Rencontre avec les éditions Calmann Lévy et la Fondation Bouygues Télécom pour le prix Nouveau talent 2012

Les opérateurs télécom (à l’instar d’Orange et sa communauté de Lecteurs ou SFR Jeunes Talents), dont les smartphones se font e-books, investissent, ces dernières années, le créneau littéraire. Mercredi 11 avril 2012 se tenait au Café « Les Editeurs », carrefour de l’Odéon à Paris, la remise du Prix Nouveau Talent de la Fondation Bouygues Telecom en partenariat avec les éditions Calmann-Lévy. Ce prix distingue depuis 2007 un premier roman en français qui « place au cœur de l’intrigue les nouvelles manières de communiquer liées aux technologies de l’information et de la communication ». (cf : article sur la place d’Internet dans les romans). Pour cette 5e édition, c’est « La mémoire des autres », un récit mi-fantastique mi-policier, d’Annelise Corbrion qui a été couronné. Rencontre en images et interviews :

5 manuscrits ont été présélectionnés et soumis à la lecture des membres du jury sur les 77 reçus.

Interview de Florence Sultan, Directrice générale des éditions Calmann Lévy : prix-litteraire-calmann-levy-bouygue-telecom1.JPG
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous associer à la Fondation Bouygues Télécom pour publier ce prix littéraire d’un nouveau genre ?
Il faut revenir aux origines du prix, a l’époque où je n’avais pas encore pris mes fonctions chez Calmann-Lévy. Epouser la cohérence des fondateurs du Prix revenait, dés la 1ere année, à bien avoir à l’esprit qu’il ne fallait surtout pas regarder avec condescendance les nouveaux modes technologiques ni le langage pratique au détour de nouveaux modes de langage, (regardés de travers et peu considérés par les linguistes). Au lieu de rejeter en bloc les nouvelles manières d’écrire, je pense qu’il est fondamental de s’interroger sur l’évolution de la langue. Il est important pour un éditeur de se positionner par rapport a l’époque. La langue est vivante, chaque année des nouveaux mots apparaissent dans le dictionnaire. Certes, les mots sont parfois malmenés mais menés aussi. Il faut donc accepter de se prendre au jeu.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur « La mémoire des autres » cette année, qu’est ce qui vous a séduit dans ce livre et quels étaient vos critères ?
Je rappelle qu’il s’agit d’un vote collégial auquel j’apporte, en effet, ma participation. En tant qu’éditeur, j’avais en tête de ne pas plébisciter un texte nombriliste mais un texte où transparaissaient toutes les qualités que je recherche chez un auteur en herbe. Le premier roman d’Annelise est une synthèse de tous les ingrédients indispensables à mes yeux : une construction, une histoire, de l’épaisseur, de la profondeur… Bref, un style.

Comment abordez vous les enjeux du numérique tant au niveau de votre catalogue littéraire que dans votre métier d’éditeur ?
Honnêtement, c’est à nous d’être « évoluants », d’accepter d’évoluer. Il faut devancer ce qui se prépare ! L’écrit fait tout de même partie intégrante de nos métiers ! Il nous appartient de résonner (et de raisonner aussi !) par rapport a l’actualité. Les politiques à mener en terme de diffusion et de distribution entraînent un vrai bouleversement de nos pratiques anciennes et je crois qu’il est sage de ne rien entraver. N’oublions pas que le marché n’en est qu’a ses premiers balbutiements. Je comprends que cela puisse se faire a la décharge de plus petites maisons que la nôtre : les structures étant plus petites, les transformations et mouvements que cela nécessite, sont naturellement plus compliqués. Il n’est pas simple de s’organiser. Appréhender le mieux possible ces nouvelles technologies signifie mettre en place des cellules de réflexion, et découvrir de nouveaux talents, c’est la quintessence de notre métier d’éditeur.

Pensez- vous que les nouvelles technologies façonnent une nouvelle littérature ?
Cela me semble évident. Un romancier est a l’écoute du temps, de son époque. N’importe quelle variable, n’importe quel mouvement aura une incidence sur ses écrits et ceux-ci restitueront, signeront l’époque. Ils en seront le reflet.

Interview de Pierre Marfaing, Président de la Fondation Bouygues Telecom prix-litteraire-calmann-levy-bouygue-telecom3.JPG Qu’est-ce qui motive votre engagement littéraire (cf : fiction d’anticipation) et pourquoi avoir créé ce prix en 2007 ?
Notre démarche est avant tout celle du mécénat. En ce qui concerne la littérature, il s’agit d’investir et de faire la promotion de la langue française, dans tous ses aspects, afin d’en montrer ses ambivalences.
La Fondation distingue trois volets :
– renforcer la thématique du Prix nouveau talent, présenter un vrai programme,
– le développement de stages d’écriture à destination d’auteurs en herbe, afin de les aider à appréhender leur création littéraire, le premier ayant réuni 12 stagiaires pendant 4 jours
– enfin, développer les blogs littéraires et les rubriques littéraires, sur notre site mis en place, qui est notre Communauté du livre.

Une telle initiative semblait porteuse en 2007/2008 quand ce fut la révolution des données sur Internet. On a voulu, au niveau du langage, montrer que les nouveaux modes de communication engendraient de nouveaux diktats et avaient conquis notre quotidien, et nos modes de fonctionnement.

Quel est l’enjeu stratégique et commercial en tant qu’opérateur et quel est votre positionnement face au livre numérique ?
L’enjeu stratégique et commercial est éloigné de nos ambitions. Le livre numérique, c’est un écosysteme qui s’est créé en France, avec une politique du prix avant tout. Il faut que les libraires continuent de jouer leur rôle historique. Les nouveaux supports de lecture, le livre numérique, j’y crois comme un instrument, un élément complémentaire, un nouvel équipement, créé pour que la lecture ne soit pas rébarbative. Il faut absolument suivre l’évolution des nouvelles technologies. J’aime bien les liseuses. Il faut s’y faire, car la lecture sur tablettes, va s’intensifier. Voyez ce qui se passe aux Etats-Unis où l’usage est déjà très répandu..

Envisagez vous de créer une communauté de lecteurs a l’instar d’Orange ? Qu’en est-il de votre site : « Les nouveaux talents.fr » ? Notre site fonctionne très bien, nous voulons aller plus loin côté blog littéraire. C’est, en effet, une vraie communauté qui s’est créée autour du livre. Depuis sa nouvelle version lancée le 15 mars 2012, il regroupe 204 membres actifs, et accueille plus de 2000 visiteurs par mois (3300 visites par mois).

Vous qualifiez votre prix comme « le seul Prix littéraire français autour de la question des modes de communication »…
Oui, absolument, je revendique cette ambition, nous sommes actuellement depuis les grands débuts de l’ere Internet, le seul Prix littéraire réellement tourné vers les modes de communication : vers les concepts du langage, l’évolution de la langue. L’année précédente, ainsi que l’année antérieure, le thème imposé était le texto, le SMS, autrement dit le langage court, bref, abrégé. Cette année, nous voulions que nos candidats planchent sur l’e-mail. Et qui sait ce que sera 2013…

Interview de la lauréate Annelise Corbrion, auteur de « La mémoire des autres »
prix-litteraire-calmann-levy-bouygue-telecom4.jpg Quel rôle joue Internet dans votre roman ?
Il fallait que j’utilise des moyens de communication et les e-mails. Bien qu’il s’agisse d’une consigne imposée, cela me semblait approprié et cohérent pour le déroulement de mon histoire, sa trame narrative. Principalement, il s’agit d’un échange de mails entre des petits fantômes. Cela m’intéressait de mêler le monde des vivants à l’au-delà, à travers le-mail mais aussi l’ancien et le nouveau à travers les photos et la retouche numérique et créer des anachronismes. J’ai apprécié la liberté donnée par ce sujet qui permet de partir très loin dans l’imaginaire.

Quels étaient les enjeux et/ou difficultés pour intégrer cette technologie en littérature ?
Aucune difficulté dans la mesure ou les mails font partie intégrante de mon quotidien. Cela se prêtait bien aux réguliers échanges épistolaires de mon roman.

Internet change t-il la façon d’écrire et de faire de la littérature ?
Non, pas nécessairement. Je pense que l’incursion vers le numérique complète le genre littéraire en l’élargissant. Ce qui est sûr, a mon avis, c’est que cela ne l’appauvrit pas.

Quel regard portez-vous sur la façon dont les romans contemporains abordent Internet ?
Je ne suis pas fan de ce que je lis. J’aime les romans de facture classique dans lesquels Internet est juste présent, par petites touches.

Pour ou contre le livre numérique ?
Pour l’heure, je pense que c’est une bonne chose, en tant que complément. Si cela induit le délaissement du livre papier, on peut alors se demander si ce n’est pas dangereux…

[Propos recueillis par Laurence Biava]

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