Entretien avec Nicolas Fargues, prix France-Culture Télérama 2011, pour son roman « Tu verras »

Nicolas Fargues a remporté, le 16 mars 2011, lors du Salon du Livre à Paris, le prix France-Culture Télérama pour son huitième roman « Tu verras » qui vient relancer son œuvre, après deux derniers opus moins plébiscités (« Beau rôle » et « Le roman de l’été »). Un titre qui fait écho à la fameuse sentence parentale « Tu verras quand tu seras grand… » et dresse un portrait père-fils dérangeant et émouvant qui rompt quelque peu avec le cynisme habituel de l’auteur :


A la façon d’une longue lettre posthume, Fargues explore une fois encore à travers ce roman notre époque (ses valeurs canonisées d’ambition, d’entreprise, de matérialisme, de compétition, de culte de la jeunesse et de la vigueur…), la nouvelle génération d’adolescents, les femmes (de l’ex-épouse à la maîtresse) et surtout la difficulté d’être un parent, tiraillé en permanence entre dévotion et dévoration ou même rivalité. Comment aimer, transmettre ? Qu’est-ce qu’aimer son enfant signifie? questionne-t-il. C’est être assujetti à l’ambivalence des sentiments, écrit-il. C’est avoir envie de bien faire en permanence en prenant le risque d’être rejeté par sa progéniture, c’est se culpabiliser, s’auto flageller beaucoup, c’est éviter de reproduire les erreurs d’ « avant », comme l’égoïsme de votre propre père. Nicolas Fargues dit aussi la détresse de ce père face à la disparition, l’absence de son fils, angoisse ultime de tout parent.
Ce néant d’un coup révélé, et le trauma qui en résulte.

Pourtant, malgré ses qualités, le roman pêche par son ton embrouillé et son style manque parfois d’exigence.
L’usage excessif de pronoms relatifs ou de mots de liaison viennent en particulier alourdir le texte. Même si ses phrases très longues, écrites sans discontinuité et sans répit, veulent sans doute traduire la douleur sans fin de ce père époumoné, ou au contraire, la vie qui ne s’arrête pas ? On regrettera aussi la fin bâclée et quelques stéréotypes parisiens et/ou bourgeois peu plausibles… Par ailleurs, le propos sur la résilience arrive trop tard.

Mais Fargues sait toujours aussi bien dénoncer les travers de ses contemporains, le ballet acide des familles décomposées, des rencontres forcées jusqu’à ses thèmes de prédilection: le rapport à l’autre, la lâcheté de l’homme moderne, le racisme ordinaire, les dîners mêlant snobisme, fausse compassion et manières affectées…

« Tu verras » est un roman sombre et pessimiste sur la paternité, malgré tout vécue comme une grâce. Un roman violent et cru et pas seulement parce qu’il raconte une tragédie moderne. C’est une réflexion pointue et sensible sur l’éducation, l’amour parental, l’incommunicabilité entre les êtres, les ruptures et les passages, nos remises en cause d’adulte et les étapes qui jalonnent l’existence. [Laurence Biava]

Photo d’Anne-Laure Bovéron

Extrait choisi de « Tu verras » :
« Clément avait hoché la tête en me fuyant du regard, terrorisé à l’idée d’être aperçu en présence de son papa par un groupe bruyant de scolaires présent dans la salle, plus soucieux qu’il était de porter son jean suffisamment bas et ses baskets suffisamment délacées que de me plaire à moi en faisant semblant d’apprécier les couchers de soleil de Turner. « Je ne t’ai pas amené à Londres pour te voir faire ta tête d’ado en crise ! ». Je l’avais froidement tancé en l’attrapant par le bras, prenant une revanche sadique à observer son visage se décomposer face au groupe de scolaires. Avant d’ajouter : « Là, maintenant, ça te passe complètement dessus de la tête, Turner. Mais plus tard, quand tu seras grand, lorsque tu entendras le nom de Turner, eh bien, tu te souviendras de ce tableau et tu me remercieras de t’avoir amené ici, tu verras ». ».

Entretien avec Nicolas Fargues :
Propos recueillis par Laurence Biava

Vous venez de recevoir le Prix France-Culture Télérama le soir de l’inauguration du Salon. Que représente cette récompense : un simple encouragement du « métier », une récompense globale pour les 8 romans publiés ou plus particulièrement pour ce dernier opus… ? Votre prochain livre en portera-t-il les fruits ?

Je considère ce prix comme une récompense attribuée par des professionnels exigeants. Il revêt une importance particulière pour moi, étant un fidèle, notamment, de France Culture. Je ne pense pas qu’il vienne tant couronner une « œuvre » en cours que ce roman précis, parce qu’il est tout simplement meilleur que mes précédents. Ce prix me rend heureux surtout parce qu’il donne une justification supplémentaire à ma démarche de romancier. La reconnaissance rassure. Je ne conçois pas que mon roman en cours puisse en « porter les fruits », puisque de livre en livre j’ai à cœur de rester libre d’écrire ce que je veux, en essayant de me dégager de toute tentation de « la bonne recette ». Si ça ne marche pas, je suis évidemment déçu mais tant pis.

Lors de vos remerciements chaleureux à l’égard de tous le soir de l’inauguration, – y compris « aux petites mains » de l’écriture, les correcteurs – vous avez parlé de « fierté » d’être publié chez Paul Otchakonsky-Laurens. Quel type de relation entretenez-vous ? A l’occasion d’un débat du Salon du livre sur le thème « La complicité à toute épreuve entre auteur et éditeur » Jean-Marc Roberts disait : : « L’auteur est innocent, l’éditeur est coupable. Il faut aimer l’auteur, le protéger. D’une certaine façon, nous formons un couple« . Que pensez-vous de cette remarque ?

Je ne me reconnais pas dans cette phrase, trop idéaliste et romantique à mon goût. A moins de s’appeler Minou Drouet, l’auteur me paraît tout aussi coupable que son éditeur lorsqu’il s’agit d’être mis face à ses responsabilités. Nous sommes adultes et écrivons en conscience et connaissance de cause. A ce titre, je ne me considère pas comme innocent, bien au contraire. L’écriture est pour moi l’inverse exact de l’innocence. Et je ne ressens pas le besoin d’être protégé par quiconque, dans ma vie comme dans ce que j’écris. J’ai dit être fier d’être publié par Paul Otchakovsky-Laurens parce que j’éprouve une grande admiration pour son talent et sa droiture, lesquels ont fini logiquement par lui valoir le respect et la reconnaissance du métier et, surtout, des lecteurs. Notre relation est faite d’un mélange discret de pudeur et de gratitude mutuelle.

Que pensez-vous de ceux qui arguent qu’il y a trop de prix littéraires et que « ce n’est pas le baise-main qui fait la tendresse »? Faites-vous une distinction avec vos précédentes récompenses (prix Valentin et Vaudeville) ?

Je n’ai pas d’avis sur l’excès ou non de prix littéraires. C’est comme le reste : on retiendra les plus sérieux et les plus légitimes, pas les autres. Même si je n’accorde évidemment pas la même importance au Prix Saint-Valentin (reçu en 2007) qu’au Prix Télérama-France Culture, je suis reconnaissant à ses organisateurs de me l’avoir remis puisque c’était la toute première fois que l’on me récompensait et cela m’a touché. Quant au prix Vaudeville (2008), j’en suis fier dans la mesure où il est remis par un jury de journalistes dont certains sont d’authentiques « lecteurs ».

Vous avez participé sur le stand Télérama aux rencontres « Passez un quart d’heure en tête à tête avec votre auteur préféré » : il est très en vogue de revaloriser la place du lecteur, voire de lui laisser ce rôle à part entière de « passeur », comme vous l’avez dit aux Cahiers de Colette, en séance de dédicace. Que vous apportent personnellement ces rencontres ?

Je trouve l’initiative très louable, comprenant parfaitement qu’une personne ait envie, au terme de sa lecture, de « prolonger l’échange » avec l’auteur ou tout simplement de se laisser convaincre de découvrir son œuvre s’il ne la connaît pas encore. Et puis il est toujours assez instructif, je trouve, de découvrir quel type d’animal se cache derrière un nom d’auteur. J’ai donc joué le jeu avec plaisir. Il ne me coûte pas, bien au contraire, de sourire et d’échanger des amabilités avec des lecteurs le temps d’une dédicace. S’investir dans une relation amicale, c’est une autre paire de manches.

Divers romans viennent d’être publiés sur le thème de la paternité moderne ou le deuil d’un enfant (« Un coup à prendre » de Xavier de Moulins ou encore le Goncourt du premier roman 2011 « Le fils » de Michel Rostain), précédemment Marie Darrieussecq s’appropriait aussi le genre avec « Tom est mort ». Avez-vous lu l’un de ces livres et quelles sont vos références sur ce thème ?

Non, je n’ai lu aucun de ces livres. Juste feuilleté dans une librairie « Le Fils » de M.Rostain. Je me suis aperçu dès les premières pages que j’avais, moi aussi, évoqué un père reniflant les draps de son fils pour tenter en vain de le convoquer aussi concrètement que possible.

L’évitement de la tragédie et – au delà de ça – , la peur de la perte d’un très proche fût elle l’un des motifs qui a suscité l’écriture de ce roman sur la paternité ?

Oui. Mais c’est surtout l’envie de renouer avec une écriture suscitant de l’émotion chez le lecteur qui m’a poussé à écrire ce livre. A l’origine de ce roman, on trouve mes propres questionnements de père essentiellement, même si je ne suis pas le Colin du livre ni son fils Clément l’un de mes deux fils. Je voulais aussi aborder les sujets qui m’intéressent de livre en livre : le couple, le vieillissement, la confrontation interculturelle, l’incommunicabilité, la solitude.

Comment avez-vous travaillé ce livre ?

En essayant de me concentrer au maximum afin de ne pas perdre le fil « sensible » de l’écriture et du rythme. Sur un tel sujet, surtout s’il est abordé sur le mode de la fiction, le moindre mot gratuit ou artificiel peut s’avérer fatal.

Merci à Nicolas Fargues pour le temps accordé.

10 Commentaires

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    • laurence biava sur 8 avril 2011 à 12 h 23 min
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    J’ajoute que ce roman est une oeuvre MORALISTE à propos d’une époque immorale.

    • bluesman sur 9 avril 2011 à 0 h 42 min
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    Nicolas Fargues est sans conteste l’un des romanciers français les plus intéressants apparus depuis quinze ans. Il faut lire toute son oeuvre qui est très cohérente même si elle est parfois inégale. NF est l’un des premiers à avoir posé de manière subtile la problématique de la France multi-raciale des années 2000 dans le prémonitoire "Demain si vous le voulez bien" (1999). Il a aussi abordé l’univers et la puissance de la télévision ("One Man show" en 2002), le colonialisme ou ce qu’il en reste ("Rade Terminus" en 2004). Considéré par certains comme son livre le plus personnel (mais ce n’est pas mon préféré) "J’étais derrière toi" décrit une modernité où le rapport homme-femme n’est plus qu’une guerilla feutrée où chacun a le choix des armes. POL a publié les sept romans précédant "Tu verras" avec une fidélité remarquable car les premiers n’avaient pas marché très fort. Dans "Tu verras", Fargues s’attaque avec maestria malgré quelques relachements à son thème de prédilection : la masculinité aujourd’hui et son corrolaire, la paternité. Pas facile de tenir le choc aujourd’hui dans un monde où près d’un mariage sur deux va se terminer par un divorce demandé dans la majorité des cas par une femme. Comment être à la hauteur ?
    Il donne aussi sa vision des fausses valeurs d’une époque.
    Merci pour l’analyse et l’ interview sur un auteur un peu sous-estimé à mon avis dans le contexte des lettres françaises.

    • laurence biava sur 9 avril 2011 à 13 h 54 min
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    Bluesman, j’adhère en tous points à ce que vous avez écrit. Jusqu’au Prix France Culture Télérama, je pense que Nicolas Fargues faisait partie – je n’aime pas cet imparfait, puisque cet auteur compte énormément pour moi – des grands écrivains français "méconnus" ou "sous-estimés", – comprendre "pas assez crédibles"- pour reprendre vos propres termes -"sous estimés"- mais enfin, et définitivement, ce prix va changer totalement la donne. Les romans que vous évoquez, je les ai tous lus, je les connais par coeur. "Demain, si vous le voulez bien" d’une certaine façon est le meilleur : il dit tout. C’est celui que je préfère avec "Rade Terminus". Il est comme un grand labyrinthe : on a le sentiment de faire connaissance avec des gens qui se rencontrent à tous les angles de rue. IL y a quelque chose de très épars, et de très souterrain dans ce roman. "j’étais derrière toi" n’est pas non plus mon préféré mais ce qu’il dépeint est universel : la rencontre, sa magie, deux corps, deux présences, l’étreinte, le désir, l’absolutisme, la quintessence des instants précieux, et puis tout le reste…on sait, on sait. Ce roman parle au coeur de tout un chacun, on a vécu les mêmes choses, on supporte et assume les mêmes trajectoires : finalement, ce n’est ni plus ni ni moins que ce que dit ‘"tu verras". Jusqu’au bout, on est, on y est – on les aime, on les aime, mais c’est aussi chiant -osons le mot !- d’avoir des gamins, c’est dur d’être parent ! – et la vérité n’est elle pas au bout dui chemin ? Aimer, c’est quoi ? ah, c’est donc ça : se sacrifier !! ou bien – ça dépend ! – choisir de ne pas se sacrifier et surtout, non, je ne suis pas un parent égoiste. (ce qui est vrai). J’ai aimé ce roman parce que je suis mère et parce que Nicolas fargues est père. D’une certaine façon, on peut dire qu’il "n’invente rien", il dit la réalité, le vrai, c’est authentique, c’est ça être parent. L’air de rien, je trouvais intéressant que cette chronique et cet entretien à propos de son fameux roman sur la paternité survienne après celui, complètement raté, de Angot, sur le matriarcat. Là, on a affaire à COlin, un père parfois autoritariste mais qui s’occupe de son fils. Le cas précédent c’était tout le contraire : une mère Macha infernale et impossible. "Tu verras" n’est pas mon roman préféré à cause d’un problème d’écriture. Une écriture plombée, qui m’a franchement agacé parfois. L’auteur le sait, je dis ce que je pense. VOIlà, pour l’heure, j’ai à peu près tout dit. A bientôt. Lau

    • bluesman sur 10 avril 2011 à 2 h 35 min
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    A Laurence B.

    Quand j’aime un écrivain, j’ai tendance à tout lire – qu’il soit mort ou vivant – et j’ai donc dans ma bibliothèque dans la belle collection blanche POL les huit romans de Nicolas fargues (du mineur "Le tour du propriétaire" au un peu décevant "le Roman de l’été"). Contrairement à vous, je ne les connais pas par coeur mais notre échange me donne envie de me replonger dans certains. Je considère aussi "Demain si vous le voulez bien" comme son meileur roman et c’est dans un sens une vraie critique à son égard. Après son coup de maître, il a construit une oeuvre diverse et riche -c’est indéniable- mais sans réussir à produire le "grand Roman" que son début en fanfare laissait espérer. au contraire par exemple de Michel Houellebecq qui, après le très pertinent et novateur (pour l’époque) "Extension du domaine de la lutte", enchainait avec "les particules élémentaires" qui aurait du lui valoir le "Goncourt" en 1998 et non douze ans après pour une oeuvre moins forte même si elle est reste majeure. Je crois que Nicolas Fargues a préféré parler de ce qu’il connait bien et de choses personnelles voire intimes plutôt que d’élargir un peu sa focale alors que sa vision de la société française dans "Demain si vous le voulez bien" était d’une belle clairvoyance sur un sujet périlleux. Dans "tu verras", il arrive en effet à transcender la réalité sur un thème simple (un père et son fils) ce qui est pour moi une des définitions du roman même si je ne suis peut-être pas le mieux placé pour juger de sa réussite puisque je n’ai pas d’enfant. "J’étais derrière toi" était jusqu’ici son roman le plus apprécié par les lecteurs en général (ventes en poche) mais je ne suis pas sur que cela soit pour de bonnes raisons. Oui, il parle du couple, du rapport homme-femme avec une certaine acuité mais j’en garde le souvenir d’un livre allant un peu dans l’exageration d’une histoire personnelle mal digérée (il faut que je le relise !)
    Par ailleurs, j’ai lu énormément de littérature française à une époque (en gros de 1990 à 2005)mais je n’ai jamais cédé à la tentation Angot (à tort ?). Les critiques ne m’ont jamais donné envie de la lire.

    • laurence.biava sur 10 avril 2011 à 12 h 21 min
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    Lorsque je dis que je connais par coeur les romans de Nicolas Fargues, je veux signifier que je les ai lus et relus (au moins deux fois) pour préparer mes chroniques. Naturellement, personne n’est exempt de faire des erreurs d’ appréciation, voire des contre-sens sur un texte. (j’ai dit quelque part que "le roman de l’été", avait été publié en 2008, ce qui est faux, c’est en 2009, et puis j’ai élaboré cette chronique en partant du principe que le père aimait la même chanson que son fils : j’y reviendrais, ce n’est pas pour moi aussi simple et évident que cela de croire le contraire, sans doute mon "imagination" de lectrice me joue des tours : j’ai le même réflexe lorsque je regarde un tableau de peintre – Mille visions et mille interprétations sont possibles, il y a ce que je vois et ce que l’on veut me faire voir. L’oeuvre de Nicolas Fargues est intéressante, puissante et riche, je ne la trouve pas aussi inégale que ça, il y a juste des romans un peu moins convaincants que d’autres (Beau rôle, pour moi et le Roman de l’été : là encore, je n’aimais pas tellement ce titre). J’ai le sentiment d’une oeuvre qui gagne en épure et dont l’intérêt "croît" avec la notoriété, et je crois que le "grand roman" auquel vous faîtes allusion est le prochain. (j’en ai ouî-dire mais je n’en dirais rien : plongez vous dans le papier de LIre de mars qui a fait la part belle à l’auteur, il y fait brièvement et en condensé, allusion. Enfin, j’ai compris à demis-mots). Si ‘J’étais derrière toi" ne fut pas, comme vous le soulignez en sourdine, lu pour de bonnes raisons, c’est parce que les gens perdent leur temps à attacher trop d’importantce à l’apparence physique. De toute façon peu importe les jaloux, les détracteurs jamais avares de préjugés, ils n’auront pas le dernier mot. Fargues a un talent fou, il sait raconter des histoires, il est effectivement le seul de sa génération à pointer les prbs multiculturels en France et il le fait bien. Le reste me semble donc d’une importance extrêmement mineure. Quant à HOuellebecq (n’oubliez pas non plus la différence d’âge : Nicolas Fargues n’a pas 40 ans ! et quel parcours déjà !), vous pouvez lire sur ce site la chronqiue que j’ai consacrée à La carte et le Territoire. Oui, je suis d’accord avec vous : un roman immense, balzacien mais pas au point de le considérer tel un chef-d’oeuvre. Je n’ai pas aimé la fin et là encore, un prd d’écriture a considérablement entravé la limpidité de ma lecture (trop d’adverbes de trois syllabes). (Je susi très sensible au verbe et à la syntaxe parce que dans une autre vie, à défaut d’être romancière et chroniqueuse littéraire, j’ai failli être linguiste.) Pour HOuellebecq, la question de fond est séculaire : le plus grand auteur contemporain certes, reconnu par presque tous, mais à coté des scientifiques qui prétendent que "les particules élémentaires" et un autre sont truffées d’erreurs. Que voulez vous, nobody is perfect, surtout pas ici, où il y a tant de subjectivité..

    • bluesman sur 25 avril 2011 à 23 h 51 min
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    Pour Laurence b.

    Suite à nos échanges, j’ai relu "Demain si vous le voulez bien" dix ans après sa sortie (oui le temps passe). J’ai trouvé à nouveau le roman remarquable avec à la fois une empathie et un regard critique sur ses personnages ce qui est assez rare. Sa vision du Paris moderne et particulièrement de la communauté africaine est vraiment réaliste et écrite avec profondeur et simplicité. Certains portraits de personnages périphériques -le journaliste Tristan qui impose sa vision du monde en pleine bonne conscience, le conservateur quinquagénaire François qui se suicide (ici une résonance personnelle)- sont composés à petites touches mais avec brio. Nicolas Fargues nous décrit un instantané de Paris au basculement du siècle où les fractures sont apparues : entre les communautés, entre les générations, entre ceux qui y croient et ceux qui ont renoncé. Le fossé culturel entre les générations est lui définitif. Et cela confirme donc un avis que nous partageons : c’est son meilleur roman…jusqu’à présent.
    J’ai relu aussi ces jours-ci le "Vers la douceur" de François Begaudeau. Il a beaucoup de talent et s’intéresse à des tas de choses (du FC Nantes au cinéma coréen), des idées pas inintéressantes mais question littérature, c’est quand même assez décevant. Une construction alambiquée sans justification, des vignettes floues sur un a-sentimentalisme trentenaire, aucun personnage qui dégage quelque chose.
    Bien à vous
    bluesman

    • Laurence Biava sur 27 avril 2011 à 10 h 56 min
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    Bluesman, je n’ai pas relu "demain si vous le voulez bien", qui, avec le recul, et à vous lire, a tout, finalement, du roman d’anticipation (10 ans plus tôt). Belle lucidité de l’écrivain.
    Je n’avais pas aimé "vers la douceur" de François Bégaudeau. Je le trouve assez inégal. En revanche, j’avais aimé "jouer juste". Le dernier – quelques brides dans une chronique plus récente que celle-ci – m’a beacoup touché. Quel auteurs contemporains aimez vous Bluesman, à part Fargues et Bégaudeau ?
    Amitiés.
    Laurence

    • bluesman sur 27 avril 2011 à 19 h 57 min
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    Laurence

    Je vais évoquer surtout les auteurs français contemporains. Pour certains écrivains, j’ai bien aimé leurs premiers ouvrages mais je me suis lassé : François Taillandier ("Les clandestins", c’est bien mais la suite…) et Philippe Jaenada ("Le chameau sauvage"). C’est là qu’on voit la "performance" de Nicolas Fargues qui tient la distance. Emmanuel Carrère est un écrivain singulier et "D’autres vies que la mienne" est à mon avis un des meilleurs romans de ces dix dernières années. J’apprécie aussi des auteurs de critique sociale comme Eric Reinhardt ("Le moral des ménages", voire "Cendrillon") ou Matthieu Jung ("Le principe de précaution"). Je suis fan de Michel Houellebecq (ses trois premiers romans surtout, j’ai acheté en 1994 "Extension" dans l’édition nadeau!)même si mes amies lectrices n’aiment pas vraiment : trop pessimiste, trop de sexe triste, un point de vue trop masculin… Le "Buzz" a chroniqué un de ses épigones, Guillaume Clémentine avec l’intéressant "Le petit malheureux" qui n’a pas eu de suite. J’apprécie Julie Wolkenstein ("Colloque sentimental", "l’Excuse") même si c’est un peu trop sage, un mix entre Sciences-Po et la littérature anglo-saxonne mais des références à deux de mes écrivains préférés (Henry James, Edith Wharton)mais là on est loin de la France contemporaine. Je ne suis pas forcément fana d’autofiction mais feu Guillaume Dustan était assez puissant dans ce domaine même si aujourd’hui cela doit paraitre un peu daté. J’ai lu toutes les "références modernes" (Mauvignier, Jauffret, Beigbeber,Rey,Despentes,Guene…)mais bon… Le grand coup de tonnerre de ces dix dernières années, c’est surtout la parution posthume de l’admirable "Suite Française" d’Irène Nemirovsky. Enfin, si vous ne le connaissez pas, je me permets de vous conseiller le meilleur romancier français méconnu du 20e siècle : Paul Gadenne.
    Bien à Vous

    • bluesman sur 14 janvier 2012 à 0 h 40 min
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    Pour Laurence B.

    Moins d’un an après notre échange qui m’avait ravi sur le cas Nicolas Fargues, je viens de lire "La ligne de courtoisie", son dernier opus. Je suis toujours fan car c’est souvent subtile dans le rendu presque brut mais transcendé du réel, du fossé des générations, du rapport père-fils, de la tentation de la jeune fille pour l’homme mur, des contingences du quotidien, de l’analyse des relations familiales, du ressenti d’un pays étranger (Pondichery en Inde après Madagascar précédemment). mais encore une fois, on attend son grand Roman – vous m’annonciez que c’était le prochain-, celui qui serait plus intime et moins personnel, qui embrasserait la vie sociale de la France contemporaine d’un point de vue singulier. Dans son dernier roman, NF se moque un peu de Houellebecq que nous évoquions et qui lui a réussi cette gageure : passer du petit premier roman aux ouvrages d’ampleur. mais Fargues nous donne dans son dernier roman les raisons de ce que je considère quand même comme un échec même si aujourd’hui il peut se réjouir de faire les têtes de gondole à la FNAC. On peut lire ainsi page 101 : "je mettais deux ans à engendrer deux cent cinquante pages imprimées dans ces trompeuses polices de caractère, qui, chez les editeurs français, tendent à faire passer la paresse de leurs auteurs pour un minimalisme aussi allusif qu’exigeant". Belle lucidité mais j’attends toujours.

    • Laurence Biava. sur 18 janvier 2012 à 16 h 10 min
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    Bonjour Bluesman,
    Merci pour votre commentaire. Et pour votre fidélité ! C’est épatant !
    J’ai également lu le roman "La ligne de courtoisie" que contrairement à vous, j’ai trouvé excellent, même si j’en conviens ce n’est pas le plus romanesque de tous. (mais le côté "voyage immobile" n’est pas déplaisant : je crois qu’il s’agit surtout de témoigner de son exaspération). Et stylistiquement, c’est parfait. J’ai chroniqué ce roman mais je vous livre ici le plus gros de mon argumentaire. Nous pouvons volontiers continuer à débattre autour. si vous le souhaitez. A propos de "la ligne de courtoisie", donc. Nicolas Fargues démontre une nouvelle fois son excellence dans le registre de la comédie de moeurs et la satire sociale. Un antihéros dont on ne sait pas grand-chose sauf qu’il est un écrivain divorcé de 43 ans en panne d’inspiration depuis quelques ans et qu’il s’apprête à tout plaquer. J’ai été très impressionnée par ce nouvel opus que j’ai lu d’une traite, sanglé, parfaitement maîtrisé, incisif et saillant, sans temps morts, encore un cran au dessus des précédents. Même dispositif d’entrée en scène du personnage principal à l’instar de « Beau rôle » ; après quelques effets de rodage, le roman débute par l’organisation d’un dîner convivial de pseudo adieu, censé réunir tous les êtres chers du narrateur. Volonté tenace de changer d’existence : la sienne, effectivement, d’existence, semble flotter ou tourner désespérément à vide. Et ce dîner, élaboré avec une certaine passion, soigne sa mise, parce que le narrateur est « à ce point soucieux du confort des autres », parce qu’il lui semble important de « faire plaisir à ceux qu’on aime »… Déçu par ses relations, amer, voire dépressif, le personnage principal, dont on ne connaît pas non plus l’identité, quitte la France pour s’offrir un nouveau départ en Inde, à Pondichéry. Nicolas Fargues y croquera, et avec quelle minutie les portraits des expatriés français. Hélas, loin de trouver ce second souffle existentiel qui lui faisait défaut, le narrateur accumule déconvenues en tout genre (hôtelières, sentimentales, entre autres) avant qu’une singulière affaire fiscale provoquée par l’ex-épouse ne le ramène en France et offre ainsi au roman un sursaut final époustouflant. Je me suis beaucoup amusée des tribulations épiques parisiennes et indiennes de ce personnage apparemment détaché, éternel insatisfait, plus masochiste que lâche, en sentiment de rupture, un peu comme quelqu’un à la violence perpétuellement rentrée, qui subirait les autres, leur franche discourtoisie, ainsi que ce qu’on appelle communément la bêtise ambiante. Il avance ainsi sans jamais oser protester. Résiste en prenant soin de ne pas enfreindre les règles de bienséance, de savoir-vivre. Plaire ou déplaire, ne serait-ce pas la question ? Elle se pose, en effet, avec tous : les enfants et leur désinvolture, les parents qui pensent à sa place, le confrère de la maison d’édition, le romancier « rival » rencontré en Inde, pour ne citer qu’eux. Et que dire de ce vénérable exercice de diplomatie avec cet hôtelier indien ?… C’est tout le petit théâtre de la comédie humaine que Fargues nous dépeint une nouvelle fois. Truffé de bons mots, de réflexes comportementaux assimilés, les descriptions sont fines et rodées, (saynètes de la vie courante) et celles des paysages indiens permettent à l’auteur de déployer son talent pictural. Si Gombrowicz et Houellebecq (moqué) sont, entre autres, cités, c’est surtout, et assez souvent à Jean-Paul Sartre que j’ai songé, ainsi qu’à Roland Barthes, sans doute parce que tous les détails que Nicolas Fargues soulignent m’en ont laissé l’opportunité. A l’instar de Sartre, (Huis Clos) donc, il me semble que l’auteur essaye de comprendre ou assimile la thèse selon laquelle les représentations de soi ne doivent pas trop s’écarter des manières dont les autres les perçoivent. Si l’apparence n’est pas si trompeuse, dit-elle pour autant la vérité ? Non, car alors, il n’y aurait ni obstacle, ni conflit entre les individus. Ce n’est pas simplement celle de notre apparence extérieure, dont nous parle Nicolas Fargues, pas davantage celle de notre apparence à nous même, mais de la totalité de ce que nous sommes, de ce que nous avons été, de ce que nous deviendrons, de ce que nous espérons, de ce que nous craignons, de notre comportement dans les relations humaines que nous entretenons, de notre éducation. Cette représentation doit faire place à la totalité de notre expérience, tant du monde extérieur que du monde intérieur des émotions et des fantasmes, puisque ces derniers agissent inéluctablement sur nos perceptions, et que nos perceptions créent le monde.(ainsi le voyage en Inde, et sa projection). Ma première idée est que si nous nous trouvons tous pris dans des conflits dont la défense ne passe pas forcément par l’apparence entre le désir d’être reconnu et la peur ou l’angoisse d’être exposé, vu, mal vu, mal aimé, incompris, il semblerait que ce soit pourtant cette première vision de l’autre, qui nous renseigne sur les perceptions du monde extérieur, et sur nos sentiments les plus intimes et les plus intérieurs. Ainsi, constatant ce conflit établi entre l’apparence et la vérité, comme le fait très justement Nicolas Fargues, il est évident que l’enfer, c’est les autres. Qui franchissent allègrement la ligne jaune. Qui inversent les rapports. Et les situations sentimentales relatées dans le roman se présentent ainsi sous la forme d’une somme de ratés relationnels. Naît alors l’incommunicabilité : on en revient alors aux parents, aux enfants qui se comportent comme des petits chats égoistes, qui n’ont cure de ce que vous faîtes et/ou êtes, à tous ceux extérieurs à vous –mêmes qui réglementent votre vie matérielle, suggèrent votre vie littéraire,.et disons- le, sont une entrave à votre liberté. Je crois que ce roman ne dit qu’une chose : c’est que l’amour n’existe pas. Qu’on peut s’évertuer à être courtois, disponible, ou un tant soit peu, s’abriter derrière faux semblants, non-dits, prétextes arrangeants, misanthropie, pusillanisme, lâcheté, rien ne changera jamais. L’enfer c’est les autres parce que les autres nous empêchent de nous imaginer tout seul ; ils ne nous voient pas seulement comme ils nous voient, mais aussi comme ils nous imaginent, tout comme nous nous voyons en tenant compte de leurs perceptions imaginaires. Dans ce processus de balancement entre voir et imaginer, les autres nous imposent notre humanité, imposent une sensibilité aux rapports humains, et imposent enfin des possibilités de sentir les tragédies et les joies de notre vie. Alors, à quoi sert il d’être ensemble si ce n’est pour faire un effort d’imagination ? C’est ce que dit en substance cette phrase : "Un ultime dîner à mon appartement s’achevait, organisé au prétexte d’adieux qui dans le fond n’émouvaient personne. C’était cela, la famille : une somme de solitudes uniquement liées par des obligations de bouche."
    J’ai également pensé et souvent à Roland Barthes lorsqu’il dit ceci : « Ce que cache mon langage, mon corps le dit. Mon corps est un enfant entêté, mon langage, est un adulte très civilisé ». J’ai senti une certaine souffrance dans ce récit maniaco/dépressif, dans la façon de dépeindre « quelque chose et quelques uns me gênent aux entournures ». J’ai pointé des réflexes maniaques qu’aucun neurologue, au creux, de ses analyses ne renierait. Ce qui est extraordinaire dans ce roman, ce sont ses paradoxes : au consumérisme ardemment souligné, succède un sentiment d’ascétisme et d’effeuillage des codes. Au-delà de la narration très descriptive et de son sens profond, il est une ébauche palpable d’instrospection, d’analyse expérimentale, voire clinique, qui n’est pas très éloigné du langage des signes, de son appropriation, par le fait de souligner les tics verbaux et onomatopées d’époque. (« souci », « j’hallucine », « sympa », et autres mots en italique) tout ce qu’affectionne les verbeux au répertoire lexical si mince et aux raccourcis risibles. Pour leur faire la nique, Nicolas Fargues leur répond avec son verbe haut et son très éclairé vocabulaire. Quel brio, quel talent, je m’incline. (on aimerait que tous les romans soient aussi bien écrits : honte à quelques uns, au passage). L’opus réserve donc une part belle à tout ce qui relève de la morphopsychologie, des descriptions des visages jusqu’aux émanations des corps. Il est souvent question de souligner le coté mimicracra de certains protagonistes, (on notera que les autres sont souvent sales), quelques obsessions récurrentes, des inspirations et expirations nasales, des sourcils froncés, des mouvements labiaux, un pli épicanthal de ma paupière, des sillons nasaux, des rangées de dents, des exhalaisons, ou tout autres termes ou descriptions jubilatoires relatives aux stries, pattes d’oies, jeunesse ou vieillissement des traits, rides d’expressions et j’en passe. Le corps investit le discours, il le dépasse même. Ici, on gratte, on nettoie, récure, lave, rince beaucoup, toute odeur ou élément suggérant la saleté est effectivement soulignée. Signe de cette époque hygiéniste que Nicolas Fargues le sondeur, le visionnaire, ne manque pas de relever ?. Que dis je ! d’ausculter . L’écriture d’orfèvre quasi entomologique dont il use pour nous plonger irrémédiablement au plus près de tout, est admirable et fascine. On peut cependant y lire et y voir, un parfait exercice d’auto-flagellation. Lisez cette nouvelle plainte et complainte sur l’air du temps.

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