« Un roman français » de Frédéric Beigbeder dévoile ses premières pages… (rentrée littéraire 2009)

Le roman très attendu de Frédéric Beigbeder , « Un roman français« , un titre entre « Un roman russe » de Carrère et « Une vie française » de Dubois, d’ores et déjà annoncé comme un grand cru (voir la chronique de Laurence Biava qui le compare à « Les mots » de Sartre), dévoile ses premières pages. Ce roman autobiographique prend pour prétexte de flash back la garde à vue de l’auteur, incarcéré pour usage de stupéfiants et délit de fuite. Alors qu’il doit passer la nuit au Poste, l’écrivain replonge dans ses souvenirs et se livre à un bilan de la quarantaine : de son enfance bourgeoise entre Neuilly et la plage de Guéthary à son père mondain et absent, une mère déprimée par l’échec de son mariage, un frère aîné autoritaire et fortuné, des premières amours déçues…, sur fond de nouvelle société post-soixante-huitarde. Une nouvelle mise en abyme identitaire qui révèle encore sous un nouveau jour l’homme et l’oeuvre. Extrait :

« Je ne me souviens pas de mon enfance. Quand je le dis, personne ne me croit. Tout le monde se souvient de son passé; à quoi bon vivre si la vie est oubliée? En moi rien ne reste de moi-même; de zéro à quinze ans je suis face à un trou noir (au sens astrophysique: «Objet massif dont le champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper»). Longtemps j’ai cru que j’étais normal, que les autres étaient frappés de la même amnésie. Mais si je leur demandais: «Tu te souviens de ton enfance?», ils me racontaient quantité d’histoires. J’ai honte que ma biographie soit imprimée à l’encre sympathique. Pourquoi mon enfance n’est-elle pas indélébile? Je me sens exclu du monde, car le monde a une archéologie et moi pas. J’ai effacé mes traces comme un criminel en cavale. Quand j’évoque cette infirmité, mes parents lèvent les yeux au ciel, ma famille proteste, mes amis d’enfance se vexent, d’anciennes fiancées sont tentées de produire des documents photographiques.

Je ne mens pas par omission: je fouille dans ma vie comme dans une malle vide, sans y rien trouver; je suis désert. Parfois j’entends murmurer dans mon dos: «Celui-là, je n’arrive pas à le cerner.» J’acquiesce. Comment voulezvous situer quelqu’un qui ignore d’où il vient? Comme dit Gide dans Les Faux-Monnayeurs, je suis «bâti sur pilotis: ni fondation, ni soussol». La terre se dérobe sous mes pieds, je lévite sur coussin d’air, je suis une bouteille qui flotte sur la mer, un mobile de Calder. Pour plaire, j’ai renoncé à avoir une colonne vertébrale, j’ai voulu me fondre dans le décor tel Zelig, l’homme-caméléon. Oublier sa personnalité, perdre la mémoire pour être aimé: devenir, pour séduire, celui que les autres choisissent. Ce désordre de la personnalité, en langage psychiatrique, est nommé «déficit de conscience centrée». Je suis une forme vide, une vie sans fond. Dans ma chambre d’enfant, rue Monsieur-le-Prince, j’avais punaisé, m’a-t-on dit, une affiche de film sur le mur: Mon Nom est Personne. Sans doute m’identifiais-je au héros.

Je n’ai jamais écrit que les histoires d’un homme sans passé: les héros de mes livres sont les produits d’une époque d’immédiateté, paumés dans un présent déraciné – transparents habitants d’un monde où les émotions sont éphémères comme des papillons, où l’oubli protège de la douleur. Il est possible, j’en suis la preuve, de ne garder en mémoire que quelques bribes de son enfance, et encore la plupart sont fausses, ou façonnées a posteriori. Pareille amnésie est encouragée par notre société: même le futur antérieur est en voie de disparition grammaticale. Mon handicap sera bientôt banal; mon cas va devenir une généralité. Reconnaissons toutefois qu’il n’est pas courant de développer les symptômes de la maladie d’Alzheimer au mitan de sa vie. »
Copyright Grasset. En librairie le 18 août.

A lire, la chronique : « Un roman français » de Frédéric Beigbeder : « Les mots » d’un existentialiste moderne)

Frédéric Beigbeder résume en ces termes son dernier roman : « C’est l’histoire d’un homme devenu jouisseur pour se venger d’être quitté, d’un père cynique parce que son coeur était brisé. C’est aussi « l’histoire d’un grand frère qui a tout fait pour ne pas ressembler à ses parents, et d’un cadet qui a tout fait pour ne pas ressembler à son grand frère ». C’est enfin « l’histoire d’une humanité nouvelle, ou comment les catholiques monarchistes sont devenus des capitalistes mondialisés« 

7 Commentaires

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    • laurence.biava sur 9 juillet 2009 à 12 h 02 min
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    Oui, à très bientôt pour la suite…des événements….
    C’est un roman immense. Un cri. Un chef-d’oeuvre. d’un très grand écrivain français. (espérant avoir tout cerné, tout compris).
    lo

  1. Beigbeder est à mon sens un auteur qui écrit des livres interessant que quand il parle de lui. Un peu comme Nothomb. A voir …

    • laurence biava sur 10 juillet 2009 à 17 h 27 min
    • Répondre

    Frédéric BEIGBEDER a décidément bien fait d’écrire cette AUTOBIOGRAPHIE afin de faire comprendre et admettre une bonne fois pour toutes que c’est la première fois qu’il parle de lui dans un roman. N’estpas LITTERAIRE celui qui ne saiT pas farie la diffréence entre la fiction et la réalité, autrement dit, entre L’AUTOFICTiON ET L’AUTOBIOGRAPHIE. Oscar Dufresne et Octave Parango ne SONT pas Frédéric Beigbeder, mais des personnages de roman fictionnel. Quel démenti cinglant que ce chef -d’oeuvre à tous ces jugements formulés à l’emporte-pièce.
    A bientôt.

    • Nono sur 12 juillet 2009 à 10 h 57 min
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    C’est peut de l’autofiction ce qu’a fait jusqu’à présent F.Beigbeider mais une chose est sure: c’est une fiction qui prend sa source dans des faits réels qu’à fort probablement vécu cet auteur…

    • arthur sur 26 juillet 2009 à 19 h 50 min
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    Je l’ai reçu début juillet de sa part. Il est génial. Différent des autres par son ambiance. Très réussi. Bravo !

    • lydia sur 17 août 2009 à 16 h 29 min
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    ah non laurence , je suis absolument pas d’accore avec toi !!!!!!! Oscar et octave sont beig , "Un roman Francais " je ne l’ai pas encore lu et je ne c pas si je dois lire une troisieme autobiographie dont l’evenement nouveau reste ses deux nuit de garde a vue .

  2. Un livre lu en une soirée, un vrai plaisir, une autre atmosphère que dans les autres Beigbeder. A lire !!

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