« Panda Sex » de Mian Mian, extraits choisis et interview vidéo

En cette rentrée littéraire de janvier 2009, l’enfant terrible des lettres chinoises et icône underground, Mian Mian (devenue entre temps bouddhiste comme sa consœur et rivale de l’époque Wei hui, étrange tendance !), auteur du scandaleux « Les bonbons chinois », publie la traduction de son deuxième roman très attendu, « Panda Sex ». Une forme très expérimentale qui déroute un peu… A cette occasion, l’auteur participait à une rencontre lecteurs le 23 janvier dernier au Virgin Megastore des Champs Elysées à Paris dont vous pourrez visionner les vidéos ci-dessous :

« Jie Jie : Ma soeur dit que je suis un panda, les pandas n’ont une activité sexuelle que deux fois par an.
Jie Jie : On peut leur passer tous les pornos qu’on veut, ils continuent de manger leurs bambous.
« 

Dans une veine arty et assez conceptuelle (elle recourt aux techniques de cut-up, de script ou détourne encore le style guide touristique), Mian Mian continue d’analyser, avec un œil très pessimiste, les chassés-croisés des couples, du jeu dangereux de la séduction, la relation entre l’amour, le désir et le sexe sur fond de Shangaï branché (et dépressif) et brosse ainsi le portrait d’une génération, la bohème underground, mise en scène sous l’œil permanent et distancié de l’objectif.
L’écrivain s’engage ici complètement dans la littérature expérimentale (déjà amorcée dans la deuxième partie de son premier roman) qui peut dérouter le lecteur voire l’ennuyer assez rapidement même si certaines de ses réflexions sont intéressantes.

Son idée de départ (l’amour vu comme un virus) était prometteuse mais son cheminement narratif et romanesque n’est pas à la hauteur de l’ambition, quand elle ne sombre pas dans le délire mystique un peu exalté sur la « sagesse intérieure » sans doute lié à son nouvel engagement bouddhiste ou encore le discours désabusé voire le règlement de compte péremptoire sur l’absence de talents à Shangaï (sans plus d’arguments).
On pourra aussi regretter que la métaphore avec le panda (animal à la libido anorexique qui ne fait l’amour que deux fois pas an) qui donne son titre au roman, ne trouve pas une résonance assez forte dans le texte et fait un peu tomber à plat sa démonstration (la perte de désir auprès d’une génération blasée, en manque de repères, qui a perdu ses illusions sur l’amour…).

Tout au long du roman, on se demande un peu où l’auteur veut en venir…
Le lecteur est vite semé dans ce labyrinthe de voix impersonnelles (« L’acteur », « Le sponsor », « ABC », « Le flic présentateur », « Fille n°1 »…) qui ne se distinguent pas vraiment les unes des autres puisque comme le reconnaît l’auteur, il s’agit toujours plus ou moins d’elle. Ses effets de style (telle que la répétition des noms des protagonistes sur des citations successives) apparaissent un peu maniérés et peuvent agacer.

Son éditeur nous dit qu’il s’agit là d’un style à la Bret Easton Ellis (auteur que Mian Mian n’a jamais lu) : oui son style minimaliste (où l’on pourra regretter la disparition de la poésie qui habitait son premier roman) et ses dialogues secs empreints de mal-être existentiel peuvent en effet rappeler le style de l’auteur de « Moins que zéro » ou de « Les lois de l’attraction », mais sans en avoir la force malheureusement…
Un roman qui reste malgré tout original et qui est en cours d’adaptation cinématographique par Anna Sanders Films, sous la direction de Mian Mian.

Quelques extraits choisis :
« Toutes les relations ressemblent à une comédie, et que tous ces prétendus amours sont irrationnels, malheureux et faux.
K. : L’amour, c’est la guerre froide. Les amants des espions : tout pour la galerie, impossible de s’y fier. »

« L’acteur : Les gens racontent qu’un nouveau virus aurait frappé Shanghai. Il paraît que si on l’attrape, on ne fait plus l’amour que deux fois par an. Jie Jie, en riant : Il paraît que ce virus du panda divise l’opinion publique. Certains craignent de ne plus avoir de vie sexuelle, les autres s’en moquent. »

« L’acteur : La fille de ce film essaie juste de créer un mode d’intimité sexuelle qui n’appartienne qu’à elle et à son partenaire. Pour elle, le sexe est soit de l’eau bouillante dans une carafe glacée, soit une jolie potion après une longue journée sombre. »

« Fille no 1 : L’amour, mieux vaut ne pas le définir. Il ne doit avoir ni règles, ni concept, ni symbole. Mais ne laissez jamais l’autre savoir à quel point vous le comprenez. Parce que rien n’est déterminé. Il n’y a que des étiquettes provisoires collées à des phénomènes sans existence réelle. L’amour ressemble à un enfant, adorable et cruel, qui sait tout mais préfère oublier. C’est parfois comme se réveiller sans raison au milieu de la nuit et observer de sa fenêtre le vol d’un oiseau autour des immeubles. »

« Fille no 1 : L’amour est la musique d’une voix qui se moque de ce qu’elle raconte. À partir de là, il est sans limites, de la pure fiction. »

« Homme no 1 : En Chine tu peux faire tout ce que tu veux mais pas te construire. Chaque personne a beau ne représenter qu’elle-même, impossible de devenir adulte. »

« Je trouve qu’on devrait vivre à l’envers, tu commencerais par mourir, puis tu passerais par tout ce que tu connais déjà, et ensuite tu retournerais dans le ventre de ta mère. Par exemple quand tu bois un café tu serais déjà endormi, et si tu tuais quelqu’un il ressusciterait, quand tu viendrais juste d’apprendre quelque chose tu l’aurais oublié, après avoir mangé tu aurais faim, après t’être enivré tu boirais et tu ferais l’amour après avoir eu un orgasme. Tu t’es aperçu que plus on vieillit et plus on a besoin d’argent ? Si on vivait comme ça, à l’envers tu en aurais de moins en moins besoin, tu n’aurais pas toutes ces dettes à rembourser et tu serais libre. »

« Il pense aussi : Avons-nous vraiment besoin d’amour ? Besoin à ce point de ce qu’on appelle sentiments entre un homme et une femme ? Lorsque nous sommes seuls et que nous écoutons des chansons sentimentales, nous repensons avec nostalgie à notre adolescence et avons l’impression d’en avoir terriblement besoin. La souffrance et la violence sont celles du manque de nicotine. Mais quand nous mangeons, quand nous dormons, quand nous travaillons, nous faut-il vraiment un coeur qui bat la chamade, cette sensation de veines qui se dilatent à la seule vue d’un autre être. Peut-être rêvons-nous de quelqu’un avec qui deviser pendant les repas, quelqu’un que la nuit nous pourrions enlacer. Et peut-être nous sentirions-nous plus motivés pour partir au travail si nous savions que, plus tard, nous ne serons pas seuls au cinéma. Alors le jour où nous tombons sur la personne qui satisfait ces trois exigences, nous la trouvons « très bien » et on se met ensemble. »

« K. : Sublimer l’amour, plus que le vivre, met en lumière son image. L’amour fait deux intimes de deux étrangers, puis deux étrangers de deux intimes. Exactement : c’est un jeu qui transforme les inconnus en amants et les amants en inconnus. La puissance émotionnelle que nous projetons est disproportionnée par rapport à l’objet de notre amour. Elle est trop forte, trop fondamentale, il est faible et elle le détruit. L’amour ne supporte pas les fardeaux. »

« Je me suis souvent demandé ce qui se passerait si tu n’étais plus que vingt et un grammes, est-ce que je te voudrais encore s’il n’existait plus rien de toi qu’on puisse voir ? Je pense que oui, qu’au moins j’aurais besoin d’entendre ta voix. Parce que, qu’est-ce que je l’aime, ta voix ! Pour te protéger je donnerais ma vie. Coucher ou ne pas coucher, quelle importance? En fait c’est mieux sans. Tu ne manques pas de sex-appeal mais pour moi, tu es surtout un miroir. »

« Le flic-présentateur : Le sexe est notre hôpital, le sexe est une création de l’amour, le sexe est un arrièreplan, le sexe est notre village. Entre sexe et cerveau la guerre durera toujours, avec son inévitable cortège de morts, de destructions. Merci à tous et à demain. »

« ABC : L’amour est comme l’art, il ne donne rien, à part quelques instants transitoires d’intense émotion esthétique. »

« Saining : Les virus peuvent être une stimulation.
Hong : Les virus sont la forme de la vie.
Saining : Les virus sont une existence à l’intérieur de la mort.
Hong : Les virus sont un point de vue.
Saining : Les virus nous enseignent les limites de l’amour.
Hong : Les virus sont un lieu.
Saining : Les virus s’en prennent à nos amis les plus proches.
Saining : Les virus, c’est l’art. Ce monde a été créé par les virus.
Hong : Les virus sont constamment en mutation.
Saining : Ils sont comme nous, ils meurent ici pour renaître ailleurs.
Hong : Nous sommes imprégnés de virus, les virus ne sont rien d’autre qu’un nom pour nos angoisses. Saining : Quand un virus existe depuis de longues années, nous pouvons l’appeler « civilisation ».
 »

Interview vidéo de Mian-Mian (réponses en anglais avec quelques traductions de Julien Blanc-Gras, un auteur des éditions du Diable Vauvert également)



2 Commentaires

  1. Mon avis ne sera pas aussi nuancé que le tien. J’ai trouvé ce livre sans intérêt tant au niveau de la forme (non son écriture ne rappelle pas celle de BEE) que du fond puisque effectivement rien n’est vraiment développé dans Panda Sex. Ce n’est qu’une suite de considérations creuses et abstraites sur la vie contemporaine. On a déjà lu ça ailleurs et en beaucoup mieux.

    La littérature chinoise possède des auteurs bien plus intéressants que Mian Mian, j’en suis sûre, mais elle est certainement la plus jolie et la plus médiatique… Pour moi, c’est vraiment la seule explication à l’énorme buzz qui a entouré la parution d’un livre aussi médiocre.

    • Pulpfiction sur 30 janvier 2009 à 9 h 01 min
    • Répondre

    le buzz qui entoure ce livre est aussi peut-être une conséquence du succès des bonbons chinois qui était vraiment excellent et prometteur … Malheureusement Panda sex fait craindre que comme beaucoup, Mian Mian ait été juste l’auteur d’un seul et unique roman un peu ou beaucoup autobiographique … Elle va maintenant se répéter ou se décliner mais sans la fraîcheur ni la force du premier jet. Panda Sex n’a pas beaucoup d’intérêt, et ne mérite même pas polémique

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