« Piège nuptial » (Cul de sac) de Douglas Kennedy: « Non, le destin n’est pas cruel. Il est bête à pleurer. »

« Piège nuptial » (Cul de sac) de Douglas Kennedy, est un best-seller idéals pour la plage. Ce premier roman de l’auteur de l’homme qui voulait vivre sa vie (après 3 récits de voyage) est aussi l’un de ses livres culte. Mais qu’on se le dise, dans les romans de Douglas Kennedy quand il fait chaud, c’est une « chaleur de four » et quand un type est maigre c’est « comme un clou ». Bref ce n’est pas pour son style riche et original qu’on trouvera de l’intérêt à « Piège nuptial » et sa nouvelle traduction (fin 2008, après une première publication en 1997, sous le titre de « Cul de sac », « The dead heart » en VO) n’y change pas grand-chose… Néanmoins, on n’enlèvera pas à ce faux polar (l’auteur précise que ce n’en est pas un) en forme de cauchemar déjanté, son rythme alerte et vivant.

« Pour finir, je me suis contenté de secouer la tête en silence, sidéré par l’immense absurdité de toute cette histoire. On s’arrête à une pompe alors que l’on a même pas besoin d’essence, on rencontre quelqu’un et la vie déraille. Non, le destin n’est pas cruel. Il est bête à pleurer. »

Et en particulier ses dialogues hauts en couleur entre le héros, Nick journaliste américain un peu paumé venu chercher l’aventure en Australie et accessoirement un nouveau sens à sa vie, et la faune locale composée de ploucs et de poivrots en tout genre.
Le portrait que nous dresse Kennedy de la terre des kangourous est loin de ressembler à la carte postale idyllique des guides touristiques. Non, il nous plonge au cœur de l’outback, sauvage et aride où dominent la crasse, l’angoisse du vide et la violence aussi bien physique que verbale de ses habitants quasi primitifs. Les scènes de douche sont d’ailleurs des instants quasi mystiques dans ce roman qui empeste le vomi, la sueur et la biture. On y suit les pérégrinations de ce « yankee », cet « amerloque » comme le surnomme les autochtones, sa découverte du pays de motel miteux en camping en passant par les bars à strip-tease où il tente de noyer son mal de vivre, les routes qu’il sillonnent… Jusqu’à sa rencontre avec une jeune et robuste australienne… Une aventure d’un soir qui se transformera en kidnapping nuptial au fin fond du bush australien… « Morale de l’histoire : on peut foutre sa vie en l’air rien qu’en tombant amoureux d’une carte » résume-t-il.

Avec cette histoire de choc, rondement menée, Douglas Kennedy brode déjà sur les obsessions qui constitueront son œuvre future : à commencer par l’ennui de vivre, la quête d’un ailleurs susceptible de redonner un nouvel élan, de nouvelles envies mais qui s’avèrent des fuites en avant : des culs-de-sac. Alors qu’il s’emploie à réparer consciencieusement son van, son héros confie ainsi : « J’étais passionné par ce que je faisais, oui. Parce que cela occupait mes journées, me donnait une raison de me lever le matin, me changeait les idées. Nous passons notre vie à prétendre que nos petites occupations poursuivent une plus grande ambition que la nécessité d’avoir un toit sur notre tête, de quoi nous vêtir, nous sustenter, mais au final nous nous échinons pour remplir le vide des heures et éviter de considérer ce que notre passage sur terre a d’éphémère, de dérisoire. S’affairer, se stresser, permet d’oublier la futilité lamentable de nos existences, ou le cul-de-sac dans lequel nous nous débattons. Un cul-de-sac que nous nous sommes invariablement choisi. »

Oscillant entre roman noir et intimiste, Kennedy dessine le portrait d’un homme qui s’improvise baroudeur un peu dur à cuir, un homme désabusé, sans attaches ni responsabilités, qui n’a plus rien à perdre et venu se perdre justement pour mieux se retrouver, sortir des sentiers battus. C’est une sorte de crise de la quarantaine qui nous est racontée à travers cet homme à la croisée des chemins… mais qui fera fausse route.

Il nous plonge littéralement dans son aventure et ne lésine pas sur les détails roots voire crades (« salve de vomi », « ma bouche avait le goût eu la puanteur d’un seau de purin »…) tout en distillant des petites réflexions pseudo-existentialistes un peu faciles mais qui font toujours leur petit effet comme : « Cigarette au bec, j’ai ouvert mon zippo d’un coup sec et pris une grande bouffée. Bingo ! Extase immédiate. A quoi ça sert de s’exténuer à la poursuite du bonheur quand les seules satisfactions que ce monde vous apporte sont aussi intenses que temporaires, aussi gratifiantes que modestes : une douche froide après avoir cuit dans son jus toute la journée, une cigarette qui vous fait tellement de bien que vous avez l’impression, en tout cas l’espace de quelques instants, d’être parvenu à la sérénité… »
ou encore, « Durant ma vie aux Etats-Unis, j’avais gaspillé ma vie en connaissance de cause, ruiné près de 20 années pour des boulots merdiques qui m’avaient conduit dans des endroits impossibles. J’avais prétendu ignorer que le temps passait toujours plus vite, gâchant au contraire le mien avec une obstination qui me permettait d’échapper aux obsessions, qui gouvernent habituellement les vies humaines : l’ambition, le sens de la famille, la pulsion de vouloir à tout prix « construire un couple », « se faire une existence ». Contrairement à tant de mes contemporains, je n’avais rien voulu bâtir, j’avais gardé profil bas. J’avais bu mes bières, sauté les rares filles qui avaient bien voulu de moi, laisser le temps filer.»

ATTENTION SPOILER :
En imaginant ce mariage forcé, pieds et poing liés et même drogué à mort (!), Kennedy livre une métaphore extrême (et sa vision personnelle ?) du mariage. Le mariage vu comme une prison au sens littéral du terme. Même si l’image manque un peu de finesse, elle n’en reste pas moins efficace. Il y développe le thème de l’ennui, « cette maladie chronique de la vie », en général et dans le couple en particulier (thème cher à l’auteur), porté ici à son paroxysme puisque Wodannup, le bled où il atterrit, est privé de tous loisirs et encore moins de culture. Le seul passe-temps est la biture, les « biérettes » comme disent ses habitants.
Sa description des conditions de vie hardcore dans ce lieu maudit est assez savoureuse et fait ressentir âprement au lecteur l’enfer que vit son personnage. Elle lui donne tout aussi envie que lui de parvenir à s’échapper de ce guet-apens !
Dans cette farce tragique façon « Liaison fatale », on rit presqu’autant que l’on « tremble » en lisant les coups bas que lui infligent les dingues qui peuplent Wollanup, en particulier son terrible beau-père bien décidé à lui en faire baver, ou encore les scènes, entre sexe débridé et uppercuts, avec sa femme aussi élégante et raffinée qu’un camionneur, qui passe ses journées à dépiotter du kagourou pour en faire des steaks…
Dans une interview, Kennedy expliquait à ce sujet vouloir « faire de la ville un paysage à part entière », comme il l’a fait ensuite avec Paris dans « La femme du Ve ». La ville de ce « piège nuptial » n’est pas seulement un trou perdu. C’est pire : c’est une ville qui n’existe plus officiellement puisqu’elle a été rayée des cartes et s’est reconstituée clandestinement. Il analyse ainsi cette société qui vit en autarcie (et qui rappelle un peu celle des Amish qu’il étudiera dans son livre « les fous de dieu » bien qu’ici cette communauté soit totalement athée). Ses codes et sa « loi » essentiellement du plus fort. Un système qui par son collectivisme rappelle l’idéal communiste : « Bâtir une société à part, coupée du reste du pays, basé sur un collectivisme authentique capable de la préserver de la cupidité et de l’égoïsme qui, selon eu avaient détruit l’Australie contemporaine. »

Un roman parfaitement calibré qui orchestre savamment son intrigue et fait monter progressivement la tension. Sans pécher par l’excès de rebondissements, il sait rester cohérent et crédible jusqu’au bout malgré les personnages de Wollanup parfois outranciers (et assez caustiques dans leur genre). Sans pouvoir être qualifié de thriller, ce roman distille néanmoins un certain suspense et s’offre même une mini cavale tout à fait honorable en fin de roman avec un ultime dénouement qui créée sa petite surprise. Du bon travail de storyteller avec en toile de fond une petite réflexion sur l’absurdité de la vie qui, sans aller chercher bien loin, n’est pas exempte d’intérêt.

A lire aussi :la chronique de L’homme qui voulait vivre sa vie » (adaptée au cinéma avec Romain Duris)

Bande-annonce de l’adaptation ciné (axée sur le registre burlesque), non sortie en France, « Welcome to woop woop » par Stephan Elliott (le réalisateur de Priscilla folle du désert) :

Paroles de Douglas Kennedy au sujet de « Piège nuptial » :
Ce premier roman a été « le plus court et le plus difficile à écrire » car il n’avait alors aucune idée de la méthode pour écrire un roman. Son écriture a ainsi constitué une vraie « école » pour l’apprenti-écrivain qu’il était alors.
Il reconnaît qu’il s’agit là « d’un roman à clés » où l’on peut deviner entre les lignes « l’histoire de la première femme qui a blessé son cœur, sa famille bordélique »… Il s’est inspiré de son voyage en Australie en 1991, à Darwin, même si ce n’est pas autobiographique. « J’ai disparu. J’ai été choqué par le paysage australien complètement vide : on quitte un petit village et la route est totalement déserte, c’est l’isolement total avant d’atteindre une nouvelle ville. Sans compter les kangouroux qui peuvent surgir à tout instant comme des yeux au milieu de la route qui viennent s’écraser contre votre voiture, c’est assez effrayant. Au milieux de l’outback, on a l’impression d’être au début ou à la fin du monde: le néant entretient une certaine peur. Certains lecteurs l’ont comparé à la banlieue. »
J’avais envie de décrire l’Australie loin de la vision « carte postale ». Il faut savoir que 200 personnes disparaissent chaque année là-bas, sans laisser de trace…. »
« Piège nuptial est un roman qui peut se lire au cours d’une nuit blanche, c’est son rythme romanesque. »

La nouvelle traduction du roman correspond à son envie d’homogénéiser son œuvre en français avec le traducteur, Bernard Cohen, qui le suit depuis son 2e roman car il comprend mieux son style.

1 Commentaire

  1. Ce livre a pour principal mérite d’être drôle ! C’est très rare !

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