La nouvelle génération doit-elle écrire des livres écolo ?

Quelques blogs littéraires se sont intéressés et interrogés ces derniers temps sur la dimension écolo dans les romans d’aujourd’hui. Un sujet politique et sociale hautement sensible. La sortie du film « Home » de Yann Arthus Bertrand et les élections européennes ont fait office de catalyseur à cette réflexion. Les jeunes auteurs manqueraient-il de fibre écolo ?

Est-il urgent que la littérature reflète et dénonce les problématiques actuelles autour de l’environnement, sensibilise à sa protection ? Est-il urgent d’inventer des (super-)héros qui rétabliront notre écosystème ? Et quels sont les romans à lire pour renouer avec la nature ? Petit panorama des réponses ou au moins du débat qui ont agité la blogosphère récemment :

Le coup d’envoi a été donné par Axelle Emden créatrice et rédactrice en chef de CultureCie. Dans le cadre d’un billet d’humeur intitulé « Home » nouvelle génération : le temps des anti-héros forever ?, elle lance un vibrant appel aux jeunes auteurs pour une littérature plus « verte » et se prend à imaginer une nouvelle génération de héros plus engagés et moins nihilistes :
« Il ne nous reste que dix ans pour inverser la tendance » stigmatise-t-elle en reprenant le message d’alerte lancé par Yann Arthus Bertrand qui l’a particulièrement touchée. Avant d’analyser la littérature actuelle : « Dix ans, vingt ans, trente ans que nos romans et nos livres de philosophie ne parlent plus que d’anti-héros et de désenchantement, de Gauchet à Barbara Israël, c’est dire : plus de religions plus de combats, plus de croyances et plus rien à faire. La fin de l’histoire, la fin des idéologies, la fin des croyances, la fin du politique, c’est ce dont se nourrissent les romans et ce que rabâchent les sociologues, les politologues, les philosophes. (…) La fin de l’histoire c’est que y’a plus rien à faire. La fin de l’histoire c’est que tout a été fait, même les artistes s’emmerdent et tournent en rond en racontant leurs vies, leur « hell » – je réinvente pas la roue en vous disant ça, je vous rafraîchis juste la mémoire.
« Plus rien à faire »… ou plus rien à foutre ? Devant « Home » je pensais aux romans cultes de nos générations, à cette poésie et cette rage de vivre fondues dans la drogue, je pensais aux Doors et je me demandais si leur leader se serait laissé mourir si on lui avait donné une cause pareille, toute faite : « 10 ans pour inverser la tendance ». Quand j’ai interviewé Barbara Israël alias Pop Heart au sujet de « Miss Saturne », elle me disait « Miss Saturne ou les enfants gâtés dans un monde pourri. Miss Saturne où la grâce de la jeunesse se heurte à la tiédeur du monde. » Devant « Home » je pensais à Barbara et j’avais envie de lui dire : Miss Saturne pourrait-elle avoir ce combat ? Ou bien Miss Saturne, qui ne manque ni de cynisme ni d’humour, considère-t-elle que tout lui est dû, un peu comme l’humanité qui creuse la Terre ? Je pensais au punk, à la pop, au rock.

(…) Je pensais à Ann Scott qui a parlé à toute une génération avec « Superstar », je me demandais si on pouvait créer une « Superstar » qui aurait envie d’inverser la tendance. Je pensais à la peur qu’ont les enfants de la ville devant les animaux les plus anodins. Je me demandais si Julien Parme pourrait être un mec cool qui lutterait pour la préservation de la planète. Je me demandais où était exactement l’endroit de la fascination du pire, je me demandais si de « 99 francs » on pouvait faire un « 99 ans », de « Millenium » un « Millénaire ». Devant « Home » qui dit l’irrécupérable sans pour autant tomber dans le catastrophisme je pensais au temps qu’il faut aux poumons pour récupérer une fois qu’on a arrêté de fumer. Devant « Home », moi qui n’ai pas trente ans et qui suis née à Paris, nourrie de philosophie occidentale et de romans parisiens, devant « Home » j’ai cru voir une humanité droguée. A la pelle, à l’accélération, à l’héroïsme conquérant des ressources qui paraissent inépuisables. Devant « Home » j’ai pensé à la connerie de la jeunesse qui se croit éternelle. Aux antirides qui camouflent mais qui n’empêcheront pas de crever, comme tout le monde. (…) Je pensais (…) aux « Poussières d’ange » d’Ann Scott, un livre qui vaut toutes les paroles de vieux sages sur la finitude. Devant « Home » je me suis demandé si des héros pouvaient être des mecs qui ont envie de se sortir de la drogue. Devant « Home » je pensais, donc, à tout ce vide qui a nourri une génération triste de n’avoir aucune révolution à accomplir. 10 ans pour inverser la tendance, personnellement je crois que c’est le plus grand combat qu’il n’est jamais été donné à l’humanité de mener.

Devant « Home » je pensais (…) aux « Presque Morts » de Lola Lafon. Je pensais à cette fin de l’histoire qui nous ennuie et là les mots de Yann Arthus-Bertrand me reviennent, qui disent « j’ai cru faire un film sur la fin du monde ». (…) A Lola Lafon et à son paradis de squat en Toscane, où des types cultivent des tomates et accueillent des gens gratuitement – et je ressentais bien qu’il y aurait des choses qui me laisseraient inconsolable. (…) Avec cette génération triste de n’avoir aucune révolution à accomplir, il y a eu le talent du détachement. La gloire de la dérision. « Rien de grave ». Les mecs sont « à la cool », rien ne presse, « cool ». (…) La question que je pose aujourd’hui à la génération envahie par le vide, c’est : s’est-elle adaptée au vide (d’idéologie de religions de combats, au point d’en faire parfois l’éloge de la mort) au point d’en faire l’éloge ? Préfère-t-elle sincèrement la fin de toute vie à la vie ? Est-elle à ce point « désenchantée » ? (…) »

De son côté le blog Mille Feuilles (Fluctuat.net), nous proposait dans un billet « Lecture écolo : suivez le guide », de devenir un bon « greenreader », à travers une sélection d’ouvrages de « nature writing », une littérature dévolue à la nature, avec pour figure majeure un Jim Harrison. Une école « qui se veut en harmonie avec les grands espaces« .
A travers plusieurs articles dont une interview d’Oliver Gallmeister, un jeune éditeur spécialiste du genre, on en apprend un peu plus sur ses caractéristiques : « les récits les plus emblématiques, le héros s’enfonce seul dans une nature hostile et grandiose et en sort changé à jamais (…), adjoint généralement considérations personnelles et réflexions philosophiques » ou encore « Le Nature Writing, c’est cela aussi, surtout: l’expression très occidentale d’un fantasme de retraite et de fuite, lorsque les arbres, le silence et la terre font figure de dernier rempart contre le monde et ses folies. »

En résumé, « la nature comme sujet de leur œuvre, qui interroge les rapports de l’homme avec son environnement au sens large » mais l’éditeur insiste sur la nécessité de ne pas la réduire « à une simple dimension « écologiste » ou « naturaliste ».« 
D’après ce dossier, il ressort que le genre serait « spécifiquement américain ». « Il n’y a pas d’équivalent français du NW, tout simplement parce qu’il n’y plus de « nature » en France. » estime Gallmeister. C’est néanmoins oublier et balayer un peu vite la pléiade d’auteurs, à commencer par les romantiques, qui n’ont cessé de célébrer la nature à travers leurs écrits. On peut encore penser à une Colette.
D’ailleurs dans le diaporama proposé, on trouve quelques noms français classiques comme Rousseau ou Victor Hugo.
Les écrivains d’anticipation ou de science-fiction comptent aussi parmi les plus actifs sur le thème (tel Ballard avec « Le monde englouti », « La course au paradis », John Wyndham avec « Le jour des Triffides » ou encore Alan Moore avec « Swamp Thing »). On aurait pu aussi rajouter « Bleu comme une orange » de Norman Spinrad sur l’effet de serre et les modélisations météorologiques ou encore « Aqua TM » de Jean-Marc Ligny qui traite du problème de l’eau dans un avenir proche. La fameuse saga « Dune », où l’eau est une denrée aussi rare que précieuse, de Franck Herbert est aussi considéré parfois comme un livre d’anticipation écologique.

Côté jeunes auteurs français, on pourrait aussi citer la tentative (jugée ratée) de Lolita Pille avec « Crépuscule Ville » qui avait notamment imaginé un monde privé de lumière du jour ou encore « Birmane » de Christophe Ono-dit-Biot qui a rencontré un accueil plutôt favorable tant côté critique que lecteurs, comportant de nombreuses descriptions jugées poétiques voire lyriques des paysages de cette terre mystique, envoûtante et énigmatique.

Visuels d’illustration tirés du film « Home » de Yann Arthus Bertrand

2 Commentaires

    • Brutus sur 10 juillet 2009 à 17 h 28 min
    • Répondre

    "L’homme intelligent qui accepte l’idéal de son temps fait preuve d’une immoralité flagrante". Oscar Wilde.

    Au delà de l’aphorisme facile, on peut se demander si notre société occidentale, si vieille, si gorgée d’elle-même, peut encore se lever pour un combat, aussi vital soit-il.
    Le billet d’Axelle Emden, son appel à un ultime sursaut, m’émeut, car il vient trop tard, et tellement à contre-courant d’un monde moribond depuis trop longtemps.
    Cet appel à des héros positifs est pathétique et touchant, comme toutes les tentatives vaines d’aller contre le cour de l’Histoire.

    Ce sursaut positif est loin d’être évident, ou même possible, si l’on s’accorde sur le fait que la littérature est le miroir (souvent déformant, mais toujours un miroir) de la réalité.

  1. Effectivement…

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