24 secondes dans la vie de Stéphane Million, éditeur [BUZZ… littéraire Guest] #7

Dans le cadre de notre rubrique « BUZZ… littéraire Guest », notre invité Stéphane Million, jeune éditeur indépendant et fondateur de la revue littéraire « Bordel » vous donne rendez-vous mensuellement pour une tranche de vie sur son nouveau métier et livre son regard de lecteur impénitent sur l’actualité littéraire.
Cette semaine, une chronique riche: il partage sa colère sur la distribution de ses livres, l’ouverture d’une boutique en ligne mais aussi Facebook, ses titres de la rentrée, les lectures publiques de ses auteurs, en passant par le nouvel opus de Frédéric Beigbeder « Un roman français » qu’il a lu…

J’ai des colères qui ne durent pas. Parfois je bouillonne tout nerveux quand je vois la nullité que je lis, quand j’entends la nullité que j’écoute. Récemment au concert d’un ami, il y avait une piteuse première partie : un gars sympa (soit) mais des chansons d’une cruchitude affligeante. J’avais abordé sa petite-amie juste avant son set. Bien ma veine, je parle à UNE fille, et c’est LA copine du chanteur… Je me demande si elle est restée avec lui, tellement c’était mauvais, et honteux, surtout. J’étais atterré. J’en parlai à Jérôme (Attal), qui m’annonça que ce chanteur (surtout un très bon musicien, ça, je le reconnais) avait signé un contrat avec le plus gros label français (et mondial, voire universal).

Derrière nous, une petite chanteuse, au minois angélique, à la voix enfantine, aux stratégies (im)pitoyables, nous souriait, surtout à Jérôme. Elle avait signé son album et sa chanson (le pire texte jamais écrit, entendu, propagé) passait sur les ondes (je l’entendis une nuit sur FIP chez une petite avec qui j’avais envie de m’endormir et de me réveiller, mais je repartis seul sous un bordel étoilé). Son producteur (un petit replet et chauve) tentait de la rejoindre, trépignait, zieutait maladivement vers la petite créature pure et totalement mécréante qui avait rejoint le cœur de la salle et le plein spot de lumières. Le petit bonhomme avait été bloqué, entre autres, par ma carcasse immense et juste. Il passa un horrible concert, à suinter, à se retourner les entrailles, à quelques mètres inaccessibles de sa dernière petite trouvaille, jolie et chic.

En rentrant, à pied, je prenais conscience de la bêtise de mes emportements. Ça ne mène à rien. C’est mon côté puéril. Mon côté ado punk. Ça râle en moi, et puis, la « Machina » est ainsi ; je me fais à cette réalité. Il y a tout de même des berges marginales possibles, j’essaie de les utiliser, de les rendre navigables. C’est la seule chose à faire.

Avancer et continuer l’aventure. Tant que je le peux.

J’ai donc quitté mon diffuseur distributeur, Vilo. Je ne peux pas trop chiffrer le préjudice sur mes ventes, mais : retards sur les mises en place (trois semaines pour Barbara Israël, par exemple), la faiblesse de la diffusion sur les derniers titres (150 pour l’excellent Saleté ! de Chloé Alifax)… sans oublier la souvent mauvaise image auprès des libraires. Malgré des personnes de qualité, Vilo n’avait plus « la tête » pour bien travailler un petit éditeur. Se focalisant sur des « coups » et les beaux-livres. Mais bon… Un beau gâchis pour bibi. Et bien des regrets pour les auteurs.

J’ai tenté plusieurs « gros » diffuseurs (le distributeur étant un logisticien) : Frédéric Salbans d’Harmonia Mundi (trouvant mon « travail extrêmement intéressant ») me dit non au moins « jusqu’en 2011 » (ça me rappelle quelques filles, ça…) ; le très sympathique Mathias Echenay de la CDE (Gallimard) me dit que ce n’était pas le bon moment ni pour moi ni pour eux (ah bon ?) ; la nouvelle boss de Volumen fraîchement nommée, Anne-Sophie Nguyen, m’envoya un mail pour me dire qu’elle partait en vacances (en vacances ?!), et revenait le jour où je devais prendre ma décision, pour ne pas faire une présentation commerciale chez Vilo, et ainsi être correct vis-à-vis d’eux ; UD (Flammarion) ne me répondit jamais…

Ça donne un peu envie de donner des coups, non ? Zen. Il faut rester tranquille. Et je ne suis pas le plus à plaindre. Une amie éditrice indépendante, se diffusant elle-même, m’envoya ces gentils mots : « Tu es un mec tranquille, pragmatique et raisonné, que j’aimerais être comme toi. »

Oui…

Bon, en discutant avec des professionnels institutionnels du livre (de la DRAC, de Dilicom), j’ai pris connaissance d’un petit diffuseur, très sérieux de réputation : Pollen. Un mail envoyé, un appel de son directeur et un rendez-vous concluant. Ce fut rondement mené. Allons butiner. Une structure qui présente des signes de sérieux et d’ambition : dès l’entrée, nous sommes reçus par une statuette du Prix de l’entrepreneur HEC (c’est dire, ha ha ha).
D’un point de vue de ma maison, c’est un petit peu une nouvelle première année, c’est une chaude transition. Pas de sorties avant octobre : 1) parce que Vilo ne bossait plus trop mes livres, donc pas de sorties depuis mars et 2) parce qu’en signant en juin avec Pollen, le premier office était de celui d’octobre ; des retours des libraires via Vilo (les libraires renvoient mes livres pour être remboursés) ; et pas de traites de Pollen avant janvier (les livres facturés en octobre sont payés à l’éditeur à 90 jours)… Serrons les fesses.

Heureusement, il y a Facebook (sans mauvaise transition). Facebook permet de retrouver : ses amoureuses du lycée, devenues mariées, beaucoup moins jolies, souvent aigries ; ses vieux potes de chouilles, qui n’ont pas vraiment changé (ça peut faire peur) ; de draguer des petites, des grandes, des callipyges, des jolis minois ; mais c’est aussi un merveilleux outil de communication pour mes livres. Tous les auteurs ont un groupe : Jérôme Attal est très actif par exemple (il a fait un groupe pour chaque livre, il fait un événement pour chaque dédicace etc.). Il est là. C’est important de défendre son livre. Je suis un petit éditeur, j’ai besoin de faire connaître mes livres, et de l’huile de coude de mes auteurs, et Facebook est un moyen simple, gratuit et relativement efficace. Ça me ressemble, je trouve. Il y a un côté sympa là-dedans. Sans devenir de grands potes, on peut échanger quelques mots, se montrer curieux à l’autre, comme si on papotait avec quelqu’un dans un café, s’intéressant à ce qu’il nous raconte.

Pour mon grand roman d’octobre, En moins bien d’Arnaud Le Guilcher. J’ai expérimenté un truc, via le groupe (avec les premiers articles parus, les photographies de Jean-Baptiste Mondino et Richard Dumas) : proposer d’acheter directement à l’éditeur le roman en avant-première. J’ai envoyé un mail aux membres du groupe, je vais voir comment ça évolue, c’était durant le week-end du 14 juillet. Si ça prend, ça peut me permettre de faire une trésorerie et de lancer des projets qui ne pourraient pas voir le jour. Je fonctionne ainsi, le plus gros des sous repart dans des bouquins.


La nouvelle boutique en ligne de Stéphane Million : faites le plein de livres !

Le changement de distributeur condamne un peu les livres parus. Étant dans l’obligation d’informer les libraires de mon changement de diffuseur en publiant une annonce légale dans Livres hebdo, je me retrouve avec plein de retours : des livres qui auraient pu être acheté à n’importe quel moment reviennent dans les entrepôts… Mais bon, je n’avais pas le choix. C’est aussi pour cela que j’aie speedé à mettre en ligne une boutique : http://stephanemillionediteur.fr

J’espère que ça marchera. On verra bien.

Comme je fus ravi de revoir Frédéric à l’une de mes soirées ! Le 16 juin dernier, j’organisais à la galerie Chappe, une exposition des collages de mon ami Erwan Denis, Plaisirs de Myope, et des dessins, réalisés le jour même, par mon ami Jean-Charles de Castelbajac. Avec des lectures dès 19 heures. J’ai filé un max de livres, et même certains dédicacés à des amis ont été embarqués par quelques petits chacals de vernissage… mais bon.


Soirée de Stéphane Million à la Galerie Chappe avec Frédéric Beigbeder invité à gauche

La petite salle des lectures était super chouette, avec un côté un peu « torture ». Une chaise pleine lumière face à une trentaine dans la pénombre. La lecture de Fanny Salmeron fut très émouvante, ça sentait lacrymal dans la carlingue. Je ne vais pas faire un topo sur chaque lecture, c’était vraiment très bien. Mais citons les lecteurs : Jérôme Attal, Fanny Salmeron, Hélèna Villovitch, Alexandra Geyser, Charlie Bruneau (qui a lu du Philippe Sohier), Renaud Santa Maria et Régis Clinquart. Fin du bazar à 1h du matin. Une belle soirée. Frédéric Beigbeder était là à chaque lecture. Il a même dédicacé des Bordel Imposteur !

Ha ha ha (avec le rire de Frédéric).

Il m’a envoyé son Roman français dans la foulée. Il reprend sa structure binaire : un chapitre de souvenirs d’enfance / un souvenir de sa garde à vue. Son grand-père maternel, je l’adore. Il aurait mérité tout un roman. Un mois après la lecture, je l’ai encore en tête, tel que je l’imagine. Proche du mien, un peu. Bien que le mien ne soit pas issu du même milieu social. Mais il y a une force terrestre que j’aime. Le passage de l’Occupation est très drôle, très efficace, en quelques mots. Ses grands-parents hébergent une famille juive parisienne, parce que ce sont des amis d’amis… mais ses grands-parents sont maurassiens, catholiques. Néanmoins, la famille juive est logée au deuxième étage du manoir. Des officiers allemands viennent souvent admirer les Pyrénées du parc de la demeure : les grands-parents passent la guerre avec la peur d’être découverts. En août 1945, la famille juive repart sur Paris, sans remerciements, d’un « Quatre ans de foutus ! Vivement Paname ! »
Je trouve cela très percutant, sur la relativité de l’histoire et de cette époque – si malmenée aujourd’hui.
Concernant les passages de la garde à vue, je n’ai pas grand-chose à dire. Il y a le chapitre sur le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, qui a voulu se payer une vedette et a prolongé la garde à vue. Il y a un côté enfantin à lui régler son compte, un peu théâtral, un peu burlesque, mais c’est dit, il le fallait. C’est du courage. Du courage gascon ! Avec un panache à la Cyrano.
Je reste attaché aux grands-parents, aux odeurs de l’enfance, au terroir. J’imagine que le gros des articles concernera le débat sur les gardes à vue en France, sur la qualité de nos prisons, ou bien, les journalistes s’intéresseront au portrait du frère, Charles, devenu grand patron du Medef : jeune adolescent qui collectionnait les minettes, et les réussites scolaires.

Tout ça, ce n’est pas trop mon truc. Mon truc, c’est plus les forêts des Landes, la beauté Basque, la force de la terre.

Bon, les amis,

Bel été à vous !

En mieux.[Stéphane Million]

Voir les précédents épisodes de 24 secondes dans la vie de Stéphane Million, éditeur

4 Commentaires

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  1. C’était bien, le 16 juin, oui ! Une belle générosité (et pas seulement parce qu’on y donnait des livres) – et du coup, une vraie envie de voir la rentrée En moins bien.

    (je m’inscris pour l’avant-première, Stéphane) (ferme)

    (PS – le Fanny Salmeron dans le dernier Bordel est aussi excellent)

    • laurence biava sur 15 juillet 2009 à 15 h 29 min
    • Répondre

    Moi aussi , je m’inscris poru l’avant première. Complètement okay avec Stéphane sur la partie grand-père maternel de Chasteigner et la famille ancestrale versus française de Frédéric, je viens d’échanger avec lui sur Facebook. A plus tard.
    Lo

  2. C’est vrai que ce rendez-vous avec Stéphane Million est de plus en plus sympathique.

    Et cette librairie en ligne est vraiment une bonne idée !!

    • Octave sur 16 juillet 2009 à 14 h 18 min
    • Répondre

    Il n’y a pas à dire, cette Fanny Salmeron est étonnante et très talentueuse.

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