Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan : Généalogie des « impitoyables malédictions »…


Avec son nouveau et cinquième roman Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan vient encore de rafler le prix de la Fnac en 2011, cette star de la rentrée les collectionnant depuis quelques années (prix Saint Valentin en 2006, des Libraires en 2008, du Rotary International et du roman d’entreprise en 2009). Avec un roman difficile sur le suicide de sa mère, elle ose aborder frontalement un sujet lui tenant particulièrement à cœur, et autour duquel elle n’a cessé de rôder finalement dans ses précédents romans (« Je suis toujours très intriguée et touchée par les histoires de parents toxiques pour leurs enfants. » confiait-elle déjà dans une interview en 2009), la base de tout, l’essence : la mère. Comme Justine Lévy en 2009 (avec « Mauvaise fille »), elle revient sur l’itinéraire de cette mère, à la fois solaire, énigmatique et destructrice, qui n’a pas su l’aimer mais à qui elle rend hommage malgré tout :

Avec son titre poétique emprunté à la chanson « Osez Joséphine » de Bashung, Delphine de Vigan signe ici un récit presque « enquête » (et non pas « roman » comme on peut le lire de façon impropre sur la 4e de couv’**) autobiographique, magnifiquement construit, maîtrisé de bout en bout. Son style puissant, où l’écriture nervurée et souple, s’amplifie, assurée, trouvant sa marque, de page en page, avec des paragraphes équilibrés qui se succèdent dans un ballet chronologique passionnant, est absolument remarquable et bouleversant.

Depuis la parution assez confidentielle de ses premiers romans sur sur le combat et la guérison d’une anorexique de 19 ans (« Jours sans faim » en 2001 où déjà l’ombre de la mère plane*) puis la désillusion amoureuse (« Les jolis garçons », « Soir de décembre » en 2005), Delphine de Vigan a tracé, discrètement mais sûrement, son chemin dans le paysage littéraire français jusqu’à s’imposer d’un beau succès en 2007 avec son roman « No et moi » (vendu à 400 000 exemplaires, adapté au ciné en 2010 par Zabou Breitman), l’histoire d’une amitié entre deux adolescentes que tout oppose, l’une élève surdouée et l’autre jeune SDF avec déjà en filigrane le thème de de la famille nocive « à problèmes » (la première, Lou est la fille d’une mère dépressive et d’un père dépassé). Dans une veine intimiste et sensible, cette observatrice sensible de la société et des rapports humains, ancienne directrice d’études pour un institut spécialisé justement dans l’ «observation des conditions sociales», s’inscrit dans le sillage d’autres romancières françaises à succès telles que Marie Desplechin, Anna Gavalda ou encore Murielle Barbéry (à laquelle elle est souvent comparée, toute deux portées par le bouche à oreille des libraires puis lecteurs) mâtiné d’un soupçon d’Olivier Adam (dont l’œuvre la touche particulièrement d’ailleurs ainsi que celle de Lydie Salvayre, Arnaud Cathrine ou encore Marie-Hélène Lafon pour les contemporains), avec qui elle partage la même humanité, le goût de la vie quotidienne et de la simplicité. « Justesse », « tendresse », « émotion » et « pudeur » sont les qualificatifs qui reviennent le plus sur son écriture.

Pourquoi toutes les familles-sont elles psychotiques ?
« Rien ne s’oppose à la nuit » est une étude chevillée au corps et au cœur de la vie de famille, de ses failles, joies, peurs, maux et mots et silences. Delphine de Vigan a mené à bras le corps une étude anthropologique sur tout ce qui se rapporte à sa mère défunte, à ses failles, ses injonctions, ses errances et déshérences, ses moments de joie aussi. Ce roman, c’est aussi l’histoire de gens qui se demandent ce qui les attache aux uns et aux autres, ce qui les lie et les relie, c’est essayer de comprendre ce par quoi et pourquoi les drames arrivent derrière une porte de chambre, sans qu’on s’y attende, sans que rien, absolument rien, n’ait donné les signes intangibles de ce qu’on aurait pu prévoir.

Delphine de Vigan cherche une raison rationnelle à l’émergence des psychodrames qui ont traversé la vie de sa mère. Elle veut la vérité.
L’impression qui vient immédiatement à l’esprit est que l’écriture de ce roman magistral représente une délivrance. C’est une libération pour l’auteur qui souhaitait s’y atteler depuis longtemps mais en retardait la mise en œuvre (cf ci-dessous). L’âme de Delphine De Vigan tressaille à chaque page : l’enquête est minutieusement menée de l’enfance jusqu’au décès volontaire de Lucile, pour essayer d’approcher les mécanismes de rupture, de fracture et de déliaison l’ayant fait flancher.

De la difficulté de l’écriture intime et les limites du dévoilement
D’où vient elle ? Qui est –elle ? Nous sommes dans les années 50, Lucile est la troisième enfant d’une famille en contenant neuf. L’éducation familiale est libérale et religieuse, l’environnement socio-culturel est favorisé de province, les parents sont affables, chaleureux, généreux, vivants, ouverts, ils ont l’esprit tribu mais pas que : « Ai-je le droit d’écrire que ma mère et ses frères et sœurs ont tous été, à un moment ou un autre de leur vie blessés, abîmés, en déséquilibre, qu’ils ont tous connu, à un moment ou un autre de leur vie, un grand mal de vivre, et qu’ils ont porté leur enfance, leur histoire, leurs parents, leur famille comme un empreinte au fer rouge ? » Ai je le droit d’écrire que Georges (ndlr : le grand-père de l’auteur) a été un père nocif, destructeur et humiliant, qu’il a hissé ses enfants aux nues, les a encouragé, encensés, adulés et dans le même temps, les a anéantis ? » Voila, en quelques lignes tirés de la première partie du roman, quels seront les mobiles « justifiant » ou expliquant quelques moments clefs de la mise en abyme de Lucile. Ou servant du moins de révélateur quant à l’aspect sacrificiel qui se dégage à la lecture de certains passages. Delphine de Vigan déroule l’histoire de sa mère et pose les pierres les unes après les autres pour réaliser son édifice.

Afin de cerner au plus près et l’approcher, de Vigan compose et recompose la mémoire familiale et sa généalogie, armée de sa ténacité. Elle compulse, interroge, lit, se documente, il faut tout savoir de cette mère qui lui échappe en partie surtout la période de la petite enfance. La seconde partie possède un sens et une densité de ton à couper le souffle. La trame se creuse. On appuie où ça fait mal. Il est des moments où l’on verse littéralement dans la tragédie et dans l’émotion la plus pure. Il faut approfondir : « Où s’ancre la mémoire ? », « Où s’ancre l’écriture ? » questionne-t-elle. L’auteur, dans plusieurs de ses autocritiques le confesse, lorsqu’elle semble plier souS le poids de la tâche à accomplir.

Peut-on parler de sacerdoce ? Sans doute. Des nuits semblent sacrifiées. Et surtout, « l’écriture ne peut rien ». Et puis, page 282 : « Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la psychogénéalogie ni aux phénomènes de répétition transmis d’une génération à une autre qui passionnent certains de mes amis. J’ignore comment ces choses (l’inceste, les enfants morts, le suicide, la folie) se transmettent. Le fait est qu’elles traversent les familles de part en part, comme d’impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni». Il est impossible de rester insensible à la beauté d’un tel texte et à ces révélations malheureuses qui pourront faire écho aux siennes jusqu’aux larmes…

On l’apprend assez tôt : Lucile, la personne centrale, est psychotique maniaco-dépressive. Ces mots de Gérard Garouste, peintre psychotique lui aussi que Lucile admirait nous sont retranscrits au milieu du roman. « Je me souviens d’une interview de Garouste, qui m’avait beaucoup frappée. Le peintre s’inscrivait à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle une bon artiste se doit d’être fou. A titre d’exemple, il évoquait Van Gogh, dont on a l’habitude de dire que le génie est indissociable du délire. Selon Garouste, s’il avait pu bénéficier des médicaments dont la psychiatrie dispose aujourd’hui, Van Gogh aurait laissé une œuvre encore plus complète. La psychose constitue un sérieux handicap, pour un artiste comme pour lui. »

A la découverte d’une inconnue : sa mère
Avec Delphine de Vigan, on tente de définir et comprendre les contours et les angles de la personnalité de sa mère. Une femme qui avait tout du génie mais d’un génie que l’on n’aurait pas su voir ou que l’on aurait sous-estimé. Une personnalité singulière, réservée, « la fille de son père » semble en retrait, ne participe pas au monde ou trop peu, l’école l’ennuie, elle a le nez dans les livres qu’elle dévore et se réfugie à fumer dans sa chambre. A Pierremont, dans la maison familiale ou dans les divers appartements qui ont jalonné sa vie matérielle, on remarque chez elle, une forme d’ « absence », elle semble définitivement plus contemplative, intellectuelle, en retrait du monde qu’elle surplombe. Très jolie enfant, on lui fait faire des campagnes publicitaires de mode des années 70. Elle écrira dans les lettres qu’elle a laissées « J’étais une enfant très belle et ça m’a coûté très cher ». Lucile passe son enfance rue de Maubeuge. Les parents vouvoient leurs enfants et les appellent par des petits noms adorables que l’on n’entend plus aujourd’hui « ma reine chérie ». Lucile est marquée par plusieurs deuils, trois de ses frères décèdent dont l’un qui se suicide. Elle perd aussi deux autres amis de cette façon lapidaire. N’importe qui possédant un profil psychologique fragilisé, reste marqué par le profil de telles disparitions. Mais Lucile, pourtant, donne le sentiment de faire bonne figure, s’applique à ne pas décevoir. C’est Yerres, le 9ème arrondissement, les souvenirs de bords de mers, les quatre cent coups et les grandes tablées. Ce sont aussi des secrets de familles que Delphine de Vigan nous dévoile en filigrane. Il est question d’inceste, on suppute aussi de la violence conjugale, et puis tout s’enchaîne débutent des crises de démence. Dans le roman, les bouffés délirantes antériorisent des extraits de lettres, ou de notes laissées.

La mémoire personnelle de l’auteur tressaille ainsi que son coeur. « J’écris pour le 30 janvier…. » Lucile a sa première crise de délire a 33 ans. Elle est internée. Si elle est dangereuse pour elle-même et pour les autres, elle n’en est pas moins artiste. Elle peint et écrit de plus en plus. D’hallucinations en crises réitérées de démence, de traitement psychiatrique en camisole chimique, de boulots précaires en pérégrinations fantaisistes, elle vit des années épouvantables, désespérée, amaigrie, pâle, hagarde, prisonnière de sa folie. Peu à peu, elle se déleste très indirectement de tout. Son emploi, la garde de ses enfants, tout l’abandonne.

Une vie (de bohème) marquée par les psychodrames, les suicides, ou leur simple évocation, et le yo-yo de la maladie. A la victoire de Mitterrand, – très beaux passages – il y eut pourtant un sursaut. Lucile connaîtra 15 années plus sereines, est-ce une définitive rémission (1997) ? Elle retombe amoureuse, redéménage, reprend ses études, devient grand-mère, c’est une immédiate renaissance.
Dans toutes les scènes relatant la vie familiale de l’auteur, la vie communautaire choisie par ses grands-parents, les étés, les Noëls, demeure pourtant le mutisme absolu de Lucile. C’est le paradoxe, et ce paradoxe apporte mystère au livre. Lucile est à part, c’est l’être du « paradoxe », elle incarne la différence. De nouveau, c’est la chute : les crises maniaques alternent avec les crises d’apathie. Les séjours à Sainte Anne, la mégalomanie, la volonté de tout maîtriser, de tout gouverner, et puis les crises de paranoia, les accès de mélancolie, achèvent de plonger la femme « bleue » dans un brouillard définitif. : Lucile est une personnalité handicapée, satellite et tentaculaire. Enfin, on lui détecte un cancer du poumon. Refusant de lutter, se sachant perdue, elle décidera, en dépit de la chimiothérapie, de ne pas aller jusqu’au bout du chemin.

Philosophie de la malédiction
A diverses reprises, Delphine de Vigan s’arrête – comme mentionné ci-dessus – sur cette idée sordide de malédiction. Au nombre de deuils répétés ou de faits graves qui leurs surviennent, certaines familles croient qu’elles seraient pour une raison que l’on ignore, frappées d’un coup du sort. Ceci fait écho au thème du « Philosophie Magazine » de juillet/août 2011 sur « La vie est–elle une suite de hasards ? ». François Roustaing, philosophe, psychanalyste au sein de l’école freudienne de Paris fondée par Lacan (une scène épique du livre nous apprend d’ailleurs que Lucile a rencontré Lacan : le doute a visiblement toujours demeuré sur la véracité de cette « consultation ») nous explique que le hasard est souvent une figure noire, accident producteur de trauma. A ceux qui sont victimes des coups du sort, qui ne peuvent rien faire contre ce qui arrive, il explique que tant que l’événement n’est pas surmonté, « l’accidenté du hasard » va chercher à le maîtriser en lui donnant un sens, balançant entre la veine superstitieuse et la veine rationnelle. C’est humain. Et cette construction ressemble à un système défensif pour ne pas être submergé. Il semble que Delphine de Vigan soit attachée à l’événement traumatique qu’elle a vécu comme à quelque chose à la fois d’insensé et d’invraisemblable, mais que c’est cette « incohérence » qui la fait « exister ». En réalisant ce devoir de mémoire, elle s’identifie à son trauma, parvenant, à la fin du livre à s’en détacher. Le travail de résilience est effectif. Sa posture est, en ce sens, semblable à celle des rescapés des événements naturels : spectateurs de la disparition de leurs proches, affectés davantage, culpabilisés.

Une grande importance est donnée dans ce roman aux parents, ou plutôt aux relations parents-enfants relativement et généralement perverties, comme elles le sont dans toutes les grandes familles qui ont reçu une éducation religieuse (et je pèse mes mots). On s’attarde ici beaucoup sur les relations mères-filles difficiles, voire cruelles ou coupables. Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle de la fratrie et plus précisément, les relations magnifiques entre les deux sœurs Delphine et Manon, formes de relais solidaires, de sentinelles bienveillantes ainsi que la solidarité entre les femmes de ce livre. Tout cela est magnifiquement palpable.

C’est un travail d’enquête minutieux qu’a effectué ici l’auteur avec beaucoup de courage. Ce n’est pas forcément simple de s’affranchir de sa propre peur. Je pense que cet ouvrage est un exemple d’altérité, de soins apportés aux autres. L’auteur, dans sa quête, – elle le répète à plusieurs reprises – a veillé à sentir et reproduire au plus près, au plus juste, la trajectoire de sa mère. Elle a fait en sorte de ne trahir personne. Pages 202, 348, 349, elle revient longuement sur sa démarche, sur ses pas hésitants, elle passe son temps à faire son autocritique. Ce qu’elle dit p 297 interpelle particulièrement : « J’ignore au fond quel est le sens de cette recherche, ce qui restera de ces heures passées à fouiller dans les cartons, à écouter des cassettes ralenties par l’âge, à relire des courriers administratifs, des rapports de police ou médico-psychologiques, des textes saturés de douleur, à confronter des sources, des discours, des photographies. »
On sent bien qu’il peut être difficile d’écrire de telles choses sans risquer de se perdre soi-même, difficile de tout retranscrire quand l’entourage s’inquiète, difficile de tout happer, de retenir, de définir, d’expliquer quand on vit dans la normalité. Et si quelque chose m’avait échappé ? Et si je prenais trop de risques ? se dit-elle sans cesse : « Approcher Lucile, avec toutes les précautions du monde ou à bras raccourcis, c’est aussi approcher les autres, les vivants, au risque d’ailleurs de m’en écarter ». [Laurence Biava]

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* Aux trois quarts de « Rien ne s’oppose à la nuit » lors de l’un de ses passages les plus vibrants, Delphine de Vigan revient sur la publication de « Jours sans faim », duquel sa mère Lucile, citée dans les deux passages, dira « c’est beau mais injuste ». Etrange passeport qui vous fait aller et cohabiter d’un roman autobiographique à l’autre. Ce n’est pas si fréquent. Où l’on voit que ces deux parcours autobiographiques précisément se butent. Et l’auteur revient sur son propre combat. Page 331 : « En 2001, j’ai publié un roman qui raconte l’hospitalisation d’une jeune femme anorexique. Le froid qui l’envahit, la renutrition par sonde entérale, ma rencontre avec d’autres patients, le retour progressif des sensations, des sentiments, la guérison. Jours sans faim est en partie un roman autobiographique, pour lequel je souhaitais maintenir, à l’exception de quelques incursions dans le passé, une unité de temps, de lieu et d’action… »

Plus loin, ce sont les morceaux d’un puzzle fragmenté qui se recomposent. Lucile est prise à témoin en quelque sorte. De Vigan écrit, éprouvant le besoin de revenir longuement sur la genèse de la fabrication de ce roman « Je voulais voir ce que ça fait la mort dans le corps » puis « Je ne reviendrais pas ici sur cette période de ma vie, seul m’intéresse l’impact qu’elle a pu avoir sur Lucile, son retentissement.». Enfin, l’explication finale et la volonté, dans la connaissance et le respect de chacune, de pacifier s’entend les rapports mère-fille. Page 381 : « Lorsque j’ai su que Jours sans faim allait paraître, je lui ai donné à lire le manuscrit. Un samedi soir,où elle devait venir chez nous pour garder nos enfants, Lucile est arrivée ivre, le regard dilué. Elle avait passé l’après-midi à lire le roman, elle l’avait trouvé beau mais injuste : Elle a répété : c’est injuste…..il me semblait aussi que le livre révélait aussi, si besoin en était, l’amour que j’éprouvais pour elle ». Lucile a beaucoup écrit mais ne sera pas publiée.

** NB : Il ne s’agit pas ici d’un « roman autobiographique », contrairement à « Jours sans faim » mais d’un récit autobiographique déroulant une historie de façon chronologique sans l’appui de la fiction. L’auteur, d’ailleurs, ne cesse d’y revenir, de nous rappeler combien elle a hâte dans son prochain roman de revenir à la fiction. Pages 150, 202, 203, 204, c’est écrit noir sur blanc,, il n’y a pas de fiction. Il est à déplorer l’usage galvaudé que l’on fait du mot « roman » mis à toutes les sauces.

5 Commentaires

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    • Laurence Biava sur 10 septembre 2011 à 12 h 57 min
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    En complément de l’article, outre la référence à Justine Lévy, on pourrait rajouter dans le droit fil des écrivains contemporains qui ont parlé et écrit de et sur leur parent
    Gwenaelle Aubry en 2010 avec "Personne" et Carole Zalberg en 2008 avec "La mère horizontale".
    (lu les deux)

    A propos de l’intertitre en gras "pourquoi toutes les familles sont-elles psychotiques" ? en clin d’oeil au roman de Douglas Coupland : je précise que toutes les familles sont assurément névrosées et névrotiques mais psychotiques, nul ne peut l’affirmer. La psychose est un terme médical qui définit une grave maladie mentale, et je pense qu’il faut user de ce terme avec modération.
    Je pense en revanche que toutes les familles fabriquent effectivement des psychoses, et notamment à cause du poids de la religion, (il y a des familles ouvertes d’esprit, généreuses, où l’amour du prochain a souvent bon dos : on attache beaucoup trop d’importance à l’apparence physique, on n’exprime pas souvent ses sentiments, propension à afficher tjs sa bonne humeur… Les grandes Familles comportent en général un sujet psychotique, qui semble tout désigné. Dans la grande famille de Delphine de Vigan, c’est Lucile. Tout comme toute collectivité désigne inconsciemment sa brebis galeuse.

    • ki sur 12 septembre 2011 à 13 h 03 min
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    "une écriture nervurée" wouaou ! ça doit être joli à voir !

    • Laurence BIava sur 12 septembre 2011 à 20 h 32 min
    • Répondre

    Par écriture nervurée, j’entends une écriture qui a du relief, du nerf, nerveuse donc, mais pas seulement, nervurée parce qu’une écriture saillante, anguleuse, une écriture vive et vivante.
    Une écriture tendue, haletante.
    Une écriture sensible, où l’émotion est toujours palpable.
    Une écriture dépouillée de mièvrerie, un écrivain à fleur de peau.

    • Company sur 2 mai 2021 à 18 h 40 min
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    Dans une narration parlant du ressenti d’une fille vis à vis de sa mère, il est toujours difficile de se mettre dans la tête de sa maman. Elle ne livre pas le mal
    être de cette maladie qu ‘est la bipolarité ! A t ‘elle seulement essayer de la comprendre ? C’est vrai que les enfants subissent les dérives de leurs parents mais mettre en public la pathologie de sa mère est quelque part indécent !

  1. Impressions de lecture, près de 12 ans post parution de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan (avec dévoilement de l’intrigue):

    Roman prenant et surprenant. De Vigan reconstitue et fait revivre avec une belle énergie narrative l’enfance de sa mère et l’histoire de ses grands parents paternels, famille des années 50 aux années 70 post seconde guerre  mondiale, avec le projet de comprendre et de remonter aux racines du mal de sa mère atteinte de bipolarité. Maladie que j’ai découverte beaucoup plus violente que ce que je m’imaginais  car impliquant des épisodes maniaques assez effrayants d’autant plus du point de vue d’un enfant. Des états de folie et de perte de contrôle total. 
    Mais avant cela, avant la maladie, il y a donc toute cette 1e partie qui retrace simplement l’histoire singulière comme le sont chaque histoire de famille, de sa famille. Elle dépeint avec beaucoup de force et de vie le couple détonnant que formait ses grands parents. Le personnage du grand-père est probablement le plus marquant et central dans l’histoire avec en filigrane la question qui ne pourra jamais être répondue, est il responsable de la maladie de sa fille, « Lucile », mère de de Vigan.
    De Vigan parvient bien à démontrer toute l’ambiguïté de son caractère. Sa part d’ombre et de lumière, caractériel, fielleux et farceur et d’une générosité sans borne, une force de vie mais aussi un coureur et comprend-on potentiel abuseur y compris sur ses propres filles. Cette terrible révélation, secret de famille jamais pris à sa juste mesure, toujours voilé et jamais abordé frontalement comme souvent le cas tristement car facteur d’explosion familiale, fait basculer ce père dans une figure destructrice et tyrannique tout en étant pourtant dévoué à l’éducation de son fils trisomique ou recueillant un enfant maltraité ou toujours prêt à accueillir son prochain.
    Les deux parts de l’homme restent irréconciliables et troublent profondément le lecteur tout comme ses proches. Comme l’écrit de Vigan justement : « Peut etre est cela le plus difficile, n’avoir jamais pu hair Georges,mais n’avoir jamais pu l’absoudre non plus. Lucille nous a laissé ce doute en héritage, et le doute est un poison.Cette sombre révélation hantera ensuite le livre et change complètement la perspective donnée de cette famille.
    De Vigan parvient à saisir toute la complexité des rapports familiaux avec parmi l’un de ses intéressants fils conducteurs l’exploration des liens qui nous relient aux autres en particulier membres de sa famille qu’elle envisage comme une matière organique en soulignant le contraste et le passage d’une jeunesse passée dans une famille nombreuse ou la solitude n existe pas à celle autonome frappée par un divorce et une succession de relations malheureuses comme le cas de sa mère même si elle n a jamais rompu complètement les liens avec les siens.
    De Vigan dresse des portraits qui frappent par leur justesse et par leur volonté de ne jamais juger et inscrire un caractère sur une échelle de valeurs. Cette absence de jugement est remarquable et laisse toute la marge au lecteur pour se faire sa propre idée sur les actes, comportements et failles de chacun, dans leur vulnérabilité, leurs failles, manquements et construction personnelle. Elle nous donne à voir une réalité un peu brute sur laquelle elle se refuse à passer un vernis embellisseur, à transformer en image d epinal ce qui l etait et ne l’était pas tout a fait a la fois. 

    Ses évocations hautes en couleur des grandes réunions familiales à l’occasion de vacances dans la grande maison  de bord de mer qui voit se succéder et se mêler les générations ne manquent pas de faire écho à bien des souvenirs personnels d’enfance, temps béni de ce type de retrouvailles, parenthèse d’insouciance et de joie à l état brut. Temps hors du temps qu’elle restitue encore une fois avec force détails et sensations qui ne peuvent que nous immerger dans ces ambiances uniques qui n’appartiennent qu’aux étés en grandes tribus. Elle sait aussi restituer des scènes précises qui ont l’art de montrer sans dire, comme celles de Lucile petite fille docile posant pour les catalogues de mode ou plus tard la scène du milkshake avec leur frère adoptif.

    Un livre poignant, bouleversant pour utiliser des termes malheureusement galvaudés mais qui traduisent bien mon ressenti.

    Livre qui m’a, à plusieurs reprises, émue aux larmes pour de nombreuses raisons, d’abord évidentes les épreuves subies par les enfants premiers témoins et victimes d’une mère défaillante et dysfonctionnelle selon l’américanisme « à la mode » mais aussi leur résilience à tous, cette façon de se construire dans l’adversité, cette façon de se confronter à la mort, d’être à la fois dans la vie la plus extrême la plus bruyante selon les termes de l auteur avec une grand-mère à la fertilité sans borne et le spectre de la mort accidentelle ou volontaire qui ne cesse de surgir.

    J’ai toujours éprouvé beaucoup d’admiration pour cette capacité inouïe à se relever, à se construire, à composer avec la réalité même la plus sordide, sans la nier pour autant mais « faire avec » parce que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Capacité humaine d’adaptation qui assure notre survie. Elle est ici montrée à l’oeuvre dans tous ses mécanismes.
    La tenacité de Lucile pour se soigner, soutenue par ses proches et ayant repris des études pour devenir assistante sociale et soutenu des personnes en difficulté force l’admiration. Je repense souvent à elle.

    Enfin un mot sur le style, la structure. De Vigan l’a expliqué en interview et y compris dans le livre lui-même, en raison de la nature hautement volatile de cette histoire intime, elle n est pas parvenue à conserver un ton et une structure romanesque tout du long de conserver une forme de détachement finalement au sujet. D’où l’ajout d’ intermèdes ou elle s’expose en tant qu’auteur et se confie sur ses difficultés d écriture et de création. Si ce sujet est bien sur d intérêt il ne manque pas toutefois de casser la dynamique narrative dans laquelle le lecteur s’était immergé.

    La 2e partie pêche aussi par son cote plus témoignage/récit de souvenir que véritable roman. C’est un peu dommage car cela peut empêcher le livre de devenir un « classique » comme La promesse de l’Aube de Gary par exemple en étant plus rattaché au registre/ sous-genre témoignage donc…

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