Polémique autour de la nouvelle traduction de « Gatsby » (Fitzgerald)

En cette rentrée 2010, les éditions P.O.L. propose une nouvelle traduction de « The Great Gatsby », désormais libre de droits. C’est Julie Wolkenstein, auteur de 5 romans (dont L’Excuse) et professeur de littérature comparée, qui s’est attelé à ce délicat exercice, en commençant par sabrer une partie du titre… Frédéric Beigbeder a lancé la polémique, les lecteurs sont divisés…

Victor Llona a été le premier traducteur de « Gatsby le magnifique« , dont Jacques Tournier a donné, une deuxième version plus tard.

Julie Wolkenstein explique le lien particulier à cette œuvre: « J’ai lu Gatsby deux fois, adolescente, et, dans la foulée, tout Fitzgerald. Depuis, j’avais la certitude, intime mais jamais vérifiée, que ce roman faisait partie de moi, de ma vie, qu’il avait touché chez moi, une fois pour toutes, une corde essentielle. J’ai découvert il y a presque un an maintenant que cet écho était majeur. En le relisant à l’occasion d’un séminaire universitaire, j’ai pris conscience (et ça m’a fait un vrai choc), des affinités multiples, souterraines, qui me liaient à ce texte : d’abord humainement, affectivement, émotionnellement. Gatsby est mon héros ; ses rêves sont les miens ; je pleure chaque fois que je le vois mourir (et, depuis un an, j’ai dû, en travaillant à cette traduction, le tuer et l’enterrer souvent…) ; les fêtes qu’il donne, l’ivresse de ses invités, les milieux qu’il décrit, je les connais ; la position même du narrateur, qui, de son propre aveu, est toujours à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de ce qu’il vit, c’est exactement la mienne face au monde. Tout cela, je le sentais déjà à quinze ans, mais nos retrouvailles, à l’âge adulte, m’ont stupéfaite. Entre temps, j’ai moi-même écrit plusieurs romans, et c’est le second aspect de cette complicité, nouveau celui-là, qui m’a profondément ébranlée : j’étais sous influence. Le mélange de sentimentalisme et de sécheresse, l’équilibre entre le pathos et la cruauté, l’ironie et la compassion, c’est exactement ce que je me suis efforcée de pratiquer ; le décor, les circonstances, les personnages, l’univers de Gatsby m’habitaient comme romancière. Par ailleurs, le regard critique de l’universitaire que je suis devenue dans l’intervalle me donnait, dans cette relecture, la conviction renouvelée qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, d’une tragédie à la fois classique et contemporaine. »

Sous le titre «Touche pas au Gatsby !», Frédéric Beigbeder, particulièrement attaché à ce livre, estime ainsi dans sa chronique pour Le Figaro, que cette nouvelle traduction «donne la même impression que d’entendre un standard des Beatles massacré dans un karaoké par un étudiant en musicologie ne tenant pas le gin-tonic». Il donne quelques exemples des traductions malheureuses : ainsi la dernière phrase du roman «Car c’est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé» retraduite en «C’est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé». A noter que Jacques Tournier avait lui, proposé : « Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé« , ce qui paraît d’ailleurs le plus proche de la VO (« So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past« )

Il critique aussi le titre tronqué (à juste titre c’est le cas de le dire !) : « Pourquoi intituler cette nouvelle édition Gatsby, alors que le titre original, The Great Gatsby, comporte un adjectif qualificatif assez clairement identifié? Si l’on voulait se démarquer des prédécesseurs en évitant l’épithète «magnifique», l’éventail des possibles était vaste: Le Grand Gatsby (littéral), L’Immense Gatsby (mégalo), Gatsby l’énorme (mode), Gatsby le grandiose (lyrique),Le Fastueux Gatsby (littéraire), Gatsby le gigantesque (ampoulé)… Mais virer l’adjectif est un crime de lèse-majesté intolérable. Raison pour laquelle nous ne le tolérons pas. »

Cette critique apparaît en effet justifiée surtout lorsque l’on sait que Fitzgerald a aussi hésité entre deux autres titres tout aussi étoffés : « Gold-Hatted Gatsby » (« Gatsby au chapeau d’or », une caractéristique qui aurait pu aussi donner comme traduction « L’éblouissant Gatsby ») et « The High-Bouncing Lover » (« L’amant aux bonds d’acrobate »). Dans un autre registre, il avait aussi pensé à « Trimalcion à West Egg » (son préféré a priori). Il est vrai que l’écrivain avait aussi évoqué dans sa correspondance avec son éditeur l’hypothèse d’un simple « Gatsby » de même qu’un simple « Trimalcion » avant de s’arrêter définitivement sur « The great Gatsby ».

Olivia de Lamberterie a, au contraire, souligné la finesse de cette traduction dans le magazine Elle.

Gatsby le magnifique fera aussi l’objet prochainement d’une nouvelle adaptation au cinéma avec Carey Mulligan (Daisy), Leonardo DiCaprio dans le rôle-titre et Tobey Maguire, qui est le narrateur Nick Carraway, après Robert Redford et Mia Farrow en 1974. Un biopic avait aussi été annoncé avec également DiCaprio pressenti dans le rôle de l’écrivain et Keira Knightley dans celui de son épouse Zelda.

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