Rock et littérature (Litrock) : Vrai genre littéraire ou (im)posture ? (1/2)

Après avoir protesté contre le mariage de la littérature et de la politique, il est temps de s’attaquer à l’union du rock et de la littérature ayant enfanté d’un nouveau genre baptisé « litrock ». A son apogée (90’s), on s’amusait des réflexions de Rob Fleming (« Haute fidélité », Nick Hornby) sémillant disquaire trentenaire de Londres, fan adulescent de pop-rock s’étripant avec ses deux acolytes sur des questions aussi cruciales que les « cinq meilleures faces A de tous les temps » (le charme vintage de la cassette en prime), hésitant entre The Clash et Marvin Gaye, ou rêvant que sa vie ressemble à une chanson de Bruce Springsteen… On trouvait original et rythmé ces romans de Bret Easton Ellis, Poppy Z. Brite, Murakami (Haruki et Ryu), Virginie Despentes, Philipe Djian, Vincent Ravalec, Ann Scott… qui mêlaient habilement les « lyrics » à l’histoire de leur roman. Problème : Quand cette alliance musico-littéraire vire à la récupération et au procédé artificiel comme l’ont illustré les publications récentes, en particulier en cette rentrée littéraire, on commence à y devenir allergique… (illustration : sortie poche de « Viens là que je te tue ma belle » de Boris Bergmann)

Esprit « rock » y es-tu ?
En préambule, tentons de définir ce que l’on entend exactement par esprit « rock », expression passablement galvaudée et vidée de sa substance à force d’être utilisée à tout va.
A l’origine donc était le rock, cette musique dérivée du blues, popularisée par Elvis et Chuck Berry, dans l’Amérique des années 50, incarnant une certaine « fureur de vivre » d’une jeunesse désireuse de s’affranchir des conventions trop rigides d’une société puritaine.
Sans retracer toute son histoire à travers les décennies et ses groupes emblématiques, les codes du rock ont toujours convoqué tant dans leurs paroles que leur son, les thèmes de la rébellion, de la « non-appartenance », la désaffiliation, le désaveu, la violence/rage, la provocation, la révolte jusqu’à la décadence et l’anarchie résumées par la trilogie « Sex, Drugs & Rock’n’roll » (à noter que rock ‘n’ roll signifie « baiser » en vieil américain). Les (anti-) héros rock, en général jeunes ou ados, sont des figues en rupture avec la société, leur famille, les adultes en général, les convenances, les normes quelles qu’elles soient… Des êtres paumés, losers à la dérive qui tentent d’oublier le monde pourri sans avenir dans lequel ils vivent. La génération « no future ». Même si on a tendance à l’associer (amalgame) trop souvent au « trash », elle se caractérise aussi et peut-être avant tout par sa sensibilité à vif et sa poésie noire. Il n’en fallait pas moins pour inspirer une nouvelle génération d’auteurs, élevés au son des riffs et séduits par le parfum subversif de cet univers.

Comment le rock vient aux romans (et vice versa) ?
Rock et littérature ont toujours entretenu des liens se traduisant par une influence réciproque sous diverses formes. Exemple couramment cité : Le groupe « The Doors » dont le nom a été inspiré par le roman « The Doors of Perception » d’Aldous Huxley (auteur de « Le Meilleur des mondes »), qui évoque ses expériences des paradis artificiels.
On pourrait distinguer 3 catégories de romans « rock » : tout d’abord ceux qui sont rock par leur atmosphère, leurs thèmes ou leur style. Ce dernier recouvre les écritures dites « électriques » voire sèches jouant de l’oralité et de l’urgence, avec une liberté de ton, de forme et de fond. Ainsi est souvent considérée comme « rock » toute la mouvance du nouveau journalisme américain, dans les années 60, avec pour chefs de file Tom Wolfe, Hunter Thompson et Michael Herr (correspondant d’Esquire, auteur de « Dispatches » soit « Putain de mort » en VF).
Le premier a notamment écrit « Acid test » (un de ses premiers succès), la trajectoire déjantée et psychédélique d’un bus scolaire avec aux commandes un groupe de marginaux les Merry Pranksters qui, sous acide, rejoignent San Francisco et les Grateful Dead, conduit par Neal Cassidy (héros de Sur la route de Kerouac). Entre organisation de concerts pirate et consommation de LSD… Hunter Thompson s’illustre, lui, avec « Las Vegas parano » qualifié de « roman-reportage rock électrique » (1971 aux USA, 1977 en France).
Les romans rugueux et déviants de la Beat generation y sont aussi souvent rattachés tel que William S.Burroughs qui a, entre autres, donné pour titre à l’un de ses livres de la trilogie du cut-up, le nom d’un groupe de rock expérimental, Soft machine, Jean Genet (le Jean genie de Bowie) ou encore Bukowski (qui pourtant déclarait adorer Wagner, Brahms, Beethoven et surtout Mahler).
Parmi ses autres représentants, certains critiques y intégrent Thomas Pynchon pour son écriture musicale et urgente, outre le fait qu’il fait référence à des groupes cultes ou confidentiels (Little Charlie and the Nightcats à Purple Haze de Jimmy Hendrix…), Denis Johnson (son recueil « Jesus son » qui tire son titre de la chanson Heroin de Lou Reed), Denis Cooper (Guide…), Irvine Welsh (Trainspotting) ou encore l’anglo pakistanais Hanif Kureishi (son dernier roman, Quelque chose à te dire, paru en cette rentrée littéraire a pour fond sonore Bob Dylan et Miles Davis). Côté français, Djian (« 37.2 le matin »), Ravalec (« Un pur moment de rock’n roll »), Houellebecq ou Dantec y sont couramment assimilés pour leur univers de marginaux, drogués en manque, anti-héros en rupture abonnés aux ratages, plans galères et autre misère sexuelle, usant d’un langage réaliste et cru, tragicomique.

La deuxième catégorie pourrait être constituée des romans qui mettent directement en scène le milieu rock (les gloires et déchéances des rockstars, l’industrie musicale de façon générale) qui n’ont pas vraiment donné de chef d’œuvre pour l’instant. On peut citer par exemple « Great Jones Street » de Don De Lillo, « Dwarves of Death » de Jonathan Coe (portrait de musiciens ratés dans le Londres des années 1980), « The Sopranos » d’Alan Warner ou encore Pop de Louis-Marie Jourdain (l’histoire d’une pop-star virtuelle).
Récemment, les bio romancées (fausse bonne idée ?) fleurissent et tentent de renouveler le genre (et de capter un lectorat fait de fans des artistes concernés). Exemples : la collection Naive Session ou encore la tentative ratée « Boys in the band » de David Brun-Lambert (inspirée des Libertines).
Alexandre Civico, responsable de cette première explique que «son but est de faire du rock et de ses figures un matériau littéraire. ». Le « Dans les rapides » de Maylis de Kerangal (les destins de trois lycéennes du Havre qui font l’apprentissage de leur féminité en rêvant d’Amérique à travers Blondie et Kate Bush). S’y rajoutent les œuvres des critiques rock tels que Patrick Eudeline (« Dansons sous les bombes » et « Gonzo » son recueil de chroniques), Alain Pacadis (« Un jeune homme chic »), ou l’américain Lester Bangs.
Dans son autofiction « Je, la Mort et le Rock’n’Roll », Chuck Klosterman, (critique à Spin magazine) livre un road trip déjanté, sur les routes sanglantes du rock’n’rol, se voulant dans la veine de Las Vegas parano. A noter qu’il a publié en 2007 «Sexe, Drogue et Pop-corn».
Les textes et romans de Jean-Jacques Schuhl (Rose poussière, Ingrid Caven) y sont aussi souvent reliés. Enfin citons Micka Assayas, auteur du mythique Dictionnaire du rock, qui s’est essayé au roman avec « Exhibition », le bilan d’un quadra dépressif et frustré au son de Bob Mould, the Clash, New Order, Brian Wilson… [Alexandra avec l’aide d’Arnaud Luteron]

2e partie à lire : La 3e catégorie « les romans mêlant explicitement paroles/titres de chansons à leur prose », les réussites et la dérive actuelle, vers l’avènement d’une nouvelle génération de romans « musicaux »

4 Commentaires

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    • le métalleux fou sur 21 octobre 2008 à 12 h 00 min
    • Répondre

    Bonne analyse même si l’on peut aussi ajouter les biographies, plus ou moins romancées. Notons celle qui vient d’être consacrée à Led Zeppelin (François Bon) mais également le furieux "Dirt", bio explosive du groupe Mötley Crüe publiée aux éditions du Camion blanc (éditeur rock s’il en est). On peut également citer la série Polar Rock de Mare Nostrum (avec notamment un "Feuck" signé JB Pouy). Le rock est un état d’esprit et le récent (et fort réjouissant) "Polichinelle" de Pierric Bailly pourrait également entrer dans cette catégorie même si le propos se veut avant tout "rap". En ce sens, les livres de Chuck Palahniuk sont, selon moi, de purs brûlots rock.

  1. Ah je vois que tu t’es souvenue de mon papier sur Pop! Faudra que je colle le lien ici à l’occase. Je note le Mailys de Kerangal qui me botte bien, enfin Blondie et Kate Bush me parlent du coup…

  2. Bravo pour ce dossier, j’attends la suite avec impatience !

  3. @Alexandra: voilà le lien vers Pop de L.M Jourdain:

    http://www.ohmydahlia.com/blog/?...

    Tiens et là j’avais parlé du Sexe, drogues et pop-corn de Chuck Klosterman:

    http://www.ohmydahlia.com/blog/?...

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