« Poupée Bella » de Nina Bouraoui : Journal de la nuit et du désir des filles

Nina Bouraoui, auteur franco-algérienne, confie dans Poupée Bella, son huitième roman, en forme de journal intime, son chemin initiatique vers l’amour au féminin et dévoile sa vision du « Milieu des Filles » dans les années 80. La quête et l’acceptation de son identité constituent des thèmes majeurs et fondateurs de son œuvre. De la découverte des codes de séduction dans les boîtes de nuit aux errances urbaines rue de Renne, dans le Jardin des plantes ou du Luxembourg, la piscine Deligny, le Marais, la rue des Archives…, où les interrogations, contradictions sur son rapport au corps, au désir l’assaillent. Sa recherche fiévreuse et hésitante, parfois aux portes de la folie, d’un équilibre à travers l’Autre. Récit vertigineux d’une éducation sentimentale homosexuelle… et universelle : une émouvante confession sur les difficultés de son existence partagée.

C’est un journal amoureux. C’est l’histoire des vies, intérieures et extérieures : ma famille, mes pays, mes désirs, les mots. C’est le journal, de mon adolescence, de ma vie adulte. (…) Ce livre est l’histoire des strates amoureuses qui me composent”.

Deux ans après « La vie heureuse » qui racontait son grand amour de jeunesse en la personne de sa meilleure amie Marion et trois après Garçon manqué où elle évoquait son sentiment d’être une « fausse fille », l’auteur revient sur cette période charnière où elle a décidé d’assumer son homosexualité, son amour des filles. Elle est alors une débutante dans le « Milieu des Filles ». Le peuple des boîtes de nuit des années 80 – Le Kat, le Soft, le Katmandou, le Scorp, le Studio A- où les femmes s’épient, s’approchent, se chassent et s’embrassent parfois…. Comme les hommes. Un lieu où elles reprennent le pouvoir et peuvent enfin être elles-mêmes.

« Je deviens un corps qui danse. Je cherche, moi aussi. Je suis regardée. J’aime être la plus jeune. J’aime être la jolie poupée. (…) C’est la nuit des chairs rouges et exposées, je me donne, je m’offre, je cherche une fille. »

Dans son journal du désir, la romancière confie son appétit des corps féminins qu’elle a envie de « dévorer », sa recherche d’abandon physique et de la beauté des ventres, des mains, des bouches… : « J’apprends d’autres corps comme on apprend une autre langue que la langue maternelle. »

Elle se découvre enfin capable d’aimer et quitte enfin « le corps fantôme » pour entrer dans le frottement des chairs. ». Pour autant, aucune scène sexuelle n’est explicitement décrite, l’auteur reste dans la suggestion, l’impression. Même si le corps occupe le 1e rôle (« Je suis dans la seule vérité. La vérité de mon corps. »): l’écriture est sensuelle mais toujours pudique contrairement au roman d’Ann Scott (Superstars) qui traitait lui aussi du Milieu des Filles. Elle se rapproche plus d’une Colette par ses allusions fréquentes au vent, à l’odeur d’herbe après la pluie, des arbres secs, la terre ou des vagues de son enfance qui se télescopent avec le monde de la Nuit à la fois doux et violent et forment une forêt d’impressions de ce roman très « mental ». Elle rompt alors la solitude et l’incompréhension pour « trouver sa place dans le monde, dans sa vitesse et dans son silence ».

Nina se cherche, Nina se heurte, tombe, se relève, apprend la cruauté des amantes : « Les garçons n’ont pas de cœur, les filles font semblant d’en avoir un. » Entrer dans ce monde nouveau, cette identité nouvelle ne se fait pas sans crainte même si paradoxalement elle répète régulièrement « Je n’ai pas peur », c’est curieusement l’inverse que le lecteur peut ressentir à travers le tumulte intérieur qui l’habite encore : « Je veux une arme pour me défendre, je veux le plus beau corps de la terre, je veux que le ciel de la nuit me protège, j’ai de la folie dans la tête, j’ai de l’or entre les mains, je suis une femme, je suis un homme, je suis tout, je ne suis rien (…) je n’ai rien d’une fille normale, je perds ma voix, je gagne un cœur, je bois une bière glacée, je danse seule devant le miroir de ma chambre, je n’ai rien de silencieux en moi. »

Et dévoile à demi-mots sa vision de l’homosexualité où « les filles ne grandissent pas : l’homosexualité est une jeunesse » ou encore plus douloureuse : « Les mots devraient porter l’homosexualité et non la réparer ».

Elle se réfugie alors dans l’amitié ambivalente avec Julien, gay également (non sans rappeler sa grande amitié avec Amine relatée dans « Garçon manquée »). Un étrange rapport de possession s’installe entre eux qu’elle compare à un « mariage blanc ». C’est aussi la présence virtuelle de Marion, son premier amour platonique qui ne cesse de la hanter : « On ne se remet pas de son premier amour comme on ne doit pas se remettre de son premier livre. » L’amour et le livre, le corps et l’écriture, tels sont les deux pôles de la vie de la narratrice qui tisse entre les deux un parallèle : « L’écriture et les filles viennent du même brasier. »

Porté par son écriture minimaliste, rapide, parfois brute ou même sismique, c’est le roman d’une révélation à elle-même et en même temps d’une déchirure douce et violente, « l’histoire d’un arrachement ». Celle du devenir celle que l’on est, naître à soi-même en somme et l’assumer. Ce récit qui suit le fil de ses pensées par association d’idées libres préfigure son roman « Mes mauvaises pensées » bâti sur le même principe. Organisé comme des variations tantôt fougueuses, mélancoliques ou nostalgiques , ce livre miroir semble réciter une incantation pour apaiser son esprit mais le pessimisme l’emporte et c’est sur la défaite et le désespoir amoureux qu’elle portera le point final…

Paroles de Nina Bouraoui au sujet de « Poupée Bella » :
« Je suis fascinée par le monde des garçons, par leur grande liberté sexuelle, par cette circulation des corps. Les filles sont plus sentimentales… Mon meilleur ami était gay et je crois que nous avons formé un couple sans le savoir. Il y a une vraie relation miroir entre les filles et les garçons gays. Il y a de la jalousie et de la possession. Ensemble, nous allions au Boy et j’avais l’impression d’être sa reine, au Kat, il était toujours mon petit roi qui me serrait dans ses bras… Ce sont les filles qui m’ont brisé le cœur ! »

A propos du «Milieu des Filles» :
« Ce que j’aime dans ces nuits-là, c’est la place qu’occupent les femmes: elles retrouvent le pouvoir! Ce sont les seuls endroits où une femme peut sortir seule, se mettre au bar, prendre sa petite coupe de champagne, séduire ou danser. Souvent, j’ai eu l’impression de voler cette liberté aux hommes. Le milieu des filles est une bonne école. Sortir seule donne du pouvoir en fin de compte. Les femmes de ce milieu sont, sans le savoir, dans une mécanique féministe. Ce sont des affranchies. »

1 Commentaire

    • Miézan sur 27 décembre 2017 à 14 h 04 min
    • Répondre

    poupée bella est un véritable journal intime. Elle y noie ces troubles,ces obsessions…

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