« Joséphine » de P. Bagieu, « Seule en solo » d’Oxolaterre/S.Zuber, « Moi, je » A. Picault, « Péchés mignons » de M.Mazaurette/A. de Pins : les Bridget Jones version BD

Pas évident de s’attaquer au sujet ultra-rebattu de la célibataire trentenaire après le phénomène Bridget Jones (et ses épigones). Le thème est épuisé serait-on tenté de penser après les innombrables variations tant littéraires qu’audiovisuelles.

Et pourtant trois jeunes auteurs n’ont pas hésité à s’approprier cette désormais figure classique. Originalité c’est en version BD qu’elle se réinvente avec plus ou moins d’humour et de singularité. La célibattante, un sujet inépuisable ? (à noter également la sortie d’un nouvel opus d’Aurélia Aurita : « Je ne verrai pas Okinawa »)

COUP DE COEUR : Pénélope Bagieu, la blogueuse-BD à succès (elle réunit chaque jour plus de 25 000 lecteurs sur http://www.penelope-jolicoeur.com/ et a déjà publié l’an passé un recueil de ses meilleures illustrations sous le titre de « Ma vie est tout à fait fascinante », vendu à 30 000 exemplaires), a imaginé les mésaventures de Joséphine, célibataire donc, la « trentaine », « un gros cul » (c’est Pénélope qui le dit et on sent qu’elle a pris un malin plaisir à forcer le trait sur les hanches girondes de la dame !), des seins minuscules (ce qui ne l’empêche pas de se lâcher sur le décolleté… qu’elle ne remplit pas), une sœur bourge snob mariée deux enfants, un peu de mauvaise foi, gaffeuse sympatique, jamais à un paradoxe près et surtout une grande rêveuse prête à tout pour rencontrer l’homme idéal… Sous forme de saynètes-gags d’une page, Pénélope Bagieu croque avec malice, justesse et un art certain de la chute qui tue, la vie quotidienne de cette jeune-femme moderne et ses petits déboires, pour notre plus grand plaisir. Qu’il s’agisse de ses petits complexes sur la plage jusqu’à sa vie de bureau monotone et ses collègues un peu lourdingues, en passant par ses rendez-vous (de Meetic aux soirées drague…), ses tentatives de se remettre au sport, de jouer à la tata gâteau jusqu’à enfin ze rencontre (et son cortège de rituels de séduction). Parmi les planches les plus réussies, citons le « Joséphine consulte », « Joséphine n’a pas de vie privée », « Joséphine ne perd pas de vue ses objectifs » ou encore « Joséphine est totalement en confiance ».


BONNE SURPRISE : Original, « Seule en solo » (au titre qui met immédiatement dans l’ambiance !) invente une nouvelle forme éditoriale : après le roman graphique, la nouvelle graphique.
Avec son micro-format qui se glisse facilement dans la poche, son auteur Sophie Zuber (par ailleurs chroniqueuse sur France 5 sur l’émission « Les maternelles ») revisite, dans une veine caustique le quotidien d’une célibataire toute aussi parisienne que Joséphine mais un poil plus branchée et moins godiche que la première.
S’affranchissant du système de cases, elle nous présente grâce au trait de crayon très cartoon d’Oxolaterre (qui rappelle celui de son collègue Arthur de Pins, présenté ci-dessous, pour ses silhouettes à grosse bouille et corps de fourmis), les petites galères et autres états d’âmes du célibat. Flanquée de ses deux amis tout aussi losers, elle brosse un portrait mi-acide mi-amusé de leur quotidien.
Parmi les anecdotes plus convenues (les repas en famille, la pression des parents, de ses amis en couple (« Chez les couples, je suis l’attraction de la soirée » lui posant la sempiternelle question « T’as quelqu’un en ce moment » tout en fantasmant secrètement sur sa liberté « Parfois, j’tenvie : « TU DOIS T’ECLATER« ) , les rendez-vous catastrophe qui s’enchaînent…), on savoure aussi quelques situations nouvelles induites notamment par ses deux acolytes dohttp://www.buzz-litteraire.com/ecrire/images/bt_br.pngnt l’un est amoureux transi d’elle ou encore la tendre autodérision dont elle fait preuve : « Et puis on va voir les films de Hong Soo Kai qu’on adoooore !! Parce que quand on est célibataire, on est cultivé. »

Dans la veine des petits carnets d’Aude Picault (blogueuse et illustratrice pour le magazine Voici), « Moi je », qui décrivaient les errances et désillusions sentimentales et professionnelles de cette jeune graphiste et illustratrice parisienne avec un dessin à la fois épuré, rond et tendre (pas si éloigné d’une Aurélia Aurita). Elle y décrit, avec nonchalance et humour mâtiné d’une douce mélancolie, l’éphémèrité des relations actuelles, le mythe de « l’homme de sa vie » la drague dans les bars, les espoirs amoureux un peu pathétiques, la solitude et le besoin d’affection, les petites jalousies et superficialités ordinaires, l’ennui au travail sous la houlette d’une supérieure sadique, l’envie de changer de vie, d’une vie plus exaltante face à la monotonie du quotidien… Le portrait d’une certaine génération et époque brossé avec fluidité et lucidité.

PETITE DECEPTION : Dans une version résolument libérée voire débridée, la Bridget Jones imaginée par la célébre (sex)blogueuse Maïa Mazaurette sous le crayon d’Arthur de Pins, est plus proche des quatre amazones de Sex and the city et plus particulièrement d’une Samantha Jones (la croqueuse d’hommes).
Son héroïne Clara est une obsédée, une « garce » (pour reprendre le titre de ce tome 3 de la série « Péchés mignons », « Garce attack ») qui n’a qu’une préoccupation : trouver son prochain cuni.
Et pour cela tous les moyens sont bons, qu’il s’agisse de mettre le feu chez soi pour faire venir un beau pompier, draguer tout ce qui bouge, se faire passer dessus par tous les stagiaires et autres employés de son open-space au bureau, y compris en désespoir de cause ses copines ou même le chien… De quoi « faire se retourner Simone de Beauvoir dans sa tombe », comme l’énonce un des personnages.
Adeptes de la finesse s’abstenir, ici on fait dans la joyeuse gauloiserie voire le trash qui fera sourire ou pas.

A noter aussi la sortie d’un nouvel album d’Aurélia Aurita, connue pour les tomes 1 et 2 de « Fraise et chocolat », la jeune femme poursuit le changement de registre amorcé dans Fraise et chocolat 2 pour aborder la question de l’immigration à travers le récit d’une kafkaïenne « garde à vue » à l’aéroport de Tokyo alors qu’elle transite vers Okinawa, la menaçant d’expulsion du Japon. Elle développe ici la question du racisme galopant qui lui tient tant à cœur, elle qui en a été victime tout au long de sa vie tant en France qu’au Japon. Au cours de ces interrogatoires musclés et des tests qu’elle doit subir, elle dépeint la montée du stress, de la tension, l’humiliation, son attachement au Japon et les doutes sur son identité. On est donc bien loin de l’ambiance légère et sulfureuse de ces précédents opus, mais hélas, péchant par son caractère trop administratif et répétitif, le charme a disparu au passage pour laisser place à l’ennui…

3 Commentaires

  1. Tiens on m’a offert le Péchés Mignons que tu évoques là avec aussi le tome 1 hier 😉 C’est vrai que ça fait pas la finesse et le personnage de l’osédée sexuelle à ce point, c’est quand même un poil too much (quoique des filles un poil too much avec le cul, ça existe aussi dans la vraie vie, voir le très très pornographique blog de Sex Eden: http://www.sexeden.fr/blog/ )

    • folantin sur 7 janvier 2009 à 13 h 33 min
    • Répondre

    En matière de graphic novel sur la vie trépidante des célibataires, la maison recommande "épuisé" de joe matt.

    Version masculine des histoires ci dessus, un poil plus trash je présume.

    livres.fluctuat.net/joe-m…

    (ma famille me l’a offert pour mon petit noël, je me demande s’il y a un sous texte la dedans…)

    • folantin sur 7 janvier 2009 à 14 h 39 min
    • Répondre

    (j’avais loupé ce billet)

    C’est assez marrant de voir comme au fil du temps, des espèces d’archétypes sociaux se constituent, qui génèrent un flot de produits culturels dérivés.

    Disons que la célibatante est la version moderne de la vielle fille balzacienne, tandis que l’ubergeek (joe matt, quiby the mouse, jimmy corrigan, rusty brown…) serait le pendant moderne du vieux garçon huysmansien (la collectionite de des esseintes, première manifestation de la geekitude ?).

    C’est à dire que mine de rien j’ai l’impression que le regard social n’est pas le même suivant le sexe et l’époque.

    encore que, on peut trouver tout un tas de produits dérivés (je pense aux séries télés notamment)qui dépeignent des geeks sympas rigolos bien dans leurs basques. Le sujet représenté étant le principal consommateur des produits qui le mettent en scène, on se garde de rire trop à ses dépends.

    En fait Matt analyse ça très bien dans épuisé : "Mon petit noyau de fans est constitué par des mecs, et la plupart sont juste des losers qui s’identifient". La dimension autobiographique désamorce la violence de la charge.

    C’est pour ça que je préfère rusty brown je crois. Le regard de Ware n’est pas complice avec son personnage (a fortiori avec son lecteur). Il y a une acidité qui le déborde, qui plonge tout le reste dans la même misère.

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