Hors série Le Point : « les textes fondamentaux de l’érotisme » et « Le désir » vu par le magazine littéraire

Pour son numéro estival, le magazine Le Point a eu la bonne idée de proposer un voyage littéraire érotique, dans le temps, à ses lecteurs. De Platon, Lucrèce, Ovide jusqu’à Sade, Georges Bataille, Henry Miller en passant par Apollinaire, Verlaine ou encore Alfred de Musset…

Ne se cantonnant pas aux quelques ouvrages coquins traditionnellement cités (Satiricon, Emmanuelle ou Histoire d’O…), il dit vouloir explorer toute la richesse et les formes multiples que revêt l’érotisme dans la littérature.
Et tout d’abord il donne sa définition de l’érotisme : « l’art d’aimer, de jouir et surtout de désirer ». A chaque époque, à chaque courant littéraire, cet art a donc été réinventé : « mystique au Moyen-Age, blasphématoire sous Louis XIII, libertaire sous Louis XVI, pornographique au XXIe siècle ».

Dans son introduction, le magazine analyse les rapports entre érotisme, moralité, obscénité et pornographie. Et de repréciser que là où « l’érotisme est une représentation en mots ou en images de la rencontre sexuelle et des peurs, désirs, frustrations qu’elle implique, la pornographie ne fait que montrer l’acte sexuel en tant que tel. »

Le dossier suit ensuite un ordre chronologique avec de nombreux extraits d’oeuvres licencieuses, d’amour courtois ou libertines… Un panorama riche qui représente une quarantaine d’oeuvres.

Arrêtons-nous au XXe siècle, où l’on trouve notamment Guillaume Apollinaire et ses « Poèmes à Lou » et surtout « Les Onze mille verges« . Un roman débridé qui traite de l’homosexualité, du vampirisme, de sadomasochisme, de nécrophilie, de pédophilie, de zoophilie et autres pénétrations des plus audacieuses…, Louis Aragon (Le con d’Irène…) et surtout Georges Bataille.

Georges Bataille ou « l’outrance du désir », sous-titre le magazine.
Il présente en particulier sa célèbre Histoire de l’oeil (1928). Un texte trouble aux accents SM qui cherche à atteindre « l’impensée occidentale ». D’où lui vient son étrange nom ? Plusieurs pistes sont avancées : son père aveugle qui devait uriner sur son fauteuil, le souvenir d’une corrida où le matador perdit un oeil, vision à la fois insoutenable et fascinante… C’est aussi un procédé d’écriture par association libre inspiré du surréalisme qui dominait alors la scène artistique française. Dans chaque épisode de l’Histoire de l’oeil, le lecteur est contraint à ouvrir les yeux sur le corps et ses chairs dans leur matérialité brute, dans une ascension vertigineuse vers l’horreur et l’extase. » Deux extraits suivent cette anlayse, l’un d’Histoire de l’oeil et l’autre de son essai « L’érotisme ».

Suit Henry Miller (« L’éros halluciné ») bien sûr et son Sexus (1949). Dans un contexte d’Amérique apocalyptique, « de panique de fourmis laborieuses » (les années 30), le scandaleux écrivain à la lubricité exubérante souvent très crue est aussi un « poète flamboyant aux accents surréalistes, digne des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont« , estime le critique Brice Matthieussent. Deux extraits (Tropique de Capricorne et Sexus) sont également proposés. Aurait pu aussi être cité dans la même mouvance, « Animal tropical » (ainsi que « La trilogie sale de la Havane ») de Pedro Juan Gutiérrez, texte « érotico-violent-puant-cubano moderne » fondamental !
A noter également un intéressant article sur Nabokov, replacé dans le contexte actuel.

Les dernières pages sont consacrées à une enquête sur l’hyper-sexualisation de la société à travers notamment les médias et pose la question de l’avenir de l’érotisme à l’heure du « sexe intégral ». On retrouve le discours dénonciateur habituel sur les dérives d’Internet et du « cyberporn ». Le volet littérature est encore plus décevant : la journaliste Marine de Tilly se contente de citer une fois de plus Catherine Millet ou même Lolita Pille qu’elle classe étrangement dans la catégorie « littérature porno soft »… Selon elle, « Etre porno aujourd’hui c’est être dans le vent. », et rejoint ainsi les idées de l’essai « A leur corps défendant ». Une tendance pourtant quelque peu dépassée aujourd’hui. Rien de neuf donc du côté de la littérature nouvelle génération dans cet article réchauffé.

Autre regret sur ce hors série, qui ne pouvait bien sûr pas être exhaustif : l’érotisme reste étroitement associé aux scènes charnelles voires crues, alors qu’une atmosphère, un paysage, un dialogue, une situation peuvent aussi être hautement érotiques, à la façon d’un « In the mood for love » où il ne se passe jamais rien mais où la tension érotique est intense. D’ailleurs le chapitre « Asie » (qui suit celui sur l’Islam) est à ce titre décevant en se focalisant sur des ouvrages de tantra ou le Kama sutra qui relèvent plus du manuel technique que de littérature. Kawabata (Les belles endormies…) qui est un maître de sensualité, toute en évocations subtiles, est à peine cité…

Il n’y a donc pas de réelle surprise mais tel n’était pas son but puisqu’il visait « les textes fondamentaux ». Et sur ce point, il tient sa promesse en proposant une petite anthologie utile pour le novice.

Les différents textes et auteurs sont présentés par des écrivains contemporains comme Amette, Bourgeron ou Goujon qui les commente. Ils apportent des éclairages à la fois précis et synthétiques.

Pour parfaire votre culture littéraire érotique, vous pouvez également consulter :
Le numéro du magazine littéraire de juillet 2006, consacré au désir de Platon à Gilles Deleuze.
Ce dossier se compose de :
Entretien avec Slavoj Zizek « le désir, ou la trahison du bonheur ».
Le temps de la plage.
L’Antiquité, la maîtrise et la mesure.
Entretien avec François Jullien, la voie du désir.
La pensée chrétienne « l’âme fornique », la chair et le divin.
La Renaissance le mouvement et le manque.
L’âge classique, le spectacle des passions.
Le siècle des Lumières, la promesse et le plaisir.
Le XXè siècle, le maître, l’esclave et Zarathoustra.
Les années 1930, Kojève , une théorie du plaisir.
Mai 68, la libération du désir. désir de consommer pour se consommer ?
Epilogue : du désir au plaisir.

Très bon été !

4 Commentaires

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    • lucky sur 12 juillet 2006 à 10 h 50 min
    • Répondre

    c’est ce qu’on appelle de "la masturbation intellectuelle" 🙂

    • Heautontimoroumenos sur 2 août 2006 à 8 h 03 min
    • Répondre

    Oh comme c’est mimi !
    Une petite cochonne qui se débine devant le rugueux qui la dragouille à la hussarde !

    Une bouffée de romantisme
    Un effarouchement saugrenu
    Une pudibonderie hors d’âge
    Un bégueulisme croquignolet

    Une fleur bleue a poussé sur le trottoir parisien !

    Non, sérieusement, battre en retraite ? une fille qui a lu Histoire de l’oeil ?
    Tu l’aurais fini au pipi ça lui aurait fait des souvenirs.

    • marquis de sade sur 8 mars 2007 à 12 h 59 min
    • Répondre

    ce n’est pas vivre de sont temps mon cher Heautontimoroumenos que de renier ces lecture au meme titre que de les critiquer ne serait ce que par luciditer de la vision du monde d’aujourd’hui ,
    il est tout a fait possible de ne pas les aimer et a juste titre pour quelq’un comme toi apparament !
    Mais je ne t’accorderais que la frustration , emboiter d’une curieuse emanation de l’intelligence negative dont tu nous fait part
    sur cela mon ami soigne tes blessures ,
    et la fleur bleu que tu dit avoir pousser sur les trottoir parisien n’est autre que la realite des choses inconcevable pour ton esprit etroit

    • marrquis de sade sur 8 mars 2007 à 13 h 05 min
    • Répondre

    La vie érotique d’un auteur m’intéresse peu. C’est la relation triolique mêlant dans une même danse l’écrivain, sa plume et la chair, qui créé la réfraction de lumière, noire ou or, dont le chatoiement m’hypnotise. A cette aune, la magie de l’écriture érotique ne diffère pas de celle d’autres genres, elle perce l’aine et l’esprit d’un même jet. Qu’importe dès lors la matière, autobiographique ou imaginaire, ce n’est pas la viande mais la pensée qui fait le texte littéraire et érotique.

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