« Guerre à Harvard » de Nick Mc Donell, Tentative d’un campus-novel post 11 septembre

Attardons-nous plus précisément sur « Guerre à Harvard » de Nick Mc Donell, suite à notre tour des teen-novels de la rentrée littéraire 2008. Dans ce court récit de 95 pages, l’auteur creuse le sillon de l’autofiction estudiantine, après deux premiers romans très remarqués et traduits dans une dizaine de langues – Douze (Denoël, 2004) et Le troisième frère (Denoël, 2006). Les fans de Bret Easton Ellis vont continuer d’adorer la plume concise et incisive de ce jeune new-yorkais talentueux, dont on n’a pas fini d’entendre parler. A l’instar de ses deux précédents romans, Mc Donell continue de dépeindre et de faire évoluer ses héros étudiants bien nés dans un registre néanmoins plus engagé.

« La guerre n’avait pas encore pris les mêmes proportions qu’aujourd’hui, mais pour certains d’entre nous elle s’installait tel un nuage au-dessus du campus. Comme des enfants allongés sur le dos qui auraient trouvé que celui-ci ressemble à un éléphant, celui-là à une araignée et cet autre à toi, nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemblait précisément la guerre. Alors nous n’en parlions pas beaucoup. »

Dans un style percutant et sans fioritures, ce jeune américain issu de la promotion 2006 de Harvard nous livre le récit des aventures et des déboires d’une poignée de jeunes personnages emblématiques de notre époque. On est dans un milieu plutôt aisé sur les plans financier et intellectuel, le tout sur fond de guerre en Irak, qui vient de débuter, avec, sur le plan politique, une opinion américaine farouchement opposée à cette guerre.

Mc Donell dépeint alors les maux de cette génération qui lutte pour retrouver des repères, entre le quotidien des cours à Harvard et l’émergence – un peu tardive – de préoccupations économiques et politiques. Tout le roman traite en sourdine du sentiment générationnel et existentiel qui se grave chez ces étudiants de l’université au sujet de cette guerre indésirable et contestée, ainsi que sur le pouvoir en général. A Harvard donc, il – Nick – croise quotidiennement ses collègues de promotion, de jeunes gens relativement estourbis et élitistes.

Blasés, dira-t-on. « Vers 4 heures du mat, on s’est retrouvé à plusieurs dans ma chambre avec un Smironoff et un pistolet à 6 comprimés. On a fait une pyramide de gobelets, et on a tiré dessus, avant de s’effondrer sur les fauteuils. »
Il y a de futurs militaires très concernés, des couples qui se cherchent et finissent par s’épouser, – Quinn et Izzy, jeune couple atypique à problèmes, de la société américaine, excellent -, Will, engagé comme réserviste, Jenny, la fille aux cheveux roses. Il y a des garçons de café guitaristes de rock, des blacks relégués dans des bâtiments en bout de campus, et aussi le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg, l’inventeur consacré du site de socialisation Facebook désormais mondialement connu. Zuckerberg, à propos duquel et pour lequel quatre ou cinq pages semblent avoir été écrites, que ce soit pour vanter ses mérites personnels quant à ses stratèges de businessman, ou pour comprendre le sentiment de jalousie qu’il suscite, quand son nom commence à s’afficher dans les journaux américains, jalousie relayée par ceux qui le côtoient d’un peu trop près dans le campus. Comme si le mérite et la réussite de Zuckerberg devaient en effet, servir d’assise à la promo personnelle de l’auteur.

Bref, tous, autant qu’il sont, offrent –aux lecteurs- du haut de leur prestigieux campus, une amorce de réponse, quant à leurs interrogations, quant à leur vie estudiantine, quant à leur réflexion sur l’engagement de leur pays dans cette guerre ? Oui.

Et non.

On l’a dit : Mc Donell écrit au vitriol. Son récit raconte précisément de façon extrêmement concise cette jeunesse mélancolique qui fonctionne au café, aux nuits sans dormir et, bien sûr, à l’internet et aux jeux vidéo. Tous ces futurs responsables américains sont dominés par la menace omniprésente de la guerre en Irak. « Sur CNN, on exécutait Saddam Hussein. Dans la cour de Harvard, les chênes nus étendaient leurs ombres derrière nous tandis que nous nous dispersions comme autant de feuilles mortes emportées par un vent d’hiver dangereusement chaud. »
On a le sentiment de pénétrer cette vie en vase quasi clos et de regarder par le trou de la serrure, ou de débarquer la caméra à l’épaule..La radiographie est à la mesure de l’écriture de constat, qui reste assez froide par endroits avec un humour contenu. L’air de rien, la distance avec les événements est palpable. L’auteur s’est il méfié ? Nick a visiblement choisi de ne pas construire un roman mais propose un regard morcelé. Ce sont de courts chapitres. Mis bout à bout. On est plus dans le témoignage. Ces pièces rapportées révèlent des jeunes gens confrontés à une guerre extérieure vue à travers CNN et à leur combat intérieur quotidien. L’opposition intérieur-extérieur, effectivement, le climat ambiant politique et la vie estudiantine relativement souterraine, est assez marquée et on observe ce paradoxe en continuant de lire..

Et puis, plus on avance dans le livre, plus on se demande si l’ Irak, n’était pas qu’un prétexte pour masquer ce difficile passage de l’âge étudiant à l’âge adulte ? N’était il pas important pour l’auteur de se focaliser sur cet événement extra-ordinaire, un peu à part, juste afin d’éviter d’affronter ses propres peurs ? Un constat s’est alors imposé : il y a deux façons de lire le roman. On peut poser la problématique inverse : au fond, ces étudiants se sentent-ils réellement concernés par ce qui se passe au Proche-Orient ? Non. Leur désinvolture manifeste ne fait elle pas qu’ils ne font finalement que la survoler, en leur âme et conscience, la guerre, sans s’y intéresser réellement ? « Il faut bien que nous ayons ce genre de réflexions morales, puisque nous menons tous nos guerres personnelles. Même si on s’en fiche pas mal de cette guerre, que ces horreurs nous font bien marrer. Il n’y aura pas de Jugement dernier, pas de procès pour crime de guerre, et si cette guerre se termine un jour, celles que nous menons les uns contres les autres et nos guerres intérieures ne finiront jamais.« 
En tout cas, McDonell, intelligemment, ne porte pas de jugement de valeur. Mais en disséquant, il donne à voir. Et toutes les interprétations sont alors autorisées.

Le seul reproche, par rapport à ce qui est écrit dans le paragraphe précédent, sera pour le titre, qui sonne tout de même racoleur. Non, ce n’est pas la guerre à Harvard. Résumons. C’est la guerre en Irak qui s’immisce, pernicieuse, dans le cerveau de certains étudiants, amenés à réfléchir, à un moment donné sur le sens de leur existence. La vie des étudiants qui vivent aux abords d’un campus, les virées qui se terminent par de mémorables gueules de bois durent sur 50 pages et ne parlent nullement de la guerre. On a précisément le sentiment que l’énergie de l’auteur ne se pose pas là suffisamment où il faudrait, bref, que ces étudiants mollassons perdent leur temps quand ils ne suivent pas les cours d’histoire approfondie et les cours de raisonnement moral. La fac reste bel et bien cet univers mystérieux, cette enclave un peu secrète d’où émerge une sociabilisation marginale et un cosmopolitisme nébuleux.

Heureusement, les 42 autres qui observent à la loupe la prise de conscience de la guerre avec des gens qui comprennent enfin le drame qui leur arrive, à leur insu, permet à chacun de s’identifier réellement par rapport à ce qu’il voit, à ce qu’il ressent, à ce qu’il perçoit, afin de livrer enfin sa propre guerre. Et c’est bien. Parce qu’il était temps. [Laurence Biava]

5 Commentaires

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  1. J’avais lu son tout premier, que j’avais vraiment trouvé faiblard… Du sous Easton Ellis, vraiment… Mais il était encore tres jeune ! Je lirai celui-la quand il sortira en poche…

  2. je serai tentée d’avoir le même ressenti mais alors pourquoi "Twelve" a-t-il eu ce tel succès (ok c’est pas un critère mais tt de même…) ?!

  3. ca parlait de drogue, c’était jeune, dynamique, légèrement déjanté, ca donnait l’impression d’etre neuf et brillant…

  4. Il a quand même sa petite musique, quoiqu’on en dise.
    Je vous retranscris l’enthousiasme de Nicolas Rey, en tout cas, pour ce dernier opus "Guerre à Harvard", qu’il qualifie notamment de "terrifiant de maturité", voici un extrait de sa chronique littéraire parue dans VSD :

    "Guerre à Harvard est un roman presque froid, acide, au cordeau, absolument parfait. (…) On court à Harvard à l’intérieur d’un gymnase luxueux, sur des tapis noirs brillants et ultra perfectionnés. L’orage de l’Irak plane au-dessus de ces gosses privilégiés. Cela ne les empêche pas de sortir et de fêter ça. Un soir, Nick rencontre un drôle de type. Un gars petit avec un costume 3 pièces rayé, une touffe de cheveux noirs et une machine à expresso chromée dans sa chambre. Le type ne jure que par un groupe intitulé "The Music" qu’ils vont voir en concert. Mc Donell écrit : "Je n’ai plus trop entendu parler de The Music depuis ce concert, mais le petit gars était sûr qu’ils allaient bientôt décoller. C’était possible, effectivement, mais tout le monde semblait sur le point de décoller."
    Voilà le don de ce gosse, écrire le plus difficile. A savoir un univers où tout le monde semble sur le point de décoller. Il raconte tout cela d’un oeil détaché en étant le seul à voler au-dessus des autres, presque malgré lui, comme si c’était normal de savoir mettre sur papier ce genre de truc."

    • laurence biava sur 12 septembre 2008 à 18 h 41 min
    • Répondre

    oui, j’ai lu le papier de Nicolas Rey, le passag e que tu cites est le meilleur du papier de Rey, qui lui-meme cite un des meilleurs moments du livre, en effet.
    Sa petite musique, d’accord. Terrifiant de maturité, c’est vrai. néanmoins, je pense que le livre est un petit peu surestimé, ce n’st pas non plus un essai sociétal pseudo décontracté sur la jeunesse américaine, faut pas charrier non plus.
    lo

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