« Indecision » de Benjamin Kunkel : Parcours initiatique d’un adulescent new-yorkais en quête de certitudes

Auréolé des recommandations dithirambiques de Joyce Carol Oates (« un roman drôle, profond, avec un sens aigu de l’absurde…) », de Jay Mc Inerney (« le plus drôle et le plus intelligent des romans sur la crise post-adolescence pré-adulte ») et d’une flopée de grands journaux new-yorkais (The New York Observer, Vogue, The New-York Times : « Ce roman post-moderne, post-tout impertinent et drôle semble développer sans ironie aucune une conscience sociale…), le phénomène Kunkel, auteur d’un premier roman « Indecision » ne peut qu’intriguer (et alimenter de grandes espérances…). Mais les mésaventures de ce trentenaire new-yorkais et globe trotter, en proie à une indécision maladive tiennent-elles vraiment leurs promesses ?

« Paralysé par ses peut-être », sa peur de l’engagement tant professionnel (il jouit d’une « végétale tranquillité » en tant que téléopérateur en maintenance informatique dans un grand labo pharmaceutique, « détendu dans sa servitude, surqualifié mais appréciant la clim’ « , tout en lisant le philosophe Knittel) que sentimental (il entretient une relation avec une jeune femme ayant pour base « le fait qu’ils n’en veulent pas (de relation) » ! ) ou encore à décider de son avenir (il tient à cet effet une liste recensant ses projets en suspens, comme déménager ou non dans le Vermont pour travailler en pleine forêt…), Dwight un jeune new-yorkais d’à peine 30 ans, incarne la nouvelle génération de trentenaires urbains adulescent, « suréduqués mais toujours désoeuvrés » selon les termes du critique américain de Rolling Stone. « Peut-être mon métabolisme temporisateur ne me permettait-il pas de digérer correctement la vie moderne ou post-moderne…« , analyse t’il avec amertume, tandis que sa pseudo copine lui reproche gentiment d’être « un cliché ambulant. Et même pas un cliché récent » (il écoute Nirvana et Pavement et porte des chemises de flanelle).

Pour soigner ses doutes (c’est une vraie maladie apprend-on dans ce roman qui a même un nom savant : l’aboulie !), il accepte d’ingérer des pilules miracle censées lui donner une nouvelle assurance. Au même moment, il est brutalement licencié de son travail, accusé d’indiscrétions. Il décide alors de plaquer New-York et de s’envoler en Equateur rejoindre une ancienne amie de lycée, Natascha, sur laquelle il projette de vagues fantasmes.
A peine débarqué, cette dernière lui fait faux bond et le laisse en compagnie de sa colocataire, la versatile Brigid, une jeune anthropologue belge, dont le héros ne tardera pas à tomber amoureux.
Débute alors une improbable odyssée à travers l’Amérique latine, faite de rebondissements à visée cocasse entre expédition dans la jungle, nuitées dans des huttes ou des moustiquaires, considérations géopolotiques (saupoudrées de 11 septembre) et dialogues existentiels sur ses relations « romantico-sexuelles »… Au cours de ce périple initiatique, Dwight tente de prendre un nouveau départ, « d’éveiller ses motivations« . « Tes désirs doivent investir un monde que, faute de penser vivre assez vieux, tu n’imagines pas trouver« , lui conseille sa soeur dont il est très proche et à laquelle il pense souvent (allant même jusqu’à avouer une étrange attirance incestueuse à son égard !).

Mais pour finir il conclut « J’avais fait tout ce chemin dans l’intention de changer ma vie pour me rendre compte finalement qu’elle était très bien comme elle était. »

Entre Trainspotting (et son « Choose a life. Choose a job. Choose a career… ») Génération X et les Poupées russes de Klapisch, ce roman aborde des thèmes désormais traditionnels de la littérature dite de trentenaire, réhaussés d’incursions politiques. Pour autant, à la différence d’un Douglas Coupland en son temps, le héros de Kunkel n’est guère attachant et vaguement ennuyeux (voire tête à claque) même si son penchant pour l’absurde est volontaire.
La grande tendance de déménager son histoire dans des contrées plus exotiques (façon « road book » pour bobo tel « Gringoland » ou récemment « Une fille dans la ville« ) pour certainement lui donner plus de relief ne parvient pas non plus à faire décoller ce récit qui sonne malheureusement souvent faux (le départ inopiné de New-York ajouté à la fuite sans explication de Natasha pour finalement se rabattre sur sa copine paraissent avoir été assemblés au hasard, sans réelle cohérence ni liant progressif).
Le côté rocambolesque semble être insufflé artificiellement avec un empilement de scènes ou de dialogues censés être percutants. On s’enlise vite avec ce héros décidément pas très vif voire pataud.
Certains trouveront sans doute, cependant ses interrogations et petites théories sur tout (« C’est tragique, New-York est une ville très injuste : il y a un tel excédent de jolies filles que certaines finissent souvent avec des types comme moi !« ), drôles voire caustiques et force est de reconnaître un certain humour et sens de la formule à Benjamin Kunkel. Mais est-ce suffisant pour le classer au rayon des romans culte ?

A voir : la vidéo de l’interview de Benjamin Kunkel au Festival America dans la rubrique Buzz +. Merci de votre soutien !

Lire un extrait d’Indecision

A lire aussi : Rentrée littéraire, la jeune garde américaine au rendez-vous : Du jeune talent Kunkel acclamé par Jay Mc Inerney à Safran Foer jusqu’à Palahniuk plus féroce que jamais !
et aussi : la chronique du livre « Photographie d’un Hamburger » de Lucien Cerise dans la même veine, également cru de la rentrée littéraire 2006.

Deux ou trois chose que l’on sait sur Benjamin Kunkel :
Cet américain, né en 1973 a grandi dans le Colorado. Il a collaboré à plusieurs magazines tels que « Dissent », « The Nation », « The New York Review of Books » ou encore « The New-York Times » dont il est un contributeur régulier. Il est également l’éditeur d’un magazine d’avant-garde sociale et littéraire « n+1 ». Sa proximité à la presse littéraire expliquerait peut-être l’engouement qui a suivi la publication de son livre ?

visuel d’illustration extrait des Poupées russes de Cédric Klapisch (avec Romain Duris)

3 Commentaires

    • Dolineum sur 11 septembre 2006 à 10 h 50 min
    • Répondre

    Je n’ai entendu que des bonnes appréciations pour l’instant sur ce livre (en france). Même dans les échos où la journaliste est très enthousiaste, je cite : Benjamin Kunkel ouvre brillamment une nouvelle ère du roman contestataire américain. Il ne s’agit plus seulement de déconstruire la société américaine, mais de la reconstruire en l’état. Après s’être donné le temps de juger, d’apprécier le monde tel qu’il est, après avoir pesé le pour et le contre, vient le temps de l’action, du changement. Un changement compatible avec les valeurs sûres de l’homme : l’amour, la liberté mais aussi les petits plaisirs de la vie.

    Le jeune écrivain, sous un mode caustique, faussement léger, réussit le plaidoyer parfait pour l’engagement politique. Il interpelle une jeunesse encline à l’apathie avec humour et une feinte empathie, pour mieux la secouer en fin d’ouvrage.

    Moins pontifiant que les grands écrivains contestataires à la mode (Brett Easton Ellis, Don de Lillo), Benjamin Kunkel a signé l’air de rien le roman du grand réveil américain.

    Diificile de se faire une opinion (est ce du copinage ?)

  1. Merci de cette critique intéressante.
    On a peut être pas lu le même livre ?

  2. Pas lu, mais :
    LE PRIX DU PREMIER ROMAN -étranger- a été attribué ce mardi 24 octobre,
    à
    INDECISION de Benjamin Kunkel
    traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre
    à l’unanimité du jury :
    Nathalie Crom, Françoise Ducout, Michelle Gazier, Annick Geille, Françoise Xénakis,
    Jean Chalon, Gérard Guillot, Jean-Claude Lamy, Joel Schmidt, Jean-Pierre Tison,

    Le Prix du Premier Roman français a été attribué à
    CORPUS CHRISTINE
    de Max Monnehay
    (Editions Albin Michel)

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