« Bonjour paresse » de Corinne Maier : Travailler moins pour vivre plus

Le titre « Bonjour paresse » de Corinne Maier (en écho bien sur au Bonjour tristesse de Sagan) est très malin. Cette économiste, ex cadre d’EDF (elle s’est fait virer depuis) reconvertie dans la psychanalyse, aurait dû travailler dans une agence de pub car elle se débrouille plutôt bien en slogan vendeur et en formules percutantes. En effet, son petit essai à visée pamphlétaire paru en 2004 et qui a défrayé la chronique pourrait être assimilé à de la publicité mensongère… Alors que le cadre moyen stressé et désenchanté s’attend à y trouver une cohorte de conseils pour se la couler douce au travail, il ne trouvera en réalité qu’une liste de raisons pour se « désengager » mais pas grand chose pour y arriver hormis dans le dernier chapitre seulement deux, trois idées (émanant surtout d’autres sources telle que la bande dessinée « Le principe de Dilbert »…). Si l’on peut reprocher au petit livre provocateur de tromper un peu « le chaland », il n’en reste pas moins intéressant pour l’état des lieux, souvent juste, qu’il dresse de l’univers hypocrite des cols blancs modernes.

« Si vous n’avez rien à gagner en travaillant, vous n’avez pas grand-chose à perdre en ne fichant rien.« 

Sans rien apprendre de réellement nouveau, il dédramatise et relativise beaucoup les désillusions sur le monde de l’entreprise, et ne manque pas de faire sourire à plusieurs reprises. A l’heure du « Travailler plus, pour gagner plus » martelé en boucle par nos politiques, une lecture agréable et toujours d’actualité, qui appuie là où ça fait mal et qui remonte -paradoxalement- le moral de tous ceux qui ne savent pas ce qu’ils font derrière leurs présentations powerpoint…

Génération « oui mais non »… Opiniâtre, elle prédisait déjà dans ses pages : « Dieu sait pourquoi l’opinion et les médias s’intéressent toujours en priorité à ceux qui crachent dans la soupe. Fort de cette logique, Bonjour paresse, qui crache dans la soupe de l’entreprise, m’apportera-t-il le succès ? Allez savoir… » « Bonjour paresse » se vendra à plus de 220.000 exemplaires en l’espace de sept mois lors de sa sortie et traduit en 25 langues…

Dans son livre, elle démantèle méthodiquement tous les rouages de la grande entreprise et en souligne, avec une certaine jubilation ironique, toutes les hypocrisies et les non sens. Impossible de ne pas reconnaître ces situations qu’elle décrit et que l’on a tous vécu à un moment ou à un autre : son organisation absurde qui empêche toute créativité et innovation, ses codes et rituels rigides, sa valorisation du collectif moutonnier, des qualités relationnelles au détriment des compétences réellement professionnelles, la non efficacité de ses procédures…

Adaptation BD de Bonjour Paresse en 2015 par Aurélia Aurita (roman graphique rebaptisé "Ma vie est un best-seller" chez Casterman)

Adaptation BD de Bonjour Paresse en 2015 par Aurélia Aurita (roman graphique rebaptisé « Ma vie est un best-seller » chez Casterman)

Des critiques souvent bien vues même si certains de ses raccourcis paraissent exagérés (comme son analyse d’Internet totalement réductrice et non avenue), elle ne propose cependant aucune solution à ces critiques corrosives et se contente d’appeler à un désinvestissement épargnant des efforts inutiles.

Adaptation BD de « Bonjour Paresse » en 2016 sous le titre « Ma vie est un best-seller »:

Extraits choisis :
« La firme ressemble bien souvent à une armée mexicaine, une organisation inefficace où tout le monde veut être chef, « pilote de projets », « team manager », mais où personne ne veut exécuter les ordres. »

« C’est un fait le travail est réparti de manière tellement inégalitaire que, pour une poignée d’individus qui suent sous le burnous, la majorité se la coule douce. Les cadres diplômés de bonnes ou moyennes écoles, qui ont réussi à se mettre à l’abri dans les plis et les replis d’une grosse boîte, mentent quand ils se prétendent surchargés. »

« Si l’individu se trouve parfois porteur d’idées nouvelles, il ne faut à aucun prix que celles-ci dérangent le groupe. »

« De toute façon, vous êtes entourés d’incompétents et de pleutres qui ne s’apercevront guère de votre manque d’ardeur. »

« Et cela ne pas savoir se plier, c’est moche; c’est moche ; moche de sortir du travail dés sa tâche de la journée accomplie ; moche de moche de ne pas participer au pot de fin d’année, à la galette des rois, de ne pas donner pour l’enveloppe du départ en retraite de Madame Michu ; moche de rentrer à l’hôtel en trombe dés la réunion terminée avec les partenaires de Taïwan ; moche de repousser le café proposé pendant la pause-café, d’apporter sa gamelle alors que tout le monde déjeune à la cantine. (…) La convivialité est exigée, sous forme de pots, de blagues convenues, de tutoiements et de bises hypocrites (toutes choses à simuler sous peine d’exclusion). (…) Le néomanagement, au fond c’est l’érection obligatoire. »

« Seul l’élève qui a eu la capacité de supporter un nombre donné d’années d’études, la stupidité de ses maîtres, l’instinct grégaire et l’esprit d’imitation de ses camarades, sera capable de supporter une trentaine d’années de vie d’entreprise, de langue de bois et de tâches répétitives ! »

« En entreprises, même quand on a rien à espérer, on a quand même quelque chose à craindre. »

« La régle d’or du recrutement des cadres tient en une phrase : aujourd’hui on recrute les gens sur ce qu’ils sont, et non sur ce qu’ils savent faire. « Compétences relationnelles » et « aptitudes en communication » sont décisives, le savoir-faire et les diplômes sont accessoires. Bientôt on apprendra exclusivement à séduire le recruteur. Travailleur sans qualités, bienvenue à toi. »

« Le but est de faire savoir que vous savez faire savoir, et il sera toujours temps de voir si vous savez faire ! »

« Au vu de l’immense quantité de paperasse qu’elle produit, on pourrait croire que l’entreprise a besoin de personnes sachant rédiger une phrase comportant un sujet, un verbe et un complément. Curieusement ce n’est pas le cas, et elle n’aime pas ceux qu’elle appelle avec mépris « les littéraires ». Ceux-ci ne « savent rien faire » et « sont des rêveurs ». Par contre l’ingénieur, lui, sait faire des choses, il a étudié les mathématiques, et les maths, tout le monde le sait, c’est la science de la rationalité. » « A l’instar de beaucoup de spectateurs, j’applaudis des deux mains quand les paresseux gagnent plus d’argent que les laborieux, quand le méchant l’emporte, quand le fils maudit épouse la belle Peggy du saloon… Mais réveille-toi Corinne, me dit la voix de la raison, on n’est pas dans un western, on est dans la vraie vie – c’est peut-être ça, le problème de l’économie, justement, elle ne rêve pas assez ! »

« Sois docile et souple. Le consensus est primordial ; mieux vaut avoir tort en groupe que d’avoir raison tout seul. Ce qui compte, c’est d’avancer tous ensemble, peu importent la direction et les moyens employés. Quiconque osera émettre une opinion discordante se trouvera en état d’accusé au nom de l’intérêt général. »

« N’acceptez jamais, sous aucun prétexte, de poste à responsabilité. Vous seriez obligé de travailler davantage, sans contreparties autres que quelques KF de plus (autant dire « peanuts ») et encore. »

« Les métiers ont disparu, et beaucoup de cadres ne savent pas pour quoi exactement ils sont payés. Des domaines entiers d’activités ainsi que de multiples postes (de conseillers, d’experts, de managers) ne servent à rien – à rien du tout sinon à « gérer » de la paperasse, frimer au paperboard ou faire le « kakou » en réunion. Les tâches complétement superfétatoires sont légion : mettre au point une politique sur la rédaction des logiciels ; participer à un groupe de travail sur le développement d’un système de suggestions pour améliorer les produits ; assister à un séminaire… Sans oublier concevoir de nouveaux formulaires, de nouvelles procédures, rédiger un dossier de plus de deux pages – personne ne le lira – ou, encore plus simple, « piloter » des projets : la plupart échouent ou finissent par ne plus rien à faire avec l’idée de départ. De surcroît des intitulés parfaitement opaques brouillent les cartes : qu’est ce qu »un « responsable de veille », un « délégué public », ou un « chargé de mission normalisation » pour le grand public ? »

Extrait interview « Le journal du Management » :
« Je n’ai pas d’ambition en terme d’argent. Je veux juste disposer de ce qu’il faut pour vivre. De plus, je n’ai jamais souhaité le pouvoir, ni cherché les responsabilités. Cela ne m’intéresse pas d’encadrer. En revanche, je cherche à avoir de l’influence, à faire réfléchir et à faire rire. »

Corinne Maier tient aussi son blog, assez caustique sur le site du Nouvel Obs

5 Commentaires

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  1. Depuis, elle a écrit un pamphlet contre les "intellos". A oublier.

  2. ah bon ? quel est le titre ?
    j’avais entendu surtout parler de son bouquin contre les mômes, enfin sur le fait de faire des enfants "No kids", tout un programme encore ! 😉

  3. "Intello academy", je crois

  4. Franchement, j’aime bien sa démarche.
    On peut critiquer certains de ses textes mais "Bonjour paresse" demeure un pavé dans la mare.
    Une copine, travaillant dans une grande entreprise nationale, m’a confirmé la justesse des propos de Maier.

    Le monde de l’entreprise est vraiment ubuesque, hyper-conformiste et inquiètant.

    En ces temps troubles, où le CAC 40 risque de s’effondrer et où une finance très fragile mène le monde (et aussi nos vies), c’est bon de songer à la… décroissance, non ?!

    Cdt!;-)

  5. Merci de cette info, je n’avais pas du tout entendu parler d’Intello Academy. Le sujet ne me tente pas trop du reste.

    Oui Hoplite entièrement d’accord avec toi : Vive la décroissance ! (enfin plutôt la juste croissance… 😉

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