« A la folle jeunesse » : Que reste-t-il d’Ann Scott et des années techno ?

Que reste-t-il des paillettes une fois qu’elles touchent le sol ? C’est ce que raconte Ann Scott dans son nouveau roman « A la folle jeunesse ». Un roman sensible et trouble dans lequel l’auteur culte des années 2000 revient sur le retentissement littéraire de « Superstars » et tire le fil de ses errances des dix dernières années. L’excès de strass laisse parfois la désagréable impression d’un trou noir… Entre crise de la quarantaine et retour sur une jeunesse révolue à laquelle elle s’accroche toujours, Ann Scott, qui n’a pas réussi à renouer avec le succès depuis, tente une nouvelle fois de convoquer son livre phare (elle lui avait aussi donné une suite avec Héroïne en 2005) pour ranimer la flamme et alimenter son propre mythe… :

« Je ne crois qu’au coup de foudre, je refuse de faire la même chose qu’un tas de gens que je connais : essayer quelqu’un.« 

Ann Scott. La seule évocation de son nom rappelle la folie des années 2000. Octobre, les éditions Flammarion publient « Superstars ». L’engouement médiatique est immédiat. Nicolas Rey clame qu’il s’agit des « Liaisons dangereuses à l’époque de Technikart ». « Manifeste de la génération techno », « premier roman pop français jamais écrit », « porte-voix de la communauté homosexuelle », Ann Scott, l’ex-musicienne et ex-mannequin franco-russe, devient un emblème. Et ce malgré elle. La techno et le rock coulent à flots sur Louise, l’héroïne du deuxième roman de l’écrivaine. Cette jeune femme se cherche dans les soirées parisiennes branchées, le nez dans la poudre, entre une femme et son ancien amant. Un roman écrit à la troisième personne dont les critiques s’empressent pourtant de qualifier d’autobiographique. Ce n’était pas si simple… Avec « A la folle jeunesse » rien, non plus, n’est évident.

« Je ne porte pas le nom de mon père. Je porte un pseudonyme trouvé du temps où j’étais mannequin. Mon père non plus ne porte pas le nom de ses parents. Il porte un nom composé des deux noms de familles des deux personnes qui l’ont adopté. Ma mère non plus ne porte pas le nom de ses parents, elle porte aussi un pseudonyme pour son travail. Mon frère adopté porte le nom de mon père, et pas moi…« 

Il s’agit bien là d’une œuvre à part entière, pas d’un règlement de comptes. Ramassé sur une journée « A la folle jeunesse » esquisse sa drôle de famille friquée et absente entre sa « nuisance » de père et sa mère photographe : « Dans les familles aisées, il y a toujours eu des nourrices pour élever les enfants, mais pour ma mère j’ai l’air d’être autre chose, une nièce ou la fille d’une amie qu’elle trouve agréable une demi-heure avant de s’ennuyer« … Et surtout sa famille recréée d’amis, d’êtres aimés et perdus qui emportent avec eux le souvenir de ce que nous avons été, l’inconsistance de la mémoire et la faiblesse du corps bercée par la mélancolie. Du polaroïd de ses dix ans, à sa voisine de pallier en passant par son chauffeur, ses phobies, Paris côté palaces, le Maroc, les hordes de journalistes ou de fans et les morceaux de musique qui ravivent les sensations jusqu’à l’amour qui se meurt… A propos de Superstars, elle résume : « (…) C’était enfin le portrait, le portrait d’une catégorie de jeunes artistes avides de reconnaissance planétaire sur fond de MTV, le tout, il faut bien le reconnaître, noyé dans une débauche de sexe et de drogues en tout genre. Ce livre aurait dû rester un témoignage confidentiel au lieu de la méprise qu’il allait devenir. »

Sur sa perception, elle note : « C’était franchement embarrassant, mais c’est ce que les gens veulent, maintenant. Ils veulent de la peur, du sexe et des remords. Ils veulent vous voir baisser les yeux ou insulter le présentateur. »

« Plus jeune, je me persuadais que je mourrais à 24 ans comme James Dean, puis à 27 comme Joplin, puis à 33 comme Belushi. Maintenant je me dis peut-être à 44 comme Nico.« 

Ann Scott donne corps à un riche univers. Subtilement, une page se tourne sur un vécu, un passé, une expérience aliénante pour laisser place à la volonté de recommencer, de faire place nette en tirant les leçons qui s’imposent pour l’héroïne de ce roman. Et peut-être bien pour la romancière… Il n’y a pas de réponses aux doutes que ce désir charrie, de recettes miracles pour se réapproprier sa vie. Seulement la justesse des questionnements, des élans comme des hésitations.

Changement d’éditeur (de Flammarion à Stock) et confirmation d’un talent. Ann Scott donne le ton de sa rentrée littéraire : tout est vrai, tout est faux. Débusquer l’écrivaine dans ce récit à la première personne semble rapidement vain. Ann Scott convoque Bret Easton Ellis, chef de file de l’autofiction américaine d’un coup de SMS : « Tu serais outré que mon nouveau livre commence comme le tien ? » (c’est-à-dire comme « Lunar Park »). Et Ellis de lui répondre « N’oublie pas que les gens croient toujours ce qui est écrit. » Elle s’attache à construire et déconstruire une identité autant qu’un mythe au fil de souvenirs d’enfance et de soirées aux dénouements flous.

Entre mensonge et vérité, la plume, le style sonnent justes. Précision, concision, phrases directes et courtes, Ann Scott vise et frappe. Brutalité patinée de fragilité, réjouissant et touchant. La problématique de l’écriture elle-même est omniprésente. « Je ne crois pas avoir lu un seul livre durant cette période. Chaque fois que j’en ouvrais un médiocre, je le jetais contre le mur, sidérée qu’il ait pu être publié, et chaque fois que j’en ouvrais un bon, je le refermais aussitôt tant ça me mettait face à mon impuissance. Je voulais écrire quelque chose qui compte, qui justifierait qu’on s’y arrête ; quelque chose de consistant mais aussi d’honnête, de généreux, qui redonnerait ce que j’avais reçu des auteurs que j’avais aimés. » De multiples références littéraires (de Sagan à Dostoïevski…) jalonnent également le texte de la quadragénaire. Se pose la question du roman dans lequel un auteur se retrouve sans se perdre une fois l’œuvre donnée en pâture aux critiques, du livre qui existe trop fortement et qui effacent les autres.

Un coup d’éclat littéraire ne suffit pas. Avec « A la folle jeunesse » Ann Scott s’affirme comme écrivain sans le qualificatif réducteur de générationnel. Elle qui n’aime pas les étiquettes, surtout celles qui sont si douloureuses à arracher, comme les paillettes incrustées dans la peau que l’on racle du bout des ongles les lendemains de fête délétères… [Anne-Laure Bovéron]

A lire aussi : la chronique de Superstars

3 Commentaires

  1. Anna Scott ou la folie des années 2000…

    • papitoso sur 19 septembre 2010 à 10 h 49 min
    • Répondre

    moui. bon, désolée, mais peu de talent chez Ann Scott, qui, si elle fut une chroniqueuse honnête des années 90, n’est pas un écrivain. en tout cas, pas au sens de Fitzgerald, Huysmans, Musil, Ellis, ici dévalisé aussi bien en terme de structure que de construction des phrases. sauf qu’elle n’a pas de sens de la poésie, pas le sens du rythme, pas le sens du mot juste, une incapacité totale à nous faire oublier qu’il ne se passe rien, qu’il ne va rien se passer, que tout cela est vain. cette folle jeunesse est vieille maintenant, elle a les bras qui pendouille et l’oeil vitreux. autant la 1ère partie de lunar park (que pille scott, en en comprenant parfaitement les enjeux, mais incapable d’en offrir une variation personnelle ; c’est insupportable comme lunar park est derrière chaque phrase) nous plongeait dans l’abîme émotionnel que décrivait ellis, autant folle jeunesse nous donne envie de coincer scott entre 4 yeux et lui demander "hey, t’as pas bientôt fini de te plaindre ?". la sensation que j’ai en refermant ce bouquin, c’est d’avoir jouer au psy d’ann scott pendant 2 heures (hochement de tête et grognements d’acquiescemement), elle aurait pu être allongée là sur mon canap à me débiter le contenu de folle jeunesse à la virgule près (ann si tu lis ça, tu me dois 150 euros), autocomplaisance, fausse (im)pudeur, et beaucoup d’embarassement à l’endroit de ce personnage "Ann Scott", faible dans ses mots, dans son rapport au monde, dans sa capacité émotionnelle. ann scott ne sera probablement jamais rangée sur cette étagère, pas loin de Sagan et de Dostoievski. Vanité. Finissons-en avec l’autofiction comme école. Un outil pour quoi pas, une fin en soi, sûrement pas. il est temps de passer à autre chose, retrouver du souffle. économisez 15 euros.

    • mathieu sur 8 novembre 2010 à 14 h 53 min
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    même remarque que sur l’autre page sur le flore, tu as du passer à coté du livre complètement 🙂

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