Extraits choisis de « Du bruit » (sur le groupe NTM) de Joy Sorman : « AU XXe siècle on inventa le flow… » & « La belle langue française jetée dans le coffre d’une grosse bagnole américaine – vitres fumées… »

Comme présenté précédemment, le nouvel opus de Joy Sorman, prix de Flore 2005 pour « Boys, boys, boys », « Du bruit« , raconte sa passion pour le groupe de rap NTM, le pouvoir quasi-hypnotique de leurs paroles et de leur son, « de leur débit et de leur flow acéré » sur elle depuis leurs premiers concerts furieux à Mantes la jolie jusqu’au Zénith ou encore le choc de l’album « Paris sous les bombes » à la fin des années 80. Elle y analyse aussi la portée politique et littéraire de leurs textes tout en rendant un hommage sans réserve à son « idole » JoeyStarr, un « mélange de speed et de flegme », « énervé et fluide, hargneux et souple, ultrarapide et amorti, agressif et malléable. » Pour vous faire une idée un peu plus précise de cet ouvrage porté par le verbe nerveux de l’auteur aux raccourcis parfois néanmoins simplistes, avant de vous présenter prochainement une interview de Joy Sorman réalisée sur le Salon du livre à Paris en mars dernier, voici un extrait choisi qui aborde le phrasé rap et l’influence de cette « langue » à part entière sur l’auteur :

« Avoir 20 ans dans les années 90. Se chercher un rythme comme on cherche sa voie, quelque chose à emprunter, un bout de terrain à habiter.
Ecouter comment les gens parlent, se chercher une intonation propre, inventer une langue. Etre jeune et apprendre à parler au reste du monde.
L’ambition de la jeunesse, ce qu’elle a de mieux à offrir, comment elle articule.
NTM m’a appris à parler. Son flow ininterrompu en méthode Assimil dans les oreilles.
A la fin du XXe siècle, on inventa le flow. Des gens doués, à l’aise, déshinibés et impatients – le plus souvent jeunes, noirs, américains – se sont mis à parler mieux, beaucoup mieux que tous leurs ancêtres. A parler vif, efficace, rythmé, entraînant.
On n’avait jamais parlé comme ça, parlé aussi bien, avec autant de précision, de fermeté et de conviction dans la voix.
Age d’or de la parole, abolition des bégaiements, balbutiements, hésitations, lapsus et autres imperfections du langage.
Langage articulé, trop souvent mal articulé.
Ces hommes nouveaux se tenaient à la pointe de la civilisation. Ils auraient pu en abuser, séduire les foules, les réduire en esclavage, dominer le monde ; mais ils se sont contentés de rapper dans les rues, de créer des attroupements festifs, improvisés et rapidement dispersés par la police.
Maîtriser le flow : savoir poser sa voix sur le beat. »
(…)
« C’est quoi ce bruit, la fureur, ces cris d’animaux ? Incompréhension, angoisse, mouvement de panique. Barbares descendus sur la ville.
Mais le rap n’est pas le retour à une langue supposée primitive, inarticulée, c’est l’élucidation, la mise à jour et l’activation de la puissance de la langue, le démontage du moteur, l’encéphalogramme des mots, le raffinage de ces mots par les corps. Le rap épuise la langue et la fait renaître comme un nouvel amour, comme un amour de jeunesse.
NTM, la belle langue française KO sur le ring les bras en croix, la belle langue française malmenée, piétinée, empoignée, traînée par les cheveux, jetée dans le coffre d’une grosse bagnole américaine – vitres fumées – et le tour du périph la nuit à 160. De quoi reprendre goût à la vie. Ecouter NTM, se réveiller oreilles tranchées en lambeaux, jambes marquées au fer rouge du hip hop. »

(Extrait de « Du bruit » de Joy Sorman, Gallimard)

10 Commentaires

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  1. "Oui, voici maintenant le seul usage auquel puisse servir désormais le langage, un moyen de folie, d’élimination de la pensée, de rupture, le dédale des déraisons, et non pas un DICTIONNAIRE où tels cuistres des environs de la Seine canalisent leurs rétrécissements spirituels." A. Artaud

  2. Merci de cette visite et de cette citation. Je ne sais pas si tu l’as fait volontairement mais Artaud fait justement partie des références de JoeyStarr qui dit ne pas pas lire de fiction mais de la poésie donc et plus particulièrement Antonin Artaud. Donc…

  3. Oui, avec un petit faible, je crois, pour la "Lettre à Monsieur le Législateur…" dans L’Ombilic des Limbes. La référence n’est pas si étonnante d’ailleurs, il a vraiment un morceau à cracher, Artaud, à cracher de lui, le genre qui reste contemporain longtemps après les chrysanthèmes.

    • Formose sur 14 avril 2007 à 20 h 42 min
    • Répondre

    ça a l’air d’être vraiment une de vos bonne copine Joy Sorman.

    • JOJO sur 15 avril 2007 à 10 h 19 min
    • Répondre

    Et alors on s’en fout, ce qui compte c’est ce qu’elle écrit… En l’occurence, ça le fait.

    JJ

  4. Merci de cette seconde visite et de ces précisions. J’ai lu la lettre que tu évoques, magnifique même si je n’en partage pas les idées et effectivement raccord avec les textes "NTMiens".
    A quel morceau "à cracher Artaud" penses tu sinon ?

    De façon générale je m’interrogeais sur la valeur littéraire des textes de rap. On entend souvent parler de "poésie urbaine" à leur égard, ce qui ne manque pas d’hérisser les oreilles de certains mais il est vrai que certaines de leurs paroles peuvent tenir la comparaison.
    D’ailleurs récemment j’en ai entendu un à la radio et je suis incapable de remettre la main dessus, les paroles m’ont bluffée.
    La seule chose dont je me rappelle c’est qu’il était question de la rue et de ne pas laisser traîner ses enfants, etc. Thèmes classiques mais servis par un verbe étonnant (ce n’est pas le titre "Laisse pas traîner ton fils" qui est tout de même cité ds ce morceau là). Ca ne fait pas bp d’indices mais si un fan de rap passe par là et connaît, je suis preneuse !

    Chère Formose, ça me ferait très plaisir d’avoir ton avis sur ces quelques extraits de Joy Sorman ou sur la prose de NTM par exemple…
    Juste une fois pouvoir lire ton point de vue littéraire, qu’il soit positif ou négatif d’ailleurs dés lors qu’il y a des arguments, et non des insinuations parano… (pour répondre à cette dernière, je t’invite à lire la chronique qui a été faite sur « Boys, boys, boys », non appréciée par l’intéressée…)

  5. "Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel." (Le Pèse-Nerfs) Quelque chose comme ça peut-être, mais au fond qui saisit vraiment ce dont il nous parle ? Lui-même devait l’ignorer…

  6. oui mais tu le rapproches de quel morceau de NTM selon ce que tu semblais dire ?

  7. Ce n’était qu’une façon de dire, de jouer avec le sens de "cracher le morceau". Mais à bien y réfléchir, même si Joey Starr ou d’autres y trouvent de quoi cultiver leur jardin, les fulgurances d’Antonin demeurent hors d’atteinte.

  8. Ok, j’avais mal compris alors, je pensais que tu avais en tête un morceau de NTM directement inspiré d’un texte d’Artaud !

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