de la virtuosité littéraire, mais sur le fond les idées ne sont pas plus flatteuses pour ces dernières. « Je crois bien que les femmes apprécient la cruauté, la cruauté pure et simple, plus que toute autre chose. Elles ont des instincts merveilleusement primitifs. Nous les avons émancipées mais elles restent tout de même des esclaves cherchant des maîtres. » réconforte ainsi Lord Henry, Dorian, alors que celui-ci vient de se rendre coupable du suicide de sa jeune promise, la jeune et vulnérable Sibyl Vane… Plus près de nous, on pense aussi au sanglant American psycho de Bret Easton Ellis qui s’est lui-aussi attiré les foudres des féministes et des banderoles d’incitation à la haine ou à la violence…
« Aucune fille n’est humainement valable, faisons-nous d’une même voix, et nous éclatons de rire, échangeant de grandes claques. – Une fille humainement, commence Reeves, c’est une fille qui a un beau petit corps et qui fait tout ce qu’on lui demande au lit sans être trop salope pour autant, et qui, avant tout, sait fermer sa putain de gueule. » [Alexandra pour Café livres/Lexpress.fr]

Illustration : couverture du magazine « Vox pop » qui consacre ce mois-ci un dossier aux rapports entre littérature et musique avec notamment deux portraits et une interview d’Orelsan et d’Eminem (comparé notamment à Selby). Le courant du « white trash » est ainsi évoqué.

1 Commentaire

    • Joest sur 2 avril 2009 à 13 h 13 min

    Mouais, je ne suis pas un fan de rap. A mon avis, Orlesan était surtout à la recherche d’un coup médiatique. De même que les invités de cette émission (NPNS étant en pleine déconfiture depuis que le PS lui a coupé les vivres.)
    Après, des chansons qui disent du mal des femmes, il y en a treize à la douzaine!

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