Le complexe socio-culturel d’Olivier Adam et le mépris de la culture populaire (« Les lisières »)

Alors que je lisais Les lisières d’Olivier Adam, je m’amusais de l’écart entre l’image que l’on peut avoir de cet écrivain et la réalité finalement de ses idées, de son « idéologie », qui ressort de façon assez abrupte dans ce roman qui m’a assez étonnée (malheureusement dans le mauvais sens…). En effet, je tenais Adam pour cet écrivain plutôt empathique sensible à la « France d’en bas » (aussi laid que soit le dénominatif), de la condition ouvrière, « petites mains », des déshérités, défavorisés, et tout autre synonyme que l’on voudra bien trouver pour désigner en gros tous ceux qui doivent trimer pour joindre difficilement les deux bouts quand ils ne s’abîment pas dans un chômage désespérant, ceux qui ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche ou autres milieux à paillettes.

"Le père" Gregory Crewdson (2007, série “Beneath the Roses”)

« Le père » Gregory Crewdson (2007, série “Beneath the Roses”)

« Tout était désert et calme. Il faisait tiède et les réverbères plongeaient les allées dans une lumière irréelle. On aurait dit une ville de carton-pâte, de maisons en papier, un décor dans lequel on s’attendait à voir se faner les géraniums, surgir des femmes somnambules et dépressives en chemise de nuit marchant sur l’herbe, des hommes bras nus contemplant la lune une bière à la main, usés et baignés de lumière céleste, implorant quelqu’un ou quelque chose. On se serait cru dans une photo de Grégory Crewdson. » (extrait « Les lisières », Olivier Adam)

Récemment je l’ai même vu être affublé du titre zolatien « d’écrivain du peuple » dans un portrait qui lui était consacré. Etiquette qu’il revendique et image qu’il cultive volontiers.
Or c’est une autre facette qu’il livre, sans doute involontairement et même en cherchant à faire l’inverse a priori, dans son (étrange) 9e opus, Les lisières, paru à la rentrée littéraire 2012 et qui avait été acclamé par la presse, suivant une série de romans ayant tous eux-mêmes rencontrés un grand succès. On retrouve d’ailleurs dans Le coeur régulier publié en 2011 déjà le thème de la lisière lorsque la narratrice évoque son frère décédé Nathan qui se tenait « en lisière, en retrait » et portait le même regard ironique sur la masse travaillante (en l’occurrence ici les séminaires de cadres et le monde de l’entreprise tellement pas assez « noble », intellectuel ou artistique à ses yeux, il ne voudrait pas se salir les mains dans ce travail tellement trivial et bête écervelé, satire éculée qui lasse, toujours l’antithèse de l’artiste et du businessman tellement inférieur et « bas » à leurs yeux, toujours finalement ce ton moralisant judéo-chrétien en filigrane.).

La référence judéo-chrétienne ici n’est pas fortuite car ce sont justement les réformes religieuses (protestante puis catholiques) du XVIe au XVIIIe siècle (avec plusieurs phases) qui sont à l’origine d’un fossé accru entre culture populaire et culture de « l’élite » alors qu’elles entretenaient jusqu’alors plus de liens (voir à ce sujet l’analyse passionnante de Peter Burke dans « Popular Culture in Early Modern Europe » où il explique notamment le combat du clergé pour « purifier » les amusements populaires visant plus particulièrement le carnaval, les rites païens et les « appétits » populaires avec tout le système de valeurs impliqué). Dans la conclusion du chapitre 8, il indique que les traditions populaires (comme les pièces de théâtre religieuses nommées « Mystères » jugées offensives au « sacré » et plus tard « inesthétiques » notamment avec la montée des critères néoclassiques) se sont montrée malgré tout assez « résiliente ». Dés lors, selon lui, la principale conséquence de ces réformes ont été une rupture entre « grande » et « petite » tradition alors qu’elles ont touché en premier lieu, plus rapidement et plus profondément, les catégories sociales les plus éduquées, isolant de plus en plus cette minorité du reste de la population.

Dans Les lisières, opus riche mais qui semble surtout « fourre-tout » (non dénué d’intérêt mais gâché par ses jugements de valeur à l’emporte-pièce et beaucoup de lourdeurs auxquelles il ne nous avait pas habitués jusque là), il évoque assez longuement (trop probablement) son image d’auteur d’ailleurs: « Critiques ne manquant jamais de louer en moi l’auteur social que j’étais à leurs yeux, pas un auteur tout court, mais un auteur social, comme si écrire sur les classes moyennes et populaires, la province, les zones périurbaines était paradoxalement devenu une particularité, un sous-genre. »
Un de ses amis d’enfance, Eric, dans le livre, qualifie aussi le narrateur « d’écrivain social en prise avec la réalité du monde ».
Il n’en reste pas moins qu’Olivier Adam aime à exalter cette préoccupation qui ressort de façon encore plus accrue dans Les lisières, roman se voulant ancré dans le monde des banlieues ou l’histoire d’un gamin des banlieues devenu écrivain et ayant basculé malgré lui dans le monde des « nantis » tout en prouvant toujours un complexe face à cette classe pour laquelle il nourrit clairement un sentiment d’attraction-répulsion. Adam ou du moins son narrateur n’aime clairement pas le monde de la banlieue ou son peuple, il y a encore ici un malaise une honte sociale sur ses origines de « classe moyenne ». Mais pire il y a un mépris latent qu’il ne peut s’empêcher de réprimer,et qu’il exprime notamment à travers les références culturelles qui émaillent son texte. On trouve ainsi des suites, des alignements/rafales de noms, de titres de films, de livres, d’émissions TV en guise de justificatifs de ce qui est de « bon goût » vs ce qui est « mauvais », ce qui est « noble » vs ce qui est « bas de gamme » et méprisable.
Ce problème du goût culturel (et du mépris, mot clé revenant régulièrement sous sa plume) est omniprésent dans Les lisières et se répète avec une redondante lourdeur, sous diverses variantes, sur prés d’une quarantaine de pages, jusqu’à l’écœurement.

Ce mépris des goûts populaires se focalise donc prioritairement (O originalité, ô esprit subversif) sur cette bonne vieille ambulance de TV (qui regarde encore la TV en 2016??). On se rappellera à ce sujet l’essai de Chloé Delaume « J’habite dans la télévision » : a-t-on vraiment encore besoin de pseudo-intellectuels pour venir se lamenter sur l’inanité des programmes TV et pour nous démontrer que vraiment la TV c’est de la perte de temps, du bourrage de crâne inepte ou je ne sais quel autre lieu commun éculé et que l’on ferait mieux tous de lire Proust à la place ? Le discours est récurrent chez un certain nombre d’auteurs se prenant pour l’élite intellectuelle et venant donner sa leçon au pauvre peuple pas assez intelligent pour penser par lui-même, ce qu’on ne trouve pas nécessairement chez les anglo-saxons ou alors de façon plus subtile et moins manichéenne me semble-t-il (ex : K.Dick ou Carver). Le roman « Pas son genre » de Philippe Vilain est un exemple récent en date, le réalisateur Lucas belvaux qui l’a adapté livrait des commentaires pertinents sur ce phenomène de violence et de clivages culturels avec la perte du rôle fédérateur de la culture.

Le narrateur d’Adam ne supporte ainsi pas de se trouver face au petit écran et ne manque pas de manifester son dégoût profond pour ses émissions de divertissement (autre gros mot, on se rappellera encore les mines pincées de Delaume -encore elle- à ce sujet, amusant Adam la rejoint aussi sur le sujet): « J’ai baissé le son de ces inepties qu’à défaut d’interdire on aurait pu taxer massivement afin de renflouer les caisses des ministères de la Culture et de l’Education nationale, dont elles insultaient le travail, sapaient l’action, en vertu du principe de lobotomisation sur lesquelles elles fondaient leur impact. »
« Décidément je ne supportais pas la télévision. Je détestais autant y passer que la regarder. Ca me donnait l’impression d’être enterré vivant. » (tiens donc on verse dans la censure en prime, cachez ces amusements populaires que je ne saurais voir!).
Autre scène comique (p. 225) celle où l’infirmière lui propose de regarder la TV au chevet de sa mère, ce qu’il refuse car « il a un livre », ce qui paraît « saugrenu » selon lui à cette brave dame (qui ne sait bien sûr pas ce que c’est d’ouvrir un livre, la pauvre !).

Il aime aussi taper en toute occasion sur Télé Loisirs comme le mal absolu. A propos de son père : « il avait fait mine de feuilleter un Télé Loisirs qui traînait là comme si vraiment, il s’attendait à y dénicher une information capitale ou qui vaille simplement d’être lue. » (134)
« Mon père fixait l’écran comme si véritablement ça pouvait l’intéresser qu’une grosse femme dénommée Valérie réussisse ou non à deviner un mot de six lettres en tirant des boules dans une urne transparente » (135) (on notera ici l’adjectif « grosse » qui apparaît comme étant le symbole de la vulgarité qu’il associe à cette émission pourtant bien inoffensive)
Comme il le fait d’ailleurs dire à son ami d’enfance Eric : « Quand je rentre du boulot, j’ai besoin de me détendre. Je sais que tu dois trouver ça vulgaire. »
Sophie lui fait aussi la réflexion devant ses manières mijaurées l’interroge aussi : « Quel mal y-a-t-il à mener une vie normale ? »

A travers cela donc, c’est le mépris de ses parents qu’il affiche même s’il leur reproche aussi paradoxalement de n’avoir jamais respecté ses goûts et sa sensibilité (« trop sentimentale ») mais il n’est finalement pas plus tolérant et ouvert d’esprit qu’eux, même peut-être encore plus autoritaire dans ses diktats de pensée par réaction défensive peut-être (ne nous lançons pas, à l’image de l’auteur, dans de la psychologie de comptoir).
Esprit étriqué, manque d’ouverture d’esprit , de compassion.

A l’inverse, il passe son temps à se vanter d’écouter telle ou telle musique, de regarder depuis son plus jeune âge des films d’auteurs, des « films suédois en noir et blanc », d’avoir des goûts de « poète maudit » ou d’intello distingué » (381) et que sa fille écoutant PJ Harvey a hérité de cette même délicatesse de goût.
Ce qui nous donne des accumulations de noms et de références alignés en rafale pour se justifier de sa « non beauferie » (ex p 177 ou la pathétique liste de références d’auteurs japonais p 409 qu’il se targue d’avoir lu comme pour se justifier de je ne sais quoi encore…).
Comme le disait un critique des Inrocks « Adam accumule les références espérant faire du Annie Ernaux en invoquant son nom ». A noter toutefois qu’Arnaux souffre du même genre de complexe, cela m’a plus particulièrement frappé dans Mémoire de fille où elle se targue de lire de grands auteurs et d’écouter de la musique classique mais ne peut s’empêcher d’être sensible aux ritournelles de Dalida…
Plus intéressant, il nous livre sa conception esthétique artistique où il s’insurge contre le diktat de la « bonne histoire » (un peu comme Céline qui en profitait pour lui aussi taper sur le « populaire » à travers la figure de la « mercière » ) : « un bon film, comme un bon livre, ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue, à la lumière, au temps, à la phrase. » (304).
ou encore « les livres, la musique, les films, si déprimants qu’ils soient en apparence, me transcendaient, me tiraient vers le haut, m’incitaient à la vigilance, me commandaient de me tenir vivant, debout, les yeux et les sens grands ouverts.’ » (p 329).
A ce sujet il se livre aussi à un auto-commentaire sur ses livres via le mari de Sophie à propos de la « littérature dépressive » grande spécialité Française alors qu’il lui reproche que « ces livres glorifiaient la tristesse et les éclopés, la défaite et la désillusion, la fuite et la désertion comme s’il était plus noble d’être de ce côté là que de celui de la vie et de la lumière ». Ce qui nous renvoie encore à une opposition littérature « élitiste » (de façon intéressante assimilée au terme historique « noble » avec toutes les connotations qu’il renferme comme le montrait Nietzsche dans s généalogie de la morale, le jugement esthétique était historiquement basé sur la morale d’ailleurs) vs. Littérature populaire.

Bien évidemment il ne manque malheureusement pas de nous ressortir l’autre cliché éculé de la ménagère de moins de 50 ans, la femme au foyer Bovaryenne (cf : son personnage de Sophie complètement caricatural : eh oui encore et toujours elle on en sort pas même si elle n’existe probablement que dans l’imagination de ces écrivains peu inspirés mais passons…) qui s’abrutit, comme il se doit, devant des jeux et des soaps et autres téléfilms « aux couleurs fanées, aux intrigues lentes, aux musiques surannées » (il est vrai que les intrigues « rapides » et les films d’action c’est beaucoup mieux bien sûr !). Même portrait pour sa mère passionnée de « feuilletons débiles » (p.227).

Il résume les rapports de façon simpliste ou scolaire avec des clichés éculés comme le salon bourgeois « rempli de livres, où la chaîne jouait en permanence de la musique classique ou les grands de la chanson, Brel, Brassens, Ferré, Barbara, un monde où on lisait Télérama, Le Monde et Le Nouvel Observateur, où la télévision ne servait que rarement, réservée au visionnage de films, anciens ou inconnus pour la plupart , où jouaient Yves Montand, Fanny Ardant ou Trintignant… » (p.102)
A contrario il dépeint avec horreur une vie avec « les courses au Leclerc le samedi après-midi, le déjeuner avec les parents le dimanche, le Buffalo Grill une semaine sur deux, les blockbusters au multiplex, le bowling du vendredi soir, Christophe Maé Franck Dubosc Arthur Conforama Auto Plus » (on se demande bien la logique de cette liste à la Prévert du reste…). Il n’en faut pas beaucoup pour horifier Monseigneur Adam !

Sa définition des bobos est tout aussi consternante (« manger des sushis, lire Télérama, trier leurs déchets, aller voir des films en VO… » p 212 suivi encore d’une autre liste p 213, au secours on ne l’arrête plus !).
On notera au passage sa tentative malheureuse d’analyse générationnelle encore une fois fort restrictive « Pourquoi ma génération se révélait à ce point incapable de grandir, de se comporter en adulte ? » De qui parle-t-il au juste ?? De son petit cercle de connaissances parisien ou de banlieue parisienne ?

Son problème est qu’il représente, peut-être même jusqu’à la caricature, ce qu’il dénonce, même s’il fait tout pour se distinguer de la faune de Saint Germain des Près censée incarner le mal absolu (juste après Télé Loisirs donc). Etre un bobo tout en brocardant « leur conformisme, leurs goûts tièdes« , qu’il avoue « partager parfois« : une attitude schizophrène dont il se rend bien compte d’ailleurs pour comble !

De même il n’assume pas les goûts qu’il a pu avoir, comme ceux de son enfance ou adolescence, jugés « ringards » ou « ploucs » ou carrément « coupables » p.425 (on revient au christianisme) ou même ceux qu’il a toujours de façon honteuse. Goûts ne correspondant pas au « standing », au système de valeurs qu’il s’est construit un peu artificiellement par mimétisme à une certaine communauté bobo-artistique (cf. ci-dessous). Bourré de préjugés stupides et étriqués. Peur maladive du « ridicule » (cf sa conversation avec Sophie p. 289). Peur maladive d’en être et de ne pas en être (bobo, élite, etc.), à ce stade ce n’est pas être en lisière, c’est de la lâcheté (et donc un gros complexe personnel).

J’aime bien justement que Houellebecq qui est un des rares écrivains Français me semble-t-il à ne pas avoir ce complexe de culture populaire et qui se rappelle avec plaisir et émotion ses lectures d’enfants comme Pif gadget dans Les particules élémentaires. Beigbeder a aussi cette capacité à naviguer de culture populaire à celle classée comme élitiste ou pointue sans complexe, ce qu’Adam ne parvient pas à faire ou alors avec honte comme il le dit lui-même (cf. ci-dessous). De plus comme ces auteurs le montrent bien, les deux pôles ne sont pas étanches l’un à l’autre ou hermétiquement isolés, mais ils se nourissent de façon souterraine et indirecte. Il n’y a pas cette opposition frontale et brutale qu’Adam s’obstine à maintenir. Oui Mr Adam, on peut aimer certains blockbusters et les films d’auteurs !
Ce n’est pas incompatible !

Tout au long du roman, il n’assume donc jamais complètement ses prises de position ou alors tente-t-il de les nuancer ou de s’en défausser (ce qui donne tout de même la désagréable impression qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il veut ou ce qu’il pense) et se fait ainsi l’avocat du diable soit par son autocritique ou soit en fournissant par la voix d’autres personnages comme son ex-femme des contre-arguments :
« Arrête de ranger les gens dans des cases. Arrête avec ces archétypes… » faut-il dire à son ex-femme (p. 214) Un reproche qu’il (se) reformule dans la bouche de Sophie son ex amour de jeunesse cette fois « [C’était quoi] cette manière d’enfermer les gens et les sentiments dans des cases ? » (p 288)

p196 « j’ai contracté cette manie en entrant chez les gens de d’abord regarder leur bibliothèque, leurs livres, leurs DVD, les revues dans le porte-revue et de les juger immédiatement sur ces critères, de les ranger dans des cases, d’en mépriser certains, d’être agréablement surpris par d’autres, de les jauger ainsi et de mesurer alors les chances que nous avions d’établir une relation. »

A propos de son ancien amour de jeunesse Sophie (figure bovarysante caricaturale) : « Qu’est-ce qui me poussait à toujours imaginer les gens rongés par l’ennui, usés par le quotidien, blessés d’être ainsi réduits, leurs vies tenant dans des boîtes à gants ? Pourquoi voulais-je donc toujours que tout le monde soit malheureux, dépressif, usé, à contresens de son être profond ? »

Un mépris qu’il se reconnaît donc et pourtant cela ne l’empêche pas une fois de plus de taper à travers la voix du père (p. 217) cette fois sur « les petits Parisiens bourgeois prétentieux méprisants (…) Suintant de condescendance pour les petites gens, bouffés jusqu’à la moelle par la haine des petits. » (esprit de modération quand tu nous tiens!). Tiens tiens cette description nous rappelle quelqu’un… Son discours anti-capitaliste, très populiste pour le coup, versant dans les simplifications et généralités à tout va, est tout aussi étrange. Il reproche en effet entre autres aux « classes supérieures » leur « arrogance » et leur « confiance en eux » (le même discours convenu se trouvait déjà dans Le coeur régulier même s’il y était déjà un peu plus fin). On est pas loin de L’élégance du hérisson

Il va même jusqu’à admettre (p 361) qu’il pourrait bien s’agir d’une « pose ou d’un calcul » ou d’un « complexe » ; un peu de lucidité malgré tout même si le livre prend ici franchement des allures d’auto- psychanalyse pas toujours très fines…
Il avoue d’ailleurs (p.351) qu’à l’adolescence il étudiait chacun de ses goûts qu’il voulait « pointus, avant-gardistes, modernes, élitistes » et se « gargarisait de noms qui en jettent », et rejetant en revanche tout ce qui lui paraissait « plouc » (ex : la passion du cyclisme par son père). Il faut croire qu’il n’a pas beaucoup évolué…
Honnête dans sa mauvaise foi (si tant est que cela soit possible), il admet aussi plus tard qu’il ne pouvait s’empêcher de lire L’équipe ou regarder les matchs à la TV en solo tout en le tenant pour « un péché honteux » (morale judéo chrétienne quand tu nous tiens, cf. ce que je disais plus haut et la contradiction -une de plus- avec sa diatribe sur Auto plus et compagnie). Il passe donc bien son temps à dire une chose et son contraire, ce qui décrédibilise à peu près tout son discours on ne peut plus bancal, même si un psy -le lecteur est-il un psy ?- se régalerait sûrement, il finit d’ailleurs par consulter dans le dernier tiers de l’œuvre mais pas sur ce sujet, dommage il en aurait besoin a priori!). On est plus dans une posture en lisière comme il aime à le marteler mais plutôt dans une véritable schyzophrénie.

La même prise de conscience le reprend p. 408 alors qu’il stigmatise les écrivains qui se « considèrent d’emblée au-dessus de la moyenne, de la médiocrité banale et rebutante, possédant cette assurance que donnent l’argent et la culture, et face à quoi je me sentais toujours si mal, traînant mes vieux complexes de fils d’ouvrier banlieusard. » On pourra gentiment lui faire remarquer ici que ce complexe de supériorité (et d’infériorité finalement les deux face d’une même pièce) s’applique tout aussi bien à lui-même.
De plus la relation entre argent et culture qu’il s’obstine à marteler semble bien obsolète… Quant aux écrivains, combien sont vraiment riches ? Pas très crédible encore une fois tout cela…

Le comble de l’élégance étant lorsqu’il va jusqu’à attaquer certains de ses confrères contemporains (Beigbeder, Nothomb et Gavalda p 240), se positionnant automatiquement comme « supérieur », sous couvert de pseudo modestie (“Plus tard, je m’étais vu en Modiano, Fante, Sagan, Salinger, et j’avais écrit les livres que j’avais écrits.”, sous-entendu au lecteur de dire si j’ai atteint mon but, il ne saurait aller jusqu’à s’auto-flatter de la sorte). Toujours très élégant pour ses confrères, il ne manque pas de souligner que sa bibliothèque est « de moins en moins francophone » mais « farouchement anglo-saxonne, etc. » (comme c’est original la culture américaine!).

Malgré tous ses efforts, Adam ne parvient pas à écrire à hauteur d’homme, à respecter ses personnages qui ne sont pas des artistes, intellectuels bobos et torturés ayant les mêmes goûts culturels que lui, même s’il s’en veut terriblement pour cela et qu’il s’en auto-flagelle tout du long. Pas plus qu’il ne comprend la psychologie féminine qu’il veut enfermer à tout prix dans des clichés habituels et nauséabonds à la Bovary. Sa vision de la société, des sexes et des rapports socio-culturels reste tristement manichéenne.[Alexandra Galakof]

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