Inspiration : muse ou tyran ? Joann Sfar, Véronique Ovaldé, Frédéric Beigbeder au salon du livre 2010

Comment l’inspiration vient-elle aux écrivains ? Ont-ils des rituels, « une discipline » pour la stimuler ou intervient-elle à tout moment sans crier gare ? Comment alors la saisir et écrire ? N’est-elle pas parfois une contrainte qui s’oppose à ses véritables envies ? Autant de questions pour enrayer la peur de la page blanche, première angoisse du romancier, auxquelles ont répondu Joann Sfar, Véronique Ovaldé, Frédéric Beigbeder, et Firouz Nadji-Ghazviniau cours du débat « Inspiration : muse ou tyran ? », le 28 mars dernier au Salon du livre :


Pour Joann Sfar, on raconte des histoires parce qu’on en a besoin. Sfar « écrit dans le calme et dessine dans le bordel », partout où il y a un support collectif. C’est un drôle de travail, il a l’impression d’ouvrir des serrures. L’alcool aide évidemment parce qu’il désinhibe. Sfar raconte des histoires pour faire parler des voix qui devraient normalement se taire.

Véronique Ovaldé ritualise le plus possible, elle a besoin de privilégier des instants où elle se sent isolée, elle travaille très tôt le matin vers 4 heures et observe des rituels : elle sait que l’inspiration vient souvent à ce moment là.

Frédéric Beigbeder n’ a pas besoin d’un rituel, il écrit dans des carnets n’importe où et à n’importe quelle heure, et admet le pouvoir désinhibant de l’alcool. Frédéric ne croit pas forcément en l’inspiration. Ce qu’il écrit à l’emporte-pièces, sur une banquette de boite de nuit par exemple, sont des bouts épars qui ne sont pas forcément des choses intéressantes. Il aime l’idée d’écrire pour quelqu’un et pense que si une femme vous donne envie d’écrire, il faut rester avec elle.

Véronique Ovaldé a le sentiment de toujours devoir se mettre en condition : elle aime aussi l’idée des muses, (ou des pygmalions) elle aime cette légèreté qui la transporte, cette idée d’être virevoltée parce qu’inspirée divinement.

Joann Sfar pense qu’il y a 2 actes de foi essentiels :
– essayer de toujours se convaincre qu’il y a une histoire. Une histoire à raconter. -et aussi qu’il est important d’écrire pour quelqu’un contrairement au penseur du 18ème siècle qui écrivait exclusivement pour lui-même. Il faut penser que le destinataire va recevoir cela comme un cadeau semblable à celui qu’on fait à une femme qu’on veut séduire.

Frédéric Beigbeder insiste sur les moments où on est meilleurs que d’autres, il y a un mystère de l’inspiration : quand tu commences, tu n’es pas bon, quand tu te situes au milieu de ton histoire, tu n’es pas forcément meilleur. Il pense qu’on passe son temps à faire des aller-retours sur soi-même et à l’intérieur de soi-même. C’est pour cette raison qu’il faut toujours se corriger et réécrire.

Joann Sfar a besoin de se sentir écrasé par le poids du devoir ou de la culpabilité pour avancer, il aime être tourmenté, inquiété. Il recherche cet état d’esprit là. Il aime quand il doit se prouver des choses à lui-même. Pour le dessin, il est fasciné quand il sent que le trait de crayon devient un bonhomme.

Frédéric Beigbeder annonce toujours à son éditeur des grands projets d’écriture qui ne se réalisent pas ! L’œuvre publiée n’est jamais la même que celle qu’il avait imaginée. (il fait mine de chercher son éditeur dans la salle).
Véronique Ovaldé rejoint Frédéric sur ce point : C’est précisément là que l’écriture prend tout son sens et c’est ce qui est intéressant quand on doit renoncer souvent malgré soi, à un moment donné, à quelque chose qui vous allait, pour se laisser accaparer par autre chose qui vous convoque sans crier gare.

Frédéric, cite Le Clezio «Tout ce qu’on a laissé au dehors est finalement ce qu’il y a de plus frustrant », afin de signifier qu’on est toujours très ambitieux au départ.

Firouz Nadji-Ghazvini explique que l’inspiration est tyrannique dès qu’il commence à travailler sur les notes qu’il prend. Ses premières ambitions sont effectivement souvent contrariées quand surgit une incapacité à exprimer ce qu’on souhaite.

Frédéric Beigbeder estime que l’on peut faire des choses plus agréables que d’écrire. L’écriture relève d’un handicap, elle est maladie, dictature, sacerdoce, et elle lui est parfois pénible. Il imprime beaucoup, il fait des essais de typographie pour se donner du courage. Il répète souvent ici et ailleurs qu’il est très paresseux.

Joann Sfar ajoute qu’il veut continuer à s’amuser, il crée des dialogues pour dresser des ponts entre les individus, qu’il veut se perdre sans jamais donner le sentiment d’enseigner.

Véronique Ovaldé peut faire du découpage, retarder un peu le moment de s’y mettre mais fait en sorte que ça se réactive chaque matin. Dès qu’elle se sent sur un mode « ouvert », propice, son imaginaire s’emballe et flamboie

Frédéric Beigbeder se met en situation dès qu’il le peut, pour que l’inspiration lui vienne, car il n’a pas contrairement à Véronique Ovaldé beaucoup d’imagination. Le fait de prendre le train ou l’avion – où il écrit beaucoup – parvient à disqualifier cette défaillance.

Joann Sfar pense que l’esprit humain est structuré par l’interdit. On est très bon quand on n’a pas le droit, quand on est empêché. On ne parle pas assez de la mécanique des interdits, plus ingénieuse qu’on ne croit parce qu’elle fait jaillir des idées nouvelles. En France, on a un regard très intellectuel sur tout, et les esprits francophones sont structurés par les questions philosophiques, ce qui nous éloigne de l’écriture et de la trangression. .

Finalement, Frédéric Beigbeder pense que le mieux est de parvenir à s’auto-discipliner, à se passer des commandes à soi-même afin que jaillisse l’inspiration. [Propos recueillis par Laurence Biava, photos d’Anne-Laure Bovéron]

1 Commentaire

    • rené sur 24 avril 2010 à 15 h 43 min
    • Répondre

    http://www.actualitte.com/actual...

    Pas franc !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.