Soirée littéraire avec Thomas Lélu, Ariel Kenig et Léonara Miano au Thé des écrivains

Suite à notre interview croisée avec Ariel Kenig, ce dernier m’a gentiment informée d’une soirée littéraire (« Les jeudis littéraires ») à laquelle il participait jeudi dernier au « Thé des écrivains ». A deux pas de la place des vosges, dans un salon de thé cosy à mi chemin entre une bibliothèque et un appartement bobo, la soirée accueillait trois jeunes auteurs publiant tous en cette rentrée littéraire, un deuxième roman : Thomas Lélu (« Perdu de vue »), Ariel Kenig (« La pause »), Léonara Miano (« Contours du jour qui vient »). Après lecture d’extraits de leurs livres respectifs par trois comédients, les auteurs ont répondu à quelques questions de Hubert Artus et Georges-Emmanuel Morali (les propriétaires du lieu), sur leur travail d’écriture et initié un débat sur la question de la précarité des jeunes. Le caractère bien trempé de Léonara Miano a mis un peu de piment à cette intéressante soirée qui nous a permis de découvrir ou mieux connaître trois jeunes talents de la nouvelle scène littéraire française…

Une petite assemblée animée attend déjà fébrilement le début de la rencontre lorsque j’arrive aux alentours de six heure moins le quart, autour d’un buffet en plein air donnant sur la petite rue calme des Minimes. Tous les auteurs sont déjà là et discutent avec les lecteurs.

Après avoir salué Ariel Kenig décontracté et tout sourire, je m’approche de Thomas Lélu, un jeune auteur dont nous n’avons pas encore parlé sur le Buzz littéraire si ce n’est citer son nom et son nouveau livre dans le cadre de notre article de synthèse des tendances et parutions de la Rentrée littéraire. Ce trentenaire, ancien étudiant en communication visuelle et arts graphiques, s’est fait remarquer en 2005 avec un premier roman intitulé « Je m’appelle Jeanne Mass« , la délirante odyssée de deux videurs de boîte de nuit (Jeanne Mass, un homme donc et son ami Derrick) qui doivent faire face à l’assasinat de leur patron… par deux « nounours roses de grande taille ».

Il récidive en cette rentrée littéraire avec un roman où l’on retrouve son humour décapant dans une intrigue tout aussi farfelue : celle d’un homme dont la photo d’identité a disparu qui se retrouve contraint à devoir prouver, en garde à vue, qu’il est bien lui-même ! Un prétexte pour remonter le cours de sa jeune vie et dresser ainsi le portrait d’une génération (celle de la fin des années 70, les fameux « trentenaires ») à travers la figure d’Oscar, un parisien brillant qui multiplie les conquêtes mais cultive aussi une part plus sombre qu’il exorcisera au cours de cet interrogatoire-confession…

A la différence de ses romans à l’univers déjanté voire loufoque, Thomas Lélu est d’un abord plutôt sérieux, tout en retenue voire intimidant avec son look intello à la Woody Allen (comme il s’amuse lui-même à se définir dans son nouveau roman « Perdu de vue »). En fait ce n’est qu’une apparence à laquelle il ne faut pas se fier car l’écrivain sait user de son humour décalé qu’il distille sur un ton impassible.

Nous revenons tout d’abord sur ses petits déboires rencontrés à la sortie de son premier roman : le procès intenté par la chanteuse Jeanne Mas (qui lui réclamait tout de même 120 000 euros pour usage de son nom à des buts commerciaux et qu’elle a perdu) et le prix de Flore qu’il a manqué de peu en 2005 au profit de Joy Sorman (voir notre critique de « Boys, boys, boys« ). Même s’il semble amer, cela ne l’a pas abattu pour autant et c’est avec une belle inventivité qu’il livre son deuxième roman dans la veine du premier. Il me dit aussi habiter dans le quartier mais qu’il ne connaissait pas le lieu qu’il découvre avec plaisir.

Avant que le débat ne commence, j’ai le temps d’échanger quelques mots avec Léonara Miano (auteur de « Contours du jour qui vient », un roman qui retrace la quête symbolique d’une mère par sa fillette chassée quelques temps auparavant -et par là même la quête de l’âme de son pays- dans une contrée imaginaire d’Afrique équatoriale. L’auteur brosse ainsi le portrait terrible d’un continent qui brûle son avenir en sacrifant ses enfants.), une étonnante écrivain d’origine camerounaine, vivant à Paris depuis 15 ans, à l’univers poétique et violent, qui me rappelle un peu Calixthe Beyala, une auteure que j’aime beaucoup.
Nous discutons de nos origines communes, elle m’explique la situation difficile actuelle à Douala et Yaoundé, la capitale du Cameroun et le rapport ambigu que le pays, ancienne colonie, entretient avec la France. Très érudite et très posée, elle n’en est pas moins dotée d’un caractère très affirmé qu’elle ne tardera pas à démontrer au cours de la soirée !

Le temps de s’installer arrive déjà et débute les premières lectures de ces trois romans.
L’animateur nous explique que ces trois romans ont été choisis et réunis car ils marquent un certain renouveau du roman « à la française » qui rompt avec l’autofiction pour s’ouvrir davantage sur le monde et les problèmes de société. Ils ont aussi pour autre point commun d’être trois monologues plus ou moins axé sur la psychologie.

L’entretien débute avec Thomas Lélu. Il explique que dans son premier roman « Je m’appelle Jeanne Mass » c’était davantage une réprésantaion visuelle qui l’intéressait grâce à la congugaison de différents niveaux de vocabulaire tandis que dans son dernier il a privilégié une forme plus intimiste à travers une situation de départ kafakaïenne. Si le livre est inspiré de son vécu, il a toutefois évité l’écueil de l’autofiction. « J’écris et ensuite j’enlève le trop-plein correspondant à mon intimité », explique t’il. Une partie de la génération des trentenaires (né à la fin des années 70, début des années 80) s’y reconnaîtra peut-être mais tel n’était pas mon but, indique t’il encore, en précisant que le roman se déroule dans un millieu social précis avec ces propres pratiques qui ne sont pas universelles.

De son côté, Ariel Kenig réagit sur la notion de génération. Lui qui est né à la fin des années 80 ne comprend pas bien cette appartenance que s’est créée la génération précédente et qui n’a aucun sens, selon lui. « La génération des années 80 n’existe pas encore si ce n’est une culture de la pornographique, quelques références ciné et une capacité à la violence. » ajoute t’il. Dans son roman « La Pause« , c’est un milieu social qu’il a lui aussi souhaité mettre en lumière, le milieu ouvrier moderne : « Un milieu hypra-violent où tout le monde se parle mais ne dit rien à personne. »

De son côté, Léonara Miano a choisi de planter son histoire dans un pays imaginaire afin de ne pas stigmatiser un pays d’Afrique en particulier. Elle indique que son livre comporte deux niveaux de lecture à travers la voix d’une enfant de 12 ans qui s’exprime comme une adulte. Elle me ressemble beaucoup, précise t’elle, en particulier par son côté enragé ! L’auteure explique aussi qu’elle ne prend pas de notes pour écrire ses romans mais y réfléchit beaucoup avant (un « travail d’incubation » dit-elle) en ayant toujours en tête la dernière phrase et le titre. Son premier jet est ainsi très « pulsionnel », une technique qui fait écho à sa culture musicale jazz, souligne t’elle.
Concernant le choix de l’Afrique, elle réplique à l’animateur qui la questionne à ce sujet qu’il ne s’agit que d’un décor culturel, et non d’un « thème » comme il le qualifiait au grand dam de Léonara, attentive aux termes employés. « Je suis très espiègle », le prévient-elle sous les sourires de l’auditoire.
« Je passe pour une auteure caractérielle auprès de mon éditeur car je défends beaucoup mes écrits », dit-elle encore. La deuxième question de l’animateur viendra confirmer ces propos…
Celui-ci souhaitait en effet savoir si l’écriture variait selon que l’on écrive sur un pays en guerre comme le sont certains états d’Afrique ou sur un pays pacifié comme la France par exemple.
Il ne s’attendait sans doute pas à la réponse de l’écrivain qui lui rétorque qu’il a tort de penser que la France est en paix. Et de citer la barbarie sociale (telle que les plans sociaux…) ou encore les manifestations anti-CPE.
« La violence n’est pas physique mais elle sourde de toute part. En Afrique, elle est juste plus directe : on coupe des têtes ! Il est aussi difficile d’être jeune en France qu’en Afrique », affirme t’elle.
Le débat se teinte alors d’une couleur plus politique auquel prend part Ariel Kenig qui ne partage pas ses opinions en particulier sur les manifestations anti-CPE et les revendications de confort et de sécurité des jeunes. Ce à quoi Léonara Miano répond que ce n’est peut-être pas ses idées non plus mais qu’elle comprend leur mal-être car ils n’ont pas été préparé à cette précarité.

Le débat prend fin avec les questions des lecteurs au cours desquelles Thomas Lélu expose sa vision de l’écriture et rejoint dans le même temps le sujet politique évoqué précédemment : « Le livre est un lieu de liberté et de mouvement extraordinaire. C’est une dynamique physique au cours de laquelle on sort de soi. cela va bien au delà du confort, de la sécurité ou encore de la starification… Il faut « quitter la ville » mais il faut aussi quitter beaucoup de choses… »

Un petit discours de conclusion avec lequel notre jeune Ariel dit être à « 10 000% » d’accord ! [Alexandra Galakof ]

Découvrez et réservez les livres des trois auteurs invités :

Voir le site du Thé des écrivains à Paris dans le 3e arrondissement pour le programme des prochains « Jeudis littéraires ».
Le site de Léonora Miano

Remerciements : Sylvie Dupic pour ses photos et à Georges Emmanuel Morali du Thé des écrivains pour son accueil.

Voir aussi : L’interview croisée d’Ariel Kenig avec Max Monnehay

4 Commentaires

Passer au formulaire de commentaire

    • Freak sur 6 septembre 2006 à 22 h 41 min
    • Répondre

    Ariel Kenig à tous les étages. C’est ton pote ? Parce que tu pourrais limite donner son nom à ton blog avec la pub que tu lui fais…

  1. Bonjour Freak, il était prévu de longue date d’interviewer et de chroniquer le nouveau livre d’Ariel Kenig, non parce que c’était un "pote" mais parce que c’est un jeune auteur très prometteur à nos yeux.

    Cet article-ci est le fruit du hasard et pour tout dire j’y allais plus pour les deux autres auteurs (Thomas Lélu et Léonara Miano) qui sont largement cités dans cet article au détriment d’Ariel qui a déjà, comme tu le soulignes à juste titre, été présenté précédemment.

    Si tu as d’autres jeunes auteurs en tête dont tu aimerais parler, n’hésite pas !
    C’est le but de ce blog. J’en profite pour préciser que nous réfléchissons actuellement à comment intégrer les chroniques/coups de coeur que les lecteurs du Buzz littéraire ont eu la gentillesse de nous adresser. Ce sera fait très prochainement !

  2. Je viens de lire Contours du jour qui vient, c’est un roman bouleversant, assez poétique. POur préparer mon billet, j’ai lu différents portraits d’Eléonora MIano, et en effet, elle n’a pas sa langue dans sa poche, ne mâche pas ses mots. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses propos sur les jeunes et le CPE, mais elle a au moins le mérite de ne pas faire de langue de bois. Quant à ses propos sur l’Afrique, ils sont à contre-courant de ce que l’on entend oprdinairement.

    • Joëlle sur 29 novembre 2009 à 18 h 41 min
    • Répondre

    J’ai lu "Intérieur de la nuit", et je suis en train de finir "Contours…" de Léonora Miano : ce sont des romans qui comptent, qui ont un poids, qui s’adressent à vous personnellement, à votre cœur et à votre intelligence.
    Elle dit l’Afrique, le village africain, l’histoire et l’âme africaines, à plusieurs niveaux, en débordant des schémas habituels, avec douleur, force et exaspération.
    On sent qu’elle exècre la mièvrerie, que la flagellation et la punition ne lui font pas peur, mais qu’elle ne trouvera jamais des coupables définitifs.

Répondre à Joëlle Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.