Coco Chanel : Get rich or die (« Coco avant Chanel » et « Mémoires de Coco » de Louise de Vilmorin)

J’ai enfin vu le fameux biopic « Coco avant Chanel » avec Audrey Tautou dans le rôle titre, complété de la lecture de « Mémoires de Coco » de Louise de Vilmorin. Sans nourrir d’intérêt particulier pour la mode ou la haute couture, j’étais impatiente de découvrir ce parcours de femme hors du commun et en particulier son ascension de « self made woman », la naissance de son génie créatif, de son avant-gardisme et de son fameux style « Chanel ». Coco Chanel, on ne pouvait rêver mieux comme personnage, comme destinée romanesque. Et pourtant…


La dame, pardon demoiselle, a en effet inspiré et fasciné bon nombre d’auteurs avant que les réalisateurs ne s’y intéressent (en nombre !) cette année, avec pas moins de 3 (télé-)films qui lui sont consacrés. De Paul Morand (« L’allure de Chanel ») à « L’Irrégulière » d’Edmonde Charles-Roux (la biographie utilisé pour le scénario de Coco avant Chanel) en passant par Colette qui disait d’elle dans son roman « Prisons et paradis » : « On la dit fort riche. Par chance, elle n’a rien gardé, sur elle-même, du contagieux éclat de l’or, indiscrète lumière qu’exsudent les êtres faibles et comblés de biens. La voici piétée sur des matériaux bruts, entre des pilastres de jersey, des poutrelles de foulard imprimé, couchées. De longs drains de satin roulé chatoient, chaos de moellons élastiques dont l’éboulement ne s’accompagne d’aucun bruit. (…) »
Mais aussi Louise de Vilmorin, figure mondaine des années 40, connue notamment pour son roman « Madame De » (également adapté à l’écran avec Carole Bouquet) et qui a donc également recueilli les confidences de Coco, largement faussées par cette dernière connue pour son goût de l’invention, dans un court ouvrage « Mémoires de Coco ». C’est ce dernier que j’ai eu envie de lire, le préférant aux biographies sans doute plus exactes mais qui me semblaient très fastidieuses. Je n’aime pas les biographies au sens classique du terme qui n’ont en général aucun intérêt littéraire. C’est pourquoi ces Mémoires écrites par un écrivain m’attiraient davantage même si je n’aime pas spécialement la plume de Vilmorin (dont j’ai lu notamment « La lettre dans un taxi »), plume qui me rappelle celle de Françoise Sagan et qui a un je ne sais quoi de préciosité et de facilité, dans le mauvais sens du terme, qui m’agace.

Au final, j’aurais été déçue tant par le film que par ce livre… Et puis aussi un peu, par ricochet, par le personnage de Chanel.
Je crois qu’en voulant expliquer, décortiquer le mythe, on n’a fait finalement que l’érafler voire l’écorner et l’abîmer.
Alors que je m’attendais à découvrir une femme passionnée, une vocation chevillée au corps et à l’âme, Mademoiselle Chanel apparaît avant tout comme une arriviste de base, prête à tout pour devenir riche. Car tel est son but premier : faire fortune et être célèbre. Get rich or die, comme le chante le rappeur US, 50 Cent. Cela aurait pu aussi être la devise de Coco…

Ce n’est pas spécialement l’amour de la mode, de son art, qui l’a conduit là où elle est arrivée et après tout on ne peut l’en blâmer, mais cela reste un peu décevant. En tous les cas c’est vraiment cette vision qui ressort du film (où l’on reste complètement sur sa faim côté création, même des étapes clé comme la création de sa fameuse petite robe noire, de son parfum ou encore son utilisation assez révolutionnaire du jersey sont complètement occultés, tout juste la voit-on rajuster quelques épingles de ci de là ou remuer quelques étoffes…).
Gabrielle Chanel apparaît avant tout comme une vénale qui utilise les hommes (riches) pour se sortir de sa condition.

Dans « Mémoires de Coco », on en apprend tout de même un peu plus et le personnage nous apparaît ainsi plus intéressant, un peu plus profond du moins. C’est ainsi que l’on réalise que la créatrice était une grande lectrice (ce que l’on voit aussi, dans une moindre mesure, dans le film d’Anne Fontaine sans en comprendre l’influence néanmoins). Et même si ses lectures de jeunesse tenaient plus du roman de gare, elle en a gardé toute sa vie un goût prononcé pour le romanesque et sans doute une source d’inspiration. Un genre d’Emma Bovary qui aurait bien tourné au fond (d’ailleurs, l’ennui ressenti par Coco est un des moteurs de sa carrière) :
« Pourtant, je ne savais pas ce que la lecture allait m’apporter : elle devient l’élément nourricier de mes rêveries et de mes rêves. (…) Quel que soit le livre que je lisais, je m’identifiais au personnage le plus intéressant du récit et, de ligne en ligne, j’en suivais la vie, croyant vivre la mienne. Mon imagination trouvait enfin des complices. Mes bijoux champêtres se cristallisèrent en parures de pierreries, mon extravagance et mon autorité bâtirent des demeures à mon goût (…) C’est alors que se forma alors l’alliage entre l’éducation que je recevais et les lumières que mes lectures projetaient, pour moi seule, sur mes tendances créatrices, mes ambitions matérielles, mes aspirations sentimentales et l’ensemble de mon avenir. C’est à ce moment-là aussi que je compris clairement ce qui m’était absolument nécessaire : briser les entraves de la pauvreté et, pour être libre, uniquement pour cela, gagner beaucoup d’argent. Mes lectures me permirent de comparer ce qui m’entourait et ce qui m’attirait. »
A ce sujet, j’ai bien aimé dans le film cette réplique sur la plage de Deauville où elle déplore les fanfreluches des femmes (« des dames d’ameublement » comme elle les surnomme dans le livre de Vilmorin), mode de l’époque qu’elle rejette : « J’ai le dégoût très sûr. » Une phrase qu’elle tire de Jules Renard, un auteur qui lui aurait été conseillé par Boy Capel, le grand amour de sa vie. Je ne sais pas si l’anecdote est véridique mais force est de reconnaître que Chanel avait le sens de la formule et de l’à-propos comme en témoigne certaines de ses répliques devenues cultes comme « La mode se démode, le style jamais. » ou encore « Une femme sans parfum est une femme sans avenir » . Dommage que cette facette de sa personnalité, son intelligence en somme, n’ait pas été davantage exploitée à l’écran comme à l’écrit…[Alexandra pour Café livres/Lexpress.fr]

4 Commentaires

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  1. Tu me sembles plus déçue par la vie de Chanel qui ne correspond à l’idée que tu t’en faisais, que par le film en lui même.

    Pas particulièrement passionné par l’histoire d’amour présentée, je fus tout de même impressionné par le jeu d’Audrey Tautou.

    PS : Une référence à 50 Cent?! Ouah, quelle ouverture d’esprit. J’ai hâte de lire dans les prochains billets des citations d’Orelsan

    • Métalleux sur 14 mai 2009 à 22 h 44 min
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    Salut,
    Bon pas vu le film, pas lu le livre mais impatient de voir le second film sur chanel réalisé par Jan Kounen (me demande bien ce qu’il a pu en faire… très intrigué je suis)

  2. Si je peux me permettre la citation de 50 cents est "get rich or die Trying" (ce qui est toujours raccord mais plus drôle) 😉

    Quant à coco, oui je sais, en fait c’est souvent le problème avec les bios de couturiers… Honnêtement (j’espère ne vexer personne) leurs vies sont souvent un abrutissement de travail et d’obsessions qui n’a pas pas grand chose de romanesque sortis de leur dévotion au tissu. Finalement ce qui fait leur force artistique est aussi leur faiblesse romanesque. Il faut alors vraiment trouver un trés bon "angle" (comme dans la bio croisée YSL et KL) pour les rendre intéressants à lire.

    Question a 10 cents : est ce que je m’intéresse aux vies de modasses et à 50 cents… Et oui en plus du reste.

    a+

    yann

  3. Oui, j’ai prévu aussi de voir le film de Kounen, au moins pour cette fameuse scène du Sacre du printemps dt on parle tant.
    Mais je trouve dommage de réduire Chanel à ses amours alors qu’elle avait tant d’idées et de choses à dire…

    Oui la comparaison Chanel/50 Cent, j’avoue il fallait oser, mais qd on y réfléchit bien…
    Oui Yann, "die trying" mais en fait j’ai préféré couper 🙂

    En fait il y a eu un téléfilm en 2 parties sur Chanel fin 2008, mieux fait que le film "Coco avant Chanel", où l’on comprend un peu mieux en tout cas ces années de formation, comme par ex sa rivalité avec le grand couturier de l’époque Paul Poiret qui se moquait d’elle quand elle utilisait du jersey pour couper ses vêtements, etc.

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