« Octave avait 20 ans », une expérience sensuelle, onirique et dangereuse signée Gaspard Koenig

La jeunesse dorée du XVIe arrondissement parisien n’en finit pas d’engendrer des vocations littéraires. Plus ou moins réussies.
Après Lolita Pille, qui a ouvert les hostilités, on parlait beaucoup l’an passé de Thibault de Montaigu (« Les anges brûlent »). Récemment un DVD retraçait comme autant de flashs de strass les destinées de ces jeunes flambeurs(ses) tout en baptisant cette jeunesse dorée de « Nappy » (fusion d’happy et et « no nappy »).
Une génération qui n’en finit pas de déplorer son statut de « pauvres gosses de riches »… Entre malaise existentiel et excès en tout genre, arrogance non assumée et fragilité. La rentrée littéraire 2004 a accouché d’un nouveau spécimen : Gaspard Koenig dont le roman vient de sortir en poche en janvier 2006. On prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait.

Vertigineusement jeune (âgé de 22 ans, né en 1982), le jeune homme conduit une narration étonnamment mature qui nous plonge dans l’existence polysensorielle d’Octave. Un prénom d’empereur, aux saveurs de temps perdu (en référence au personnage proustien d’A la recherche du temps perdu).

Bien sûr, Octave est comme les autres. Fils de (d’un riche industriel requin des affaires, surnommé El Torero). Cuillère en argent solidement logée entre ses lèvres qu’il aime laisser errer sur les corps sylphides de ses conquêtes, au fil « de soirées saturée d’argent et d’insolence »…
Mais Octave cultive des tourments plus subtils que ses comparses. Et évite l’effet « caricature » des désormais classique partouzes assaisonnées de coke…

Nourri des livres vert émeraude de la pléiade qui tapissait sa chambre de garçonnet, il reste hanté par ses angoisses enfantines. Et ses succès de jeune premier, remportés avec arrogance, ne parviennent à les chasser.

Au delà de l’intrigue, c’est surtout la maîtrise littéraire qui fascine dans ce premier roman. Une combat d’escrime se mue en parade d’amour où « les lèvres rouges de son adversaire derrière la grille du masque, mouchetées d’ombre » semblent à Octave « un sexe de femme sous une toison serrée de poils noirs ».

Un banal découpage de citron en rondelles, lors d’une soirée, devient prélude amoureux : « Il trouvait belle cette main de femme qui tranchait férocement, d’un mouvement appliqué et malhabile le fruit jaune tout gonflé qui ne méritait pas tant d’égards (…) Il imita ce geste liturgique, semblable au va-et-vient fondamental, d’où sortirent les premières gouttelettes séminales. Il n’entrevoyait que ses cheveux noirs qui se balançaient au dessus des citrons. Ce fragment sombre sur fond jaune (…) Il avait préféré ces quelques minutes de tendresse à beaucoup de souvenirs, et il ne lui importait pas qu’elles fussent incrustées dans la chair d’un citron. »

Une scène de fellation prend des allures mystiques où les lèvres de Camille, « dans une pieuse inclination, se coule sur l’ogive rosée qui couvrait son sexe et s’y moulèrent ». Où Spinoza et même Pascal s’en mêlent.

Et enfin une compétition hippique sous une pluie torrentielle devient un lieu irréel où les cavaliers – des fantômes de glaise- se fondent avec les couleurs et les formes de la piste boueuse « comme au travers d’un verre fumé ». Et au milieu de ce mirage, la mystérieuse et évanescente Elise… à « la beauté battante ». Elise, dont même le nom envoûte Octave : « Tant de douceur et de mélodie dans ce nom : la langue qui lape les deux voyelles, pour s’achever dans un Z tranchant et assassin, en forme de couperet. Une guillotine sur un tapis de fleurs. »

Voilà… C’est tout cela les 20 ans d’Octave (et de Gaspard) : une expérience sensuelle, onirique et dangereuse. Une élégance qui flirte en permanence avec la violence. Un bonbon lisse et acide dans un papier d’argent. Certains ne manquent pas de taxer d’ores et déjà l’opus « d’horriblement prétentieux et irritant ». Mais irriter est ce réellement un défaut quand on est écrivain ?

Pour info : le jeune homme au physique de jeune premier, est aussi le fils de Jean-Louis Hue, rédacteur en chef du Magazine littéraire – où Gaspard a d’ailleurs défendu le livre de Lolita Pille – et de la romancière Anne-Marie Koenig. Et pour couronner le tout : entré premier à Normale sup, il vient d’être reçu à l’agrégation de philosophie. Vous avez dit impressionnant ?!

Ajout du 7 juillet 2006 : En 2006, Gaspard Koenig publie un deuxième roman intitulé « Un baiser à la russe », toujours aux éditions Grasset. Un roman, une nouvelle fois, très dense. Il dépeint l’existence de Clara, belle et insouciante, qui entre deux coucheries ludiques (« parce qu’il n’y a que comme cela que l’exercice vaille la peine »), assemble des puzzles. Par plaisir d’abord puis professionnellement. Cette activité ne tarde pas à devenir sous la plume de l’auteur une allégorie de la féminité et de l’amour : les nombreuses petites pièces ne dévoilant leurs mystère qu’aux plus tenaces et aux plus vaillants qui savent trouver les bons emboîtements. Jusqu’au jour où sa vie cartésienne et bien ordonnée se retrouvera chahutée par un adolescent malingre et doué pour le jeu, un étranger venu de Russie, fragile comme un cristal de Fabergé, pâle vestige – ou imitation – d’une famille littéralement éclatée… en mille morceaux. Parviendra-t-elle à rassembler les morceaux de ce dernier puzzle ? Ce livre fait partie de la sélection Renaudot et a reçu Le Prix Littéraire de la Vocation 2005.

1 Commentaire

    • internaute de passage sur 6 septembre 2006 à 23 h 23 min
    • Répondre

    Prix Littéraire de la Vocation 2005 ?
    Ils disent, sur le site : "pour aider un jeune romancier".

    Fils du rédac chef du Magazine Littéraire, normalien, agrégé… il a vraiment besoin d’être aidé, en effet !! 😉

    Bon allez, ne voyons pas le mal partout. 😉

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