Ubik de Philip K. Dick : « Le monde entier est-il contenu en moi ? Est-il englobé par mon corps ? »

Ubik de Philip K.Dickest un roman culte de science fiction qui n’en finit pas de passionner et de soulever des débats*, tandis que Michel Gondry souhaitait l’adapter au ciné (mais a récemment déclaré « qu’il n’y avait pas les ressorts dramatiques pour un bon film« . Ecrit en 1966, classé en 2005 parmi les 100 meilleurs romans écrits en anglais depuis 1923 par le magazine Time, le critique Lev Grossman l’a qualifié d’« histoire d’horreur existentielle profondément troublante, un cauchemar dont vous ne serez jamais sûr de vous être réveillé. ». Si le livre a pu accéder au « sésame » de la littérature générale, c’est que derrière le « décorum futuriste », Dick s’attache à décrire (et dénoncer) les dérives de notre société contemporaine mais touche aussi à l’existentiel voire au métaphysique. Bien avant « 99 francs » et « Mad men », il s’attaque plus particulièrement à la publicité et concentre les obsessions de l’auteur : manipulation de la pensée, déformation du réel, schizophrénie, mort…, sans jamais se départir de son humour décalé. Mais une question demeure : qu’est-ce qu’Ubik ?…

Dans une société dystopique (dans un futur -pour l’époque- daté à 1992 ) et ultra-consumériste, Glen Runciter dirige une agence de « neutraliseurs ». Leur rôle ? mettre en échec une cohorte de délinquants aux pouvoirs « psys » c’est-à-dire capables de manipuler le psychisme d’autrui, fouiller leurs pensées ou encore lire et influer sur l’avenir… Son agence inonde aussi les médias d’intrigants spots publicitaires pour un produit « miracle » à tout faire : « Ubik ».

Un jour, une mystérieuse envoyée d’un riche client vient lui confier une importante mission pour neutraliser une infiltration de psis sur la Lune. Mais une fois arrivée sur place, son équipe menée par son adjoint Joe Chip, qui deviendra l’autre personnage principale de « l’aventure », se trouve pris au piège d’un attentat à la bombe où Runciter perd la vie. Après un retour en catastrophe sur terre, Joe Chip et ses acolytes réalisent que ce qu’ils viennent de vivre n’est peut-être pas la réalité…

Première remarque sur le « résumé » de l’histoire d’Ubik : la difficulté de la raconter, du fait de sa multiplicité (et de son ubiquité…). Ce qui démontre la force même du roman tant sur le fond que la forme : il y a en fait plusieurs façons de l’aborder, dépendant de l’angle sous lequel on choisit de tourner le « rubicube » de son histoire, de quel côté c’est-à-dire de quel point de vue on se place c’est-à-dire, schématiquement (mais on pourrait aussi en rajouter d’autres comme les semi-vivants : Ella la femme de Glen ou de Jory qui aspire les autres…), du point de vue de Glen Runciter le premier « héros » du roman au début, ou celui de Joe Chip qui va ensuite piloter les évènements et tenter de les comprendre à moins qu’il ne soit lui-même piloté par un autre… ?

Qui mène vraiment l’aventure au fond ? C’est bien toute la problématique du livre : de quel côté est la réalité (si tant est qu’elle existe) ? Philip K. Dick s’avère virtuose dans le brouillage de pistes et de repères, de confusion entre rêve, illusion, hallucination, virtualité et réalité, vie et mort … Mais aussi entre présent et passé…

*** Attention analyse de l’intrigue révélant certains aspects de l’histoire****

Qu’est-ce que la « réalité » ?
Réponse : « Ubik »

La question principale qui taraude tout au long du livre est : Qu’est ce qu’ubik ? Cet objet multifonctionnel, pour tout et n’importe quoi, dont les spots publicitaires inondent le livre, en préambule de chaque chapitre. Le lecteur espère bien le découvrir à la fin du roman et avoir ainsi la « clé » de compréhension de tout ce chaos dont il est victime aux côtés du pauvre Chip qui se débat dans le dédale de réalités et d’espace temps inversé à son retour sur terre. Cette réponse ne viendra jamais vraiment explicitement et ce sera au lecteur de se faire sa propre interprétation. Mais finalement cette question « Qu’est-ce qu’Ubik ? » ne pourrait-elle pas être remplacée par : « Qu’est-ce que la réalité ? »
A l’image du produit « Ubik », la réalité peut-être multiple, protéiforme et transformable à volonté, elle peut être ici et là-bas voire au-delà… Au-delà du thème classique des univers parallèles propres à la science-fiction, renouvelé ici avec brio, la réalité c’est l’ubiquité semble nous dire Philip K. Dick.

Quand la publicité prend le pouvoir… D’« Ubik » à « Mad men »

Mais la réalité c’est peut-être aussi un produit marketing comme les autres ?!
En effet, l’autre grande interprétation que l’on pourrait avoir de ce périple intergalactique et temporel, c’est bel et bien une dénonciation de l’emprise publicitaire sur nos sociétés qui se cache derrière le décorum futuriste.
Rappelons au passage que le livre a été écrit au coeur des années 60 en pleine explosion de la publicité, époque « Mad men ». Qu’est-ce que la publicité sinon une des plus puissantes machines à créer de l’illusion, à inventer de nouveaux besoins et donc de réalités ? Et surtout puissante machine de manipulation/vampirisme psychique, pilier de la société mise en scène dans « Ubik ». Voire de violation de la vie privée (problématique plus que jamais d’actualité avec notamment l’exploitation faite des données personnelles) comme l’incarnent les « télépathes » pouvant lire et s’emparer des pensées.

La publicité et la télévision qui vend du « temps de cerveau disponible » : 30 ans avant que Le Lay, ex PDG de TF1, ne formule sa célèbre phrase qui aura tant choqué en France, K.Dick percevait déjà le danger mental que représentait la diffusion massive de publicité (ce qu’il appelle la « bistouille » dans son roman « Blade runner » qui reprend également cette thématique de bourrage de crâne par les prospectus et le divertissement abrutissant de « l’ami Butler »).

Alors que 1984 de George Orwell dépeignait une société sous flicage (et propagande) politique, chez Dick comme chez Bradbury dans Fahrenheit 451, Big brother devient la publicité marchande marquée par les spots (assez hilarants) d’Ubik bombardés à longueur de pages.

Ubik un produit indispensable mais toujours potentiellement dangereux comme le rappelle la mise en garde qui termine ironiquement chaque slogan : « sans danger si l’on se conforme au mode d’emploi ».
Lorsque Runciter va demander des conseils « business » à sa femme semi-vivante au début du roman, celle-ci lui recommande « d’augmenter la publicité ». La publicité est devenu la solution, le remède à tout.
On remarque aussi que cette société est dépourvue de chef d’état et est directement contrôlée par les grands groupes comme le symbolise les effigies frappées sur la monnaie (Walt Disney puis les protagonistes eux-même au fil de leur ascension économique dans le récit). A tel point qu’Ubik a pu être qualifié plus généralement de « roman anti-capitaliste ».

Une scène dans un magasin illustre cette manipulation marketing basée sur la tromperie et la camelote : « Je sais ce qu’on m’a vendu (…). Un magnétophone tout neuf, entièrement esquinté. Payé avec de l’argent bidon que le magasin accepte. Fric sans valeur, objet sans valeur… Il y a là une certaine logique. »

La disparition de l’empathie et de la chaleur humaines dans Ubik…

Dick dépeint une société entièrement régie par l’argent sous la domination des objets (cf : les fameuses portes ou cafetières qui demandent à être payées pour s’ouvrir ou fonctionner…, ce matérialisme est aussi marqué par la régression** dans le temps qui s’incarne avant tout par celle de l’électro-ménager, des technologies ou des véhicules, symboles de la la civilisation).
Cette peur de l’homme qui devient soumis aux machines est récurrent chez Dick comme dans Blade runner où le thème de l’empathie et de la solitude sont plus largement développés encore.

Science-fiction existentielle : La mort, la vie et la semi-vie…

On lit souvent dans les résumés d’Ubik que la principale question du roman est de savoir qui est vivant et qui est mot (la fameuse phrase de Runciter « Je suis vivant et vous êtes morts » reprise par Emmanuel Carrere pour le titre de sa biographie de l’auteur). Mais derrière cela, le plus important est surtout de savoir ce que signifie être vivant et être mort, en particulier dans le roman qui invente un 3e état, celui de la semi-vie (la possibilité de ranimer les morts conservés par cryogénisation, le fameux fantasme de la vie éternelle chère à la SF !).

Philip K. Dick explore ici à la fois la notion de « réalité » mais aussi celle de « l’identité » et en filigrane celle d’un potentiel démiurge… : qu’est-ce que l’existence ?
C’est ainsi qu’il fait dire à Runciter venu consulter sa femme semi-vivante, vampirisée par un autre semi-vivant qui l’empêche de communiquer :
« – Mettez-là dans une chambre isolée dés maintenant (…). Il vaut mieux qu’elle soit seule que de ne pas exister du tout.
– Elle existe quand même, rectifia von Vogelsang. Simplement elle ne peut pas vous contacter. Il y a une différence.
– Une différence métaphysique qui pour moi ne signifie rien, dit Runciter
. »

Ainsi l’existence serait la capacité à communiquer et sans elle, on est plus rien quand bien même les fonctions vitales continuent d’être actives.
C’est d’ailleurs la communication entre les êtres, quand bien même ils évoluent dans des mondes parallèles, qui alimente une bonne partie du récit, en particulier les signes que tentent d’envoyer Runciter à Chip au travers de médiums pour le moins cocasses (voir ci-dessous). L’humain n’existe que s’il peut recevoir et émettre des messages, quelle que soit sa situation spatio-temporelle.
C’est ainsi que lors de la scène de l’ascenseur, Chip réalise que l’isolement correspond à la vraie mort (une des caractéristiques des personnages qui décèdent est, à ce titre, de s’éloigner du groupe) : « Alors nos perceptions commencent à différer, se dit Al. Il se demanda ce que cela signifiait. Il y avait là quelque chose de menaçant ; quelque chose qui ne lui plaisait pas du tout. A sa façon lugubre et sombre, ce phénomène lui paraissait le changement le plus mortel survenu depuis la mort de Runcinter. Ils ne régressaient plus tous selon les mêmes normes (…)« .

Ubik n’est pas une méditation sur la mort comme l’a écrit un critique mais une méditation sur l’existence et sa signification profonde.
A la question qui est mort, qui est vivant ? c’est à dire en d’autres termes, quelle réalité prévaut sur l’autre (celle de Runciter ou celle de Chip qui semblent en lutte perpétuelle tout au long de l’aventure) : On se rend compte à la fin du roman que les deux réponses sont possibles : les deux existent (ou n’existent pas), comme les deux faces d’une même médaille (ou pièce de monnaie qui représente justement tour à tour l’un ou l’autre des personnages). Tout est question de point de vue (et de perception/projection). « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations. » disait Nietzsche…

On remarque aussi au passage que la publicité, encore elle, devient aussi une « preuve d’existence » comme lorsque Chip veut acheter un paquet de cigarettes bon marché et qu’on lui rétorque que la marque n’existe plus : « Si, elles existent toujours, dit Joe, mais elles ne font pas de publicité. C’est une cigarette honnête qui ne prétend à rien. »

C’est aussi une réflexion sur la notion de civilisation et de progrès. Toujours au moratorium, l’un des membres du personnel déclare ainsi : « L’enterrement est un rite barbare, murmura Herbert. Une survivance des origines primitives de notre civilisation. »
La régression du monde dans lequel évolue Chip témoigne aussi de cette illustration du socle sur lequel est bâti l’existence de l’humanité.

Entre parodie et dérision : un humour omniprésent dans Ubik

Peu mis en avant, l’humour décalé de Philip K. Dick est pourtant omniprésent tant dans les dialogues, les situations que ses descriptions (vestimentaires en particulier).
Ce qui ne manque pas de dérouter encore un peu plus le lecteur qui ne sait plus parfois s’il doit avoir peur ou éclater de rire ! Le plus drôle reste le texte des spots publicitaires pour Ubik avec toujours leur phrase de mise en garde à la fin ou encore les objets qui menacent de vous faire une procédure pour impayé !, dans le registre de la parodie pure. Les manifestations (et ses énigmes délirantes) de Runciter auprès de Chip, au dos d’un paquet de cigarette ou sur un graffiti de toilettes ne manquent pas de faire sourire. On relèvera aussi les interprétations historiques autour de la guerre 39-45 qui ne manquent pas de piquant non plus ou encore des répliques comme « Mr Runciter ne laissez pas votre thalamus dominer votre cortex »…

Cet humour côtoie des passages très sombres et même assez poignant comme l’une des dernières scènes de l’ascension du grand escalier par un Chip agonisant qui tente de regagner sa chambre, sous les sarcasmes de Pat ou encore lorsque Dick décrit la sensation de détresse face à la perte de repères et la solitude qui s’empare des personnages. Le tout servi par l’art de la déstabilisation et du renversement de l’auteur (qui peut s’emmêler quelque peu les pinceaux néanmoins dans ces tentatives de justification de tous ces rebondissements***…) mâtiné d’un certain suspense (avec le spectre du complot et des trahisons en filigrane). Un roman labyrinthique, loin de tout manichéisme, qui ne cesse d’ouvrir des portes sur des vertiges chaque fois un peu plus grands et en cela fascinants. [Alexandra Galakof]
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*Une émission de mai 2011 sur France Inter, « Les nouveaux chemins de la connaissance » animée par R.Enthoven revenait sur Ubik et confrontait les inteprétations de plusieurs experts en effectuant notamment un parallèle avec la pensée de Descartes et Platon.

** Le thème de la dégradation et du recroquevillement des choses peut rappeler L’Écume des jours de Vian. Côté ciné, on pense aussi aux films « Ouvre les yeux » (avec la mise en place d’une réalité alternative) ou le « Truman Show » où le héros s’aperçoit soudain qu’il vit depuis toujours dans un décor de carton pâte de télé-réalité (cf : Jory qui crée des mondes simulacres pour Chip) et bien sûr Matrix. L’univers de Paul Auster (« Cité de verre » ou « Moon palace » présente aussi des résonances avec les problématiques soulevées dans ce livre (notamment le rapport entre corps et cérébralité ainsi que la dimension métaphysique comme projection individuelle).

*** « Chez Dick, les informations nouvelles ont une fâcheuse tendance à contredire les précédentes et à ébranler tout l’édifice » (Une oeuvre, une écriture : Philip K. Dick, Steven Schwartz et Jacques Goimard)

A lire aussi : la chronique de « Blade runner » de Philip K.Dick

10 Commentaires

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  1. Ubik est traduit par Alain Dorémieux.

    Je suis plongée dans Toole que je regrettais de découvrir en français mais je trouve la traduction de Carasso si brillante http://www.librairiedialogues.fr...

    il a traduit Monsieur Butterfly de Howard Butten, un de mes livres fétiches et tant d’autres encore.

    La traduction de Dorémieux doit être sans doute également excellente fr.wikipedia.org/wiki/Ala…

    Je ne connaissais pas Ubik du tout, je vais le lire. Merci. J’avais comme tout le monde vu les adaptations au cinéma de Dick.

    Je vais lire son journal aussi
    fr.wikipedia.org/wiki/Ex%…

  2. Blade Runner ? Il me semblait que le film était adapté d’une nouvelle de K.Dick du même nom (en tout cas, rien à voir avec Ubik, d’apres mes souvenirs)

    Je regrette vraiment que ce soit gondry qui soit chargé de l’adaptation ciné… Il est un (bon) réalisateur des atmosphères poétiques et rêveuses, mais pour adapter Ubik, pour que ça soit efficace, il faut du rythme et de la rigueur… Sinon ça va verser dans un horrible blougi-boulga…

  3. Il a été adapté 12 fois autant par les français que par les japonais, par Spielberg, John Woo, etc.

    Mais il est vrai que le lire semble mille fois plus intéressant que ses adaptations même si des films comme Total recall passent et repassent sans cesse sur les télévisions au niveau mondial. Ce n’est pas le meilleur de lui, certes.

    • alain sur 4 octobre 2011 à 9 h 21 min
    • Répondre

    D’un autre côté (@aymeric), mieux vaut ne pas limiter Gondry à ce qu’il a déjà fait. J’avais vu un court métrage de lui plutôt absurde que poétique (dans Tokyo, je crois). Moi je trouve ça plutôt "couillu" de sa part, de s’attaquer à Ubik, et c’est précisément ce qui manque dans le cinéma français (enfin, dans la culture contemporaine française en général)

    • Ivan sur 6 octobre 2011 à 11 h 39 min
    • Répondre

    Blade runner a été une excellente adaptation cinématographique (mieux que le roman, à mon avis, qui souffre de certaines longueurs), comme dans un autre registre Las Vegas Parano. Je doute un peu des capacités de Gondry à se hisser à ce niveau.
    On peut citer également l’excellentissime adaptation du non moins excellent "Substance Mort" sous le titre "A scanner darkly" avec Keanu Reeves. On y retrouve très bien rendue l’obsession de Dick au sujet de la réalité, ou plus précisément de la construction du réel, notamment sous l’influence des substances psychoactives (Dick a beaucoup abusé de LSD, notamment).
    Il ne faut cependant pas minorer l’aspect politique de l’oeuvre en la limitant à cette interrogation métaphysique. La majorité des romans de Dick a un fort contenu politique. Ils abordent la capacité des élites et du monde médiatique à construire une réalité divergente par le mensonge, de manière à aliéner les populations. Cette thématique est au coeur des romans les plus "actuels" comme "La vérité avant-dernière", "Mensonges et Compagnie", "Coulez mes larmes, dit le policier" ou "Radio libre Albemuth" ou encore de ses nouvelles. Y sont explorés la dimension paranoïde et psychotique du système politique, la construction de réalités médiatiques divergentes qui supplantent la réalité, la contamination du corps social et sa manipulation. Cette obsession dickienne s’explique aussi par le contexte historique et le climat de psychose engendré par la guerre froide qui régnait aux états-unis dans les années 60… Bref, un auteur plus que jamais d’actualité.

    • ecrire un roman sur 6 octobre 2011 à 17 h 17 min
    • Répondre

    Je prends ces livres en note, car je me prépare une liste de choix potentiellement intéressant. Ensuite, viendra une seconde sélection. J’ai un projet : monter une bibliothèque très variée et pour tous les goûts… j’ai la famille à combler. Merci d’écrire ce blog.

    • alain sur 17 octobre 2011 à 14 h 18 min
    • Répondre

    Ayant vu hier soir "human nature" à la télé – et même si c’était son premier long-métrage-, je me range un peu plus à vos opinions : ça va être dur pour Gondry…

  4. @Ivan, je réagis un peu sur le tard à ton commentaire sur la dimension politique de l’oeuvre de Dick.
    Même si en effet, l’influence de son environnement socio-politique (effectivement guerre froide, menace nucléaire, etc) est indéniable sur ses livres, je pense qu’en faire une lecture politique avant tout serait une erreur, ne serait-ce que lorsqu’on lit les sources d’inspiration citées par Dick lui-même (en général cela part de son expérience personnelle et intime de la vie).
    Je me permets de retranscrire ici, un extrait d’un article du magazine Transfuge consacré à Philip K Dick qui reflète bien mon analyse de Dick :

    "Dés ses premiers textes, Dick dévoile ses qualités narratives – économie de moyens et sens de l’intrigue-, mais aussi et surtout
    une conception nouvelle de la science-fiction. Jusqu’alors, celle-ci était figée dans la lourdeur scientifique, ce que l’on appelait
    "la prévision vraisemblable".
    Aux côtés d’auteurs comme Robert Sheckley, Dick publie dans Galaxy, jeune revue qui réoriente la SF vers la satire sociale, politique
    ou écologique. La science fiction n’est pas forcément une oeuvre d’imagination qui prédit le futur mais une parabole du présent.
    "Pour moi, la science fiction est le cadre des idées, un cadre qu’on peut distinguer nettement du monde réel dans lequel on vit
    et dans lequel on est libre d’inventer. Si l’on situe l’action dans le temps présent, le lecteur aura du mal à accepter tous ces gens
    qui se téléportent dans tous les coins, mais si l’on place l’action trente ans dans l’avenir, on peut se le permettre."
    Les grands traits de la société occidentale figurent dans ses récits :consommation à outrance, sanctuarisation de l’entreprise, solitude urbaine,
    société qui se mécanise et broie l’être humain, etc.
    Au cours des années 50, dans ses nouvelles comme dans ses romans, Dick utilise encore les codes de la science fiction: robots, voyages dans le temps, etc.
    Mais il le fait avec des qualités qui le distinguent de ses confrères : l’humour, une étonnante implication personnelle dans ses personnages et surtout,
    un questionnement métaphysique original.

    1962-1969, l’âge d’or dickien
    L’oeuvre de Dick, qualifiée par Jeff Wagner de "drame métaphysique" pose deux questions qui n’en forment peut-être qu’une seule,
    la seconde permettant de répondre à la première : Qu’est ce que la réalité ? Comment distinguer l’humain du non-humain.

    Le monde réel est-il une donnée unique, objective, accessible par l’entremise de nos sens ? Est-il au contraire pure subjectivité,
    produit de la conscience ?
    Reprenant la démarche de la phénoménologie selon laquelle il existe autant de réalités phénomènales que d’êtres conscients,
    Dick cherche à explorer une réalité ultime que l’on ne pourra jamais connaître sous sa forme véritable."

  5. Il me semble que Dick n’est pas vraiment "adaptable" au cinéma. Et spécialement pas "Ubik", qui plus encore que ses autres romans m’apparaît comme une machine narrative spécialement retorse et efficace. Pour les mêmes raisons, la lecture politique est en effet, à mon sens, réductrice.

  6. Je rejoins Pierre là-dessus. Les adaptations de Dick au cinéma étaient parfois très décentes (Blade runner, et aussi le Total recall de 1990, chacun dans leur genre), mais elles ne reflétaient pas grand-chose de l’oeuvre originale.

    Par ailleurs, j’aime beaucoup cet auteur. Bravo pour la chronique, même si je ne suis pas aussi enthousiaste que vous : je trouve qu’Ubik a un peu « vieilli », peut-être parce qu’il est si culte que ses thèmes ont inspiré de très bonnes prolongations chez certains auteurs. Idem pour le Maître du haut-château. Bon, ne boudons pas notre plaisir, ça reste un très bon bouquin, mais je le préfère Dick dans ses courtes nouvelles, genre où il atteint souvent la perfection.

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