Interview de Jean-Marc Parisis (« Les aimants »): « L’amour est une idée quasi morte »

Interview de Jean-Marc Parisis à l’occasion de la sortie de son roman « Les aimantS »/

« L’amour est une idée quasi morte.« 

Hemingway disait qu' »un auteur n’est rien sans ceux qui le précèdent » : revendiquez-vous une filiation littéraire ? Quels sont vos auteurs de prédilection ? Ceux que vous lisez et relisez ? Lisez vous d’ailleurs beaucoup lorsque vous même écrivez ? Lisez vous beaucoup, tout court ?
Pas de filiation littéraire, mais des fraternités. La première, c’est le romantisme allemand et français, Novalis, Hölderlin, Nerval, Baudelaire, et sa descendance, Gracq et Breton, en tête. J’ai beaucoup lu Yukio Mishima, Norman Mailer, James Ellroy. Des écrivains français contemporains me passionnent : Michel Houellebecq, François Taillandier, Cécile Guilbert, Guy Dupré. En décembre, je suis allé au Mémorial de la Shoah voir la belle exposition consacrée à Benjamin Fondane, un géant. Il y a huit jours, Bright Star, le film assez sublime de Jane Campion, m’a remis sur la route de John Keats. Et j’ai retendu le drap blanc de la poésie : Rilke, Yeats, Dylan Thomas, Apollinaire, Eluard… Tout cela est varié, mais les auteurs auxquels je reviens toujours se nomment Retz, Balzac, Chateaubriand, Chandler et Pasolini. Des phares qui permettent de travailler dans leur lumière.

J’ai beaucoup aimé dans « Les aimants » la façon dont toutes les formes de l’amour semblent revisitées, du « coup de foudre » amoureux à son délitement, jusqu’au vacillement final qui fera passer les deux héros du stade d’amants à celui d’amis. Quelle est votre vision des rapports amoureux actuels, quelle opinion formulez-vous à propos de leur rapide déliquescence ou du nombre accru de divorces ? Car la force qui se dégage de l’histoire d’amour « construit » entre Ava et le narrateur semble appartenir à une époque révolue.
L’histoire des Aimants débute dans les années 80, il n’y a pas trente ans, mais c’était un autre monde et d’autres rapports. Les téléphones portables, les sms n’existaient pas. La technologie n’astreignait pas à une présence permanente auprès de l’autre — présence qui devient vite excessive, tyrannique. On prenait le temps, on jouait avec lui, on établissait des distances pour mieux se retrouver. On pouvait passer des jours sans se parler, sans pour autant s’oublier ou se soupçonner. Le rapport était plus libre, moins inquiet, moins vaniteux. Dans Les aimants, le narrateur note à propos de sa relation avec Ava : « Je me demande même si l’on savait qu’on s’aimait. » L’amour n’était pas théorisé, il se vivait, il se reposait et il renaissait dans les plis du temps. Aujourd’hui, pour des raisons trop longues à exposer ici mais que j’ai commencé à développer avec Depuis toute la vie en 2000, l’amour est une idée quasi morte. Dans « Les aimants », le narrateur évoque les années 2000 en parlant d’ « un monde de damnés, paniqués, fous d’eux-mêmes, prêts à tout pour cannibaliser l’autre. » Cette phrase a vraiment marqué, quantité de lecteurs me l’ont citée spontanément, et cela m’a fait plaisir. Ils y ont reconnu notre époque. Aujourd’hui les dimensions de liberté, d’intimité et de mystère, essentielles au rapport amoureux comme à la vie de tous les jours, ont pratiquement disparu. Beaucoup de gens sont trop abîmés pour aimer qui que ce soit. Ils fantasment l’amour sans le vivre. L’amour reste l’exception quand la loi commune est le néant.

Vous avez une réputation de styliste affûté, une écriture d’une grande pureté. Comment travaillez-vous pour parvenir à un tel résultat ? Prenez vous des notes, écrivez-vous à l’instinct ? Faites-vous un plan, comment organisez-vous votre pensée, retravaillez-vous beaucoup vos phrases ?
Certaines phrases jaillissent comme des évidences, elles sont, sinon parfaites, du moins définitives. Dès le premier jet, je sais que je vais les garder. Elles ont un air de vérité, intouchable. D’autres, et ce sont les plus nombreuses, réclament une nuance, un réglage, parfois même dix réglages… J’écris donc de toutes les manières possibles, à l’instinct, à chaud, à froid, en prenant des notes et en reformulant. Ecrire, pour moi, ça signifie surtout réécrire, faire des gammes, ajouter des voix et des instruments, mixer, régler les basses et les aigus, exactement comme un musicien en studio. C’est du travail, mais le travail, c’est la moindre des choses quand on compose des livres. Et c’est surtout, dans mon cas, un plaisir, une liberté. Les poses d’artiste maudit et de créateur qui se prend la tête, c’est absurde et indécent.

Quelle place, importance accordez-vous à Internet dans votre travail ? Utilisez-vous les moyens modernes de communication tels que les blogs, réseaux sociaux de type Facebook ou Twitter comme le font certains auteurs ?
Internet me sert essentiellement à retrouver des chansons, des mélodies qui me trottent dans la tête depuis vingt ou trente ans, des airs qui m’ont enchanté à un moment donné, des chambres d’écho où les images se réveillent. Dernières madeleines musicales : Tender Lovin’ Care de MFSB, The First Picture of You de Lotus Eaters et Song for Whoever de Beautiful South. J’espère aussi des nouvelles de David Bowie, car la vie est moins belle sans Bowie. Je ne me rends pas sur les réseaux sociaux ni sur les blogs littéraires. Début février, dans Libération, je suis tombé sur une réflexion de Jean-Pierre Dionnet : « Un mec qui va sur Internet n’a pas de pays. » Moi, j’ai trop de pays. Ceci dit, un auteur inconnu peut très bien émerger sur un blog littéraire. L’important, c’est le contenu de l’écriture, le caractère et l’énergie du style. Le support n’est pas accessoire, mais il est relatif.

Merci à Jean-Marc Parisis du temps accordé.

propos recueillis par Laurence Biava

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